- La région du Karabagh a possédé et possède encore un art populaire
qui est une des parties composantes de la musique populaire arménienne,
porte la marque de ses traditions séculaires et est caractérisé par
les mêmes ramifications stylistiques, les mêmes parties essentielles
de thèmes et de genres. Nous avons eu la chance de nous convaincre de
ces faits lors de nos voyages vers le Gharabagh, en vue de recueillir
des chants. Ils sont, par ailleurs, et depuis longtemps, certifiés dans
les notes du patriarche de la musique arménienne, Komitas.
- Le Gharahagh est également
un des centres du horovel traditionnel arménien. Dans le présent article
laissant de côté les autres genres de musique populaire, nous parlerons
uniquement des horovels recueillis par Komitas.
- Les chants découverts, recueillis
et enregistrés par le grand Komitas, dont l'itinéraire s'étend depuis
le Gharahagh jusqu'aux fins fonds de l'Arménie historique, forment l'encyclopédie
de la musique populaire arménienne. On y trouve des chants rattachés
aux divers domaines de la vie populaire, de contenu et d'humeur variés,
qui manifestent les particularités nationales de la pensée musicale
de notre peuple, son art mélodique.
- Dans une approche strictement scientifique,
Komitas s'est efforcé de n'ignorer aucun des genres du chant populaire.
Parmi les chants qu'il a recueillis, les chants des travaux agrestes,
et tout particulièrement les horovels, occupent une place considérable.
- Dans l'une de ses études, Komitas appelle
les horovels des chants de la nature, et il y a un sens profond dans
cette appréciation. Il trouve qu'ils sont les plus pittoresques, qu'ils
puisent leur essence dans les émotions accumulées dans l'âme du cultivateur
durant son dur labeur.
- Dans l'héritage musical et ethnographique
de Komitas, qui nous est parvenu, on trouve des chants de labour, des
chants de charretiers, des airs chantés lors du battage, du Lori, de
Sanahine, d'Igdir, d'Aparan, du Daralagniaz, du Ghazakh, souvent en
très petit nombre ou même uniques. Au seul exemplaire connu des horovels
du Gharabagh enregistré par Komitas ("Tire, ohé, tiré") sont venus s'ajouter,
aujourd'hui, ses quelques variantes, ainsi que deux antres airs. Comme
nous l'avons démontré dans une étude détaillée, Komitas a découvert
et enregistré le horovel 'Tire, ohé tire", au début des années 1890.
- Le plus ancien, peut-être
même le premier enregistrement que Komitas ait fait de ce horovel est
celui qui nous est parvenu, recopié par ses élèves de l'Ecole Guévorgnian
d'Etchmiadzine, dont les paroles, les plus répandues parmi les chants
de labour du district de Varanda (auj. Martouni) sont encore chantées
par les paysans âgés du lieu.
- Mais le horovel "Tire, ohé tire",
est un de ces chants que Komitas a ardemment cherché de longues années
durant, dans le but de trouver ses variantes plus élaborées, plus parfaites,
plus intéressantes. Aujourd'hui, à part la plus ancienne variante, nous
en connaissons quatre autres, notées par Komitas, qui sont plus parfaites
et plus variées dans le détail.
- Ajoutons un autre horovel
du district (le Djeraberd (auj. Martakert) du Gharabagh, enregistré
de la main de Komitas: "Regarde, là-bas, sur la butte"; en marge de
ce horovel, Komitas a noté: "Comparer au chant de labour du Lori". En
effet, ce horovel a des lignes mélodiques et tonales qui le rapprochent
du chant de labour bien connu du Lori.
- La rareté des renseignements biographiques
ne nous permet pas d'affirmer si Komitas a été au Gharabagh et y a enregistré
ces horovels. Mais il est également difficile de soutenir le contraire.
Ce qui est indiscutable, c'est l'intérêt tout particulier porté par
Komitas aux horovels du Gharabagh. Et cet intérêt est tout a fait justifié,
car ces chants présentent un grand intérêt historique et ethnographique.
Ils donnent une idée d'ensemble des hautes vertus spirituelles du paysan
arménien du Gharabagh, entièrement dévoué a sa terre nourricière. Ils
représentent, en outre, une grande valeur. musicale, théorique et artistique.
- Le horovel "Tire, ohé tire" du Varanda,
arrangé pour choeur par Komitas et qui, depuis les concerts de Tiflis
(l905) et de Paris (1906) s'est fait entendre, dans plusieurs salles
connues du monde, a conquis nombre de coeurs étrangers par sa résonance
aussi émouvante que puissante et fière. Après cela, comment ne pas s'étonner
par l'article inséré dans l'Encyclopédie musicale, où le mot horovel
même n'est pas mentionné?
- Il nous reste à ajouter que tout une
pléiade de musiciens arméniens, S. Démourian, D. Ghazarian, A. Kitcharian
et d'autres ont poursuivi, au Gharabagh, l'oeuvre commencé par Komitas.
Dans leur village, I'lnstitut des arts de l'Académie des sciences de
l'Arménie soviétique et le Conservatoire Komitas ont aussi entrepris
quelques études peu nombreuses, il est vrai. Mais la collecte de la
musique populaire du Haut-Gharabagh, comparée au folklore purement littéraire
du lieu, est encore bien modeste.
- Il y a encore beaucoup à faire
pour découvrir toutes les variantes de cette musique. Bien que la place
de la musique populaire diminue de plus en plus dans nos moeurs, il
y a encore de grands espoirs en ce qui concerne le Gharabagh. Ci-dessous
nous reproduisons deux spécimens des enregistrements de Komitas: l'autoghraphe
du chant de labour du district de Djeraber, et la transposition du chant
de labour du Varanda enregistré initialement en notation arménienne.
|