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Sachant votre désir de dialogue islamo-chrétien, veuillez nous permettre de vous informer la projection prochaine du film LA PROMESSE du metteur en scène irlandais Terry George, le réalisateur du film 'Hotel Rwanda' (2005). L'action du film 'La Promesse' se situe au début de la Première Guerre Mondiale dans l'Empire ottoman et les six premiers mois du Génocide des Arméniens en 1915. A ce sujet, en tant descendants de rescapés de ce génocide, nous y sommes sensibles et nous rendons grâce à la reconnaissance du Génocide des Arméniens de 1915 et la désapprobation de son négationnisme, le 4 mai 2015, par le Recteur de l'Institut musulman de la Grande Mosquée de Paris, le Dr Dalil Boubakeur.(*1)
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- Du point de vue historique, il faut rappeller en particulier que l'émir hachémite du Hedjaz, Hussein Ibn Ali avait en son temps condamné les massacres et les déportations par trois déclarations en 1916-1917. Le shérif de La Mecque, demandait aux musulmans d'aider les rescapés et réfugiés chrétiens. Avant même ce firman du 18 Rajab 1336, les bédouins du désert n'avaient pas manifesté de ressentiments à l'encontre des réfugiés arméniens et même ils les ont aidés.(*2). Ce firman du Gardien des Lieux Saints de La Mecque était une protection religieuse, un barrage symbolique à l'encontre de la déclaration de la Guerre sainte par les autorités religieuses turco-ottomanes de novembre 1914 et sous l'instigation de l'Allemagne impériale. Dans le film il y a un passage où la déclaration de la Guerre Sainte est évoquée politiquement en présence d'officiers allemands.(*3)
- Dans le film 'La Promesse', on voit la scène des personnalités arméniennes arrivant dans la prison de la capitale ottomane qui avaient été arrêtées lors de la raffle du 24 avril 1915. Parmi ces personnalités, une des plus connues, est le Révérend Père Komitas (1869-1935) que l'on voit dans le film. Éminent musicologue ayant fait des études à Berlin et chef de chorale arménienne, le Père Komitas a transcrit et publié en autre, des chansons kurdes (Moscou 1903). Il a eu une consécration officielle de son génie musical en 1911 au Théatre Abbas du Caire où le Prince héritier du Vice-Roi d'Egypte était présent.
- 'La Promesse' n'est pas un film islamophobe. On n'y parle pas de religion. Ce n'est pas non plus un film anti-turc. Comme un film sur les crimes nazis de la Shoah n'est pas un film anti-allemand ou anti-chrétien -sachant cependant que la Turquie est comme une Allemagne nationaliste qui n'aurait pas reconnu ses crimes nazis. En conséquence du négationnisme d'Etat au sommet, il y a eu un siècle de productions industrialisées de dénis de crimes contre l'Humanité... aux différents niveaux et espaces du sociétal : des dénis exportés-importés, absolus, purs et durs en dogmatisme ou en escamotage, en écrans de fumées, en flous artistiques, en banalisés, en minimisés, en non-passé criminel imprescriptible. Nous sommes très-très loin de l'exemple allemand.
- On peut voir dans le film les destructions des familles et les nettoyages ethniques par déportations des populations arméno-autochtones. Les bibliographies nous rapportent comment les personnes ont été tuées dans des sites-abattoirs ou sont mortes exténuées sur le bord du chemin, sur le pas de la porte, en anonymat, déshumanisées, sans être enterrées, sans cérémonies religieuses. La chaine de transmission humaine a été brisée -et le meurtre a chassé la mort, ce chainon naturel qui relie une génération à l'autre.(*5) Les rescapés, les survivants, égarés, hagards et culpabilisés d'être encore en vie, ont subsisté en morts-vivants, ne pouvant pas réaliser le deuil des disparus.
- Les âmes des arméniens morts et déshumanisés au cours de la déportation dans le désert arabe sont devenues des fantômes errant au pourtour des villes et des villages... jusqu'à une reconnaissance politico-symbolique et religieuse. Au delà des réalités géopolitiques et militaires au Proche-Orient, les anthropologues pourront-ils décrypter la mutation mortifaire en proximité de l'impunité turco-criminelle en celle de Daech ? C'est ainsi que pour faire face à une telle situation inique, embrouillée et soutenue par l'ignorance (ou le mutisme complice) de la Présidence des Affaires religieuses, la Diyanet (malheureusement en syndrôme historico-kémaliste avec le pouvoir turco-négationniste d'Ankara), les 1.500.000 victimes arméniennes du Génocide de 1915 ont été canonisées le 23 avril 2015, un jour avant le centenaire, par le Saint-Siège du Catholicossat de notre église apostolique à Etchmiadzine en Arménie.(*6)
- L'Eglise arménienne fait partie du Conseil oecuménique des Eglises orientales et est engagé dans le dialogue islamo-chrétien : en particulier au Catholicossat d'Antelias au Liban. Ainsi on peut voir Sa Sainteté Aram Ier recevant les différents dignitaires religieux du Liban (avril 2015), avec le Cheikh Mohammed Kabbani du Liban (2014) ou encore avec le secrétaire général du KAICIID basé à Vienne en Autriche (King Abdullah bin Abdulaziz International Centre for Interreligious and Intercultural Dialogue). Le Catholicos Aram Ier ne manque pas de dire que les arméniens ont été victimes d'un génocide politique et qu'ils n'ont pas été massacrés pour des questions religieuses.(*7) L'extermination le fut pour des raisons politiques-idéologiques du panturquisme au delà de l'Empire ottoman.(*8)
- On ne voit pas dans le film des scènes violentes.(*9) Cependant, il y a une scène la nuit, qui est assez dure, qui se passe avec les wagons à bestiaux dans le transport des arméniens par chemin de fer dans le cadre de la déportation. Il y a aussi une autre scène la nuit, d'une bande armée turque hurlant avec des torches à la main et arpentant pas-à-pas un village terrorisé du haut-plateau arménien : on peut comprendre par le film qu'il y a TERRORISME D'UN GÉNOCIDE -organisé par un État.(*10)
- Ainsi, pour terminer, on peut dire que 'La Promesse' est un film hollywoodien, historique-pédagogique et visible dans un cadre familial avec des jeunes adolescent(e)s. Il y a une romance triangulaire sur le même registre que le film Le Dr Jivago -telle conçue par le réalisateur Terry George (dossier de presse).
