Omission ou occultation ?

  • Voici une correspondance entre un avocat de Montréal Maitre Haytoug Chamlian et le Sénateur des Hauts-de-Seine Robert Badinter. Ce dernier a écrit un article sur une page entière dans la revue Le Nouvel Observateur, au sujet de Missak Manouchian et de son groupe de résistants héroïques.

    Pas une seule fois, nous n’y trouverons le mot «arménien» :
    Gaullistes, communistes, chrétiens, juifs, aristocrates, ouvriers ... la diversité d’origine de la Résistance.

    Dans le texte de la reproduction de la lettre de Manouchian à son épouse, un passage est supprimé, pour faire place à trois points de suspension entre crochets [...]. En l'occurrence, la phrase: Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie.

    Monsieur Badinter occulte en effet l'origine de Missak Manouchian. On serait tenté de penser qu'il pourrait en faire de même pour d'autres résistants. Par exemple pour :
    - Gaston Monnerville en omettant qu'il était guyannais
    - ou Josephine Baker en occultant qu'elle était noire américaine
    deux héros qui ont combattu le nazisme sachant très bien ce qu'était le racisme, tout comme Manouchian savait ce qu'était un génocide.


    Nous ne manquons de mettre sur notre site cette correspondance qui pointe comment se passent les différentes phases consécutives :
    - omission des origines du résistant Manouchian > (occultation du génocide de 1915) > ((construction d'une non-existence de ce génocide)).

    Sachant que
    - cette omission des origines de Manouchian est intentionnée
    - et que le Sénateur Robert Badinter n'a pas pris part au vote lors de la séance du 7 Novembre 2000 concernant la proposition de loi reconnaissant le Génocide arménien
    on peut se poser la question à juste titre si cela ne se passe pas ainsi en non-dit :
    - (((unicité du génocide des Juifs))) > ((construction d'une non-existence de ce génocide arménien)) > (occultation du génocide de 1915) > omission des origines arméniennes du résistant Manouchian.

    Nil Agopoff

  • Quelques links sur
    . Gaston Monnerville :
    [(1*)] - [(2*)] - [(3*)] - [(4*)]
    . Joséphine Baker :
    [(1*)] - [(2*)] - [(3*)] -

  • Notre page : Constructions de non-existence du génocide arménien de 1915 : les omissions intentionnées
  • Nouvel Observateur
    Numéro du 18 au 24 septembre 2003 (No 2028), à la page 48


  • Le Sénateur Robert Badinter : [(1*)]- [(2*)] - [(3*)] - [(4*)] - [(5*)]
    Bibliographie : L'Exécution, Grasset 1973 — Libertés, libertés, Gallimard 1975
    Condorcet, un intellectuel en politique ; en collaboration avec Élisabeth Badinter, Fayard 1988 Libres et égaux, l'émancipation des juifs (1789-1791), Fayard 1989 Une autre justice, Fayard 1990 La Prison républicaine (1873-1914), Fayard 1993 C.3.3. (préface sur Oscar Wilde et la justice), Actes Sud 1995 L'Antisémitisme ordinaire : Vichy et les avocats juifs (1940-1944), Fayard 1996 L'Abolition, Fayard 2000 Une constitution européenne, Fayard 2002.

Robert Badinter et la candidature de la Turquie à l'Union européenne

  • Une liaison dangereuse ...Et le refus par la Turquie de reconnaître le génocide arménien, près d’un siècle après, demeure un sujet de préoccupation pour les défenseurs des droits de l’homme. Le Nouvel Observateur 30.IX.2004
  • Préface du Livre de Sylvie Goulard, « le Grand Turc et la République de Venise », à paraître le 2 octobre chez Fayard.
  • Turquie : paroles, paroles... Le Monde 22/10/2004

Correspondance entre Me Haytoug Chamlian de Montréal et le Sénateur Robert Badinter

  • 1ère lettre de Me Haytoug Chamlian, avocat à Montréal, à M. le Sénateur Robert Badinter (Paris)

  • Missak Manouchian était arménien, Monsieur Badinter
    Courriel transmis le 21 février 2004,


    Dans Le Nouvel Observateur, numéro du 18 au 24 septembre 2003 (No 2028), à la page 48, Robert Badinter écrit, sur une page entière, au sujet du martyre de Missak Manouchian et de son groupe de résistants héroïques..

    Pas une fois, pas une seule et unique fois, nous n’y trouverons le mot «arménien».

    Pour nous consoler, il nous faudra littéralement prendre une loupe, pour scruter la reproduction de la fameuse Affiche Rouge au centre de l’article, afin d’y déceler, sur la photo de notre compatriote, le nom «arménien».

    Mais attendez, ça empire.

    Dans la version sur internet du même article, l'Affiche Rouge n'apparaît plus. Donc, on ne peut même plus y voir l'"arménien".

    Mais ce n'est pas fini. Cet article, sur l'internet, est annoncé par le titre: "Gaullistes, communistes, chrétiens, juifs, aristocrates, ouvriers..." En somme, tout le monde, sauf les Arméniens.

    Badinter souligne par ailleurs dans son texte que cet événement illustre mieux que tout "la diversité d’origine de la Résistance". Et d'invoquer ainsi comment "Estienne d’Orves, officier de marine, rejoint Gabriel Péri, député communiste. Gaullistes et communistes, chrétiens et juifs, professeurs et ouvriers immigrés se retrouvent là côte à côte." Et l'Arménien, Monsieur Badinter, dirigeant du groupe ? Ah bon, il était Arménien ?

    Badinter écrit encore: "Ils liront les noms, parfois difficiles à prononcer, des héros tombés. Tous, venus d’horizons différents, sont morts pour la France et la liberté." Horizons différents... Ah, tout de même. Merci pour la reconnaissance. Nous sommes au moins un horizon, et différent.

    Mais attendez, le dernier point est un comble: Dans la reproduction de la lettre de Manouchian à son épouse, un passage est supprimé, pour faire place à trois points de suspension entre crochets. En l'occurrence, la phrase: "Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie."

    Bref, là encore, même là, dans cette lettre qu'on mutile ainsi, on occulte, on dissimule et efface toute trace de l’origine arménienne de Missak Manouchian...

    Je dénonce vigoureusement cette attitude inadmissible de Monsieur Badinter, relayée par Le Nouvel Observateur.

    Sinon, si c'est ça, la France, alors, elle ne méritait pas Manouchian. Bien à vous,


    - Me Haytoug Chamlian 407, boul. St-Laurent, #880 Montréal, Qc, H2Y 2Y5
  • Réponse du Sénateur Robert Badinter à Me Haytoug Chamlian
    Par la Poste, sur papier officiel du Sénat de la République Française.

  • Paris, le 27 février 2004

    Monsieur,

    Votre lettre témoigne d’une regrettable ignorance de la dernière lettre de Manouchian, écrite la veille de son exécution. Le héros de la Résistance n’est pas mort pour la cause d’une Arménie indépendante, mais pour la liberté de tous les peuples, y compris, le peuple allemand. Cela s’appelle l’internationalisme, le contraire de nationalisme qui, à l’évidence, vous anime. Dans cette lettre si belle, il écrit :
    "Je meurs en soldat régulier de l’armée française de la Libération". Et il déclare : "Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement". La seule référence à l’Arménie est faite, au regard de ses parents, lorsqu’il écrit à sa femme : "tu apporteras mes souvenirs, si possible, à mes parents en Arménie". C’est tout. En 1943 Manouchian combattait le nazisme, et non pas pour la cause arménienne, sauf dans le cadre général de son combat contre les oppressions.

    Dernière remarque : Manouchian n’a pas été fusillé seul. Vingt-deux de ses camarades sont tombés ce jour-là au Mont Valérien. Il y avait, parmi eux, des Français, des Espagnols, des Italiens, des Polonais, des hommes d’autres nationalités. À tous, il faut rendre témoignage et honorer leur mémoire, quelle que soit leur nationalité, leur origine, leur religion ou leurs convictions politiques. C’est ce que j’ai voulu faire. J’honore Manouchian – comme ses camarades - parce qu’il était un héros de la Liberté. Cela suffit à mes yeux, sinon aux vôtres.

    Considérations distinguées, Robert Badinter
  • 2ème lettre de Me Haytoug Chamlian à M. le Sénateur Robert Badinter

  • Montréal, 12 mars 2004

    Monsieur Badinter,

    Permettez-moi de répondre par la présente à votre missive en date du 27 février 2004.