- En vous remerciant de votre attention et souhaitant une agréable séance de cinéma, nous vous prions Mesdames, Messieurs, de croire à l'expression de nos sentiments distingués.
- Nil Agopoff (Paris-Berlin)
. Conseiller historique auprès de l'ANACRA, Association nationale des anciens combattants et résistants arméniens de France
. Membre de l'UCFAF : Union culturelle française des Arméniens de France, fondée en 1949 . PDF.1 . PDF.2
- (*1) : Discours intégral du Dr. Dalil Boubakeur, à l’occasion de la commémoration du 70e anniversaire de la Victoire du 8 mai 1945 : SUR LE SITE DE L'ANACRA
- (*2) : Il y a à Érévan, capitale de l'Arménie un mémorial de gratitude dédié aux peuples arabes : Photo.1 -- Photo.2 -- Le nom des Arabes sera inscrit en lettres d'or dans l'Histoire des Arméniens (Damas, 9 mai 1919) -- Photo officielle de 1928 d'un groupe de bédouins avec son chef et deux prêtres arméniens / page.504 à la 4ème Partie (Les Bédouins du désert de Syrie, pp.455 > 507 avec 13 autres photos de bédouins) d'un livre arménien publié à Alep 1940 et scanné par l'Association ARAM de Marseille -- Le facteur religieux (Claude Mutafian, Paris 2005) -- La page du Journal 'le Temps' (12.nov.1912) dans le site GALLICA ;
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(*4) : Il y a eu deux autres publications du Coran en arménien : 1909, Varna / Apraham Amirkhaniants / Աբրահամ Ամիրխանյանց -- 1912, Varna / Hagop Kourbétian Յակոբ Գուրպէթեան -- Voir en particulier : Ղուրանը հայոց մեջ / Le Coran chez les Arméniens / Արմանուշ Կոզմոյան . Վահագն Դավթյան : Académie nationale des Sciences de l'Arménie 2003, 62 pages avec 74 notes bibliographiques en bas pages & résumé en russe -- Catalogue des manuscrits médiévaux du Coran conservés au Madetaran (Érévan 2016, 224 pages) ;
(*5) : Génocide et transmission, sauver la mort, sortir du meurtre. Hélène Piralian-Simonyan, Ed. l'Harmattan, 1995 (réédité en septembre 2003) ;
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(*6) : Il existe de nombreux youtubes sur la cérémonie religieuse à Etchmiadzine -- Texte encyclique sur la canonisation des 1.500.000 victimes du GDA1915 : Revue officielle 'Etchmiadzine-Էջմիածին' 2015, 72ème année, Դ-IV, pp.33-35 -- Liste des prêtres arméniens assassinés à partir d'une publication de 1921 -- -- À l'occasion de son voyage en Arménie en juin 2016, le Pape François a dit qu'il y allait en pélérinage ;
(*7) : Il n'était plus question de s'en tenir au fanatisme religieux des massacres habituels turco-ottomans -comme cela avait le cas avec le sultan Abdul Hamid II. Un témoin arabo-musulman occulaire écrivait : C’est un crime que désapprouve l’humanité, l’islam et tous les musulmans ; mais ceux qui ignorent la vérité ne manqueront pas d’en jeter la responsabilité sur le fanatisme religieux. (Le Caire 1917) ;
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(*8) : Il s'agissait d'entreprendre un grand nettoyage ethnique des arméniens autochtones du haut-plateau des Monts d'Arménie, faire table-rase et ainsi, ėtablir la jonction avec les turco-tatars de Bakou. C'était la 1ère étape du plan idéologique d'un grand Empire, 'Le Touran', qui devait aller de la Méditerranée jusqu'aux Monts Altaï. En 1958, au diapason d'une fantasmagorie en impunité banalisée, on publiait encore en Turquie des textes sur le 'Grand Touran'. On ne peut que se rappeler 'Le Grand Reich' qui devait durer 1000 ans et on sait aujourd'hui combien le kémalisme a habité l'imaginaire nazi. (Berlin 2014. 320 pages en anglais) // article US traduit en français par Collectif Van ;
(*9) : Il n'y a pas de scènes insoutenables en déshumanisation comme celles qui se sont passées dans le désert syrien ; ce fut le cas dans avec un passage du film LA BLESSURE du metteur en scène turco-allemand Fatih Akin (2015) -- les circuits de déportés arméniens et leurs centres d'extermination par les turco-ottomans en Syrie ou en Iraq sont étudiés à partir de divers anciens témoignages ; voici une publication en arabe (Alep 1994) ;
(*10) : Ce concept génocidaire a été identifié en février 1982 par l'essayiste et traductrice de Freud, Janine Altounian dans la revue existentialiste La Revue des Temps Modernes, fondée par Jean-Paul Sartre ;
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