    La rectification que vous avez apportée à votre position en cause, en évoquant enfin non seulement l’identité nationale originelle de Missak Manouchian, mais aussi, certes, celles de ses camarades et frères d’armes, est tout à votre honneur.

    Par contre, malheureusement, vous avez confirmé votre dénégation intentionnelle de l’importance et de la signification fondamentales de cette identité, dans la vie, dans l’œuvre et dans le sacrifice ultime de Manouchian.

    Cette attitude est profondément outrageante pour le peuple, le pays et – oui, Monsieur - la nation, qui ont enfanté ce héros universel. Et qui en sont immensément fiers, à ce juste titre.

    Missak Manouchian, en effet, est mort pour la France. Mais il est mort en Arménien.

    La politique française d’assimilation, responsable en grande partie de nombreuses déviances nationalistes ou religieuses, doit avoir des limites.

    Vous ne pouvez pas, au nom de ce que vous appelez «internationalisme», destituer de ses racines et priver de ses origines un rescapé du Génocide, dont l’esprit de résistance, l’instinct de combat, l’aspiration à la liberté et le sens du martyre découlent directement de plus de deux millénaires d’histoire défiant la raison et le Destin. Deux millénaires de stoïcisme inébranlable, et de survie continuelle.

    Pourtant, ce ne sont pas les analyses, voire les témoignages qui manquent, émanant aussi des milieux proches de votre sensibilité intellectuelle, qui soulignent l’identité arménienne profonde de Manouchian, et ce, en relation même avec son engagement et ses actions. À cet égard, je me contenterai de vous rappeler l’article publié par l’Humanité dans son édition du 4 avril 2000, et dûment consigné dans les archives de ce journal, dans lequel on nous apprend notamment comment Manouchian passa un après-midi au chevet d’un adolescent malade, «dont le seul mérite était de participer à la vie des organisations culturelles arméniennes, il est vrai très actives dans cette commune de la région lyonnaise, nonobstant de nombreuses pressions. » ; comment le poète Manouchian «écrivait pour des revues littéraires [arméniennes], notamment Zangou (" le Cours d'eau ") qu'il dirigeait” et “correspondait avec les plus grands poètes arméniens: Avétik Issahakian et Archag Tchobanian. » ; comment, "l'organisation que Manouchian envisageait alors de créer avait pour objectifs l'émancipation et la culture arméniennes» ; comment, lors d’une certaine soirée en mars 1943, où Knar et Micha Aznavourian "interprètent le grand troubadour du Caucase:Sayat-Nova... Manouchian dit quelques poèmes et, comme il adore chanter, il entonne les chants révolutionnaires, tant arméniens que français."

    Les chants révolutionnaires arméniens... Si seulement vous pouviez les connaître, Monsieur Badinter. Comme les Arméniens connaissent tous les chants de libération de tous les peuples et nations opprimés du monde.

    Nous pourrions évidemment remplir des bibliothèques avec ce même genre de références et de témoignages, démontrant que Manouchian a toujours été intensément conscient de son identité nationale originelle, et que cela avait une influence déterminante dans sa vie et dans ses actions. Il est impossible d’occulter cette évidence. Il est aberrant de tenter de le faire.

    "Tu apporteras mes souvenirs, si possible, à mes parents en Arménie".

    «C’est tout», écrivez-vous... Dans le sens de: «ce n’est rien». En effet, telle est votre regrettable opinion. Mais n’appartient-il pas à chaque lecteur de cette lettre de décider, par et pour lui-même, de l’importance de cette évocation ? Ne doit-il pas donc, au moins, en prendre connaissance ?

    Dans le but de faire valoir vos vues, pouviez-vous vous permettre de supprimer cette seule phrase de la lettre de Manouchian ? En vertu de quelle autorisation avez-vous ainsi altéré un tel texte, qui constitue un élément d’archive historique ?

    Non, Monsieur Badinter, il ne suffit certainement pas d’honorer Manouchian en tant que héros de la Liberté, seulement. Car il mérite tous les honneurs qui lui reviennent. Dont celui d’être un héros arménien de la Liberté.

    Sincèrement vôtre, Me Haytoug Chamlian
à compléter