- Le style d'interprétation de Féodor Chaliapine,
sa voix puissante, son charme scénique, son talent à s'identifier
à son personnage lui assurèrent une popularité et une gloire universelles.
Après avoir en tendu le débutant Chaliapine, V. Stassov s'était écrié:
"Mon Dieu! quel talent remarquable." Plus tard V. Némirovitch-Dantchenko
avait dit: "Dieu devait être de bonne humeur au moment de le créer
pour notre joie à tous."
Parmi les admirateurs et les intimes de l'illustre basse, il y avait
bon nombre de représentants de la culture musicale arménienne. La
collaboration de Chaliapine avec les musiciens arméniens, qui avait
commencé à Tiflis, se poursuivit sur les scènes de Moscou, de Saint-Pètersbourg,
de Kiev, de Paris, de Varsovie, de New York et d'autres villes.
En 1892, à Tiflis, Chaliapine suit systématiquement les cours dans
la classe de Dmitri Oussatov et prend part aux concerts d'amateurs
et d'élèves organisés par les mélomanes de Tiflis. Les pianistes E.
Ter Assatourova et V. Chanchiéva étaient les accompagnatrices permanentes
de Chaliapine. Ces soirées firent connaître le nom de Chaliapine dans
toute la ville. Les intellectuels arméniens furent parmi ceux qui
encouragèrent les premiers pas du jeune chanteur. Parmi ses intimes
de cette époque on rencontre k. Alikhanov, amateur de musique et homme
public, le médecin V. Artserouni, chez lequel se réunissaient souvent
les membres du groupe musical, le compositeur G. Korganov...
Un an plus tard, le chanteur s'essaie dans l'une des premières représentations
de Faust à l'Opéra de Tiflis, dans le rôle de Méphistophélès.
La partie de Marguerite était chantée par Nadejda Papayan, promue
du Conservatoire de Saint-Pétersbourg. Les assistants accueillirent
chaleureusement le jeune chanteur. Ce couple s'est produit ensemble
dans plus d'un spectacle à l'Opéra de Tiflis.
Le musicologue bien connu, Vassili Korganov (Korghanian), auteur de
livres sur Verdi, Mozart et Beethoven, a joué un grand rôle dans la
vie artistique du jeune Chaliapine. En lui, le talent de musicologue
allait de pair avec l'ardeur du publiciste. Il prédit un brillant
avenir au chanteur débutant. Dès le concert des élèves d'Oussatov,
l'attention de Korganov avait été attirée par le jeu admirable du
jeune homme blond, maigre et svelte, par l'excellente interprétation
de la partie de Melnik.
L'appréciation de Korganov donna à Chaliapine l'assurance nécessaire
pour considérer l'avenir avec espoir et confiance. Leurs rapports
se transformèrent en une longue amitié de plus de trente ans. Le musicologue
suivait attentivement la croissance artistique du jeune chanteur,
l'aidait de ses conseils.
La renommée de Chaliapine se répandait rapidement. Son répertoire
s'étoffait... Bientôt la renommée de la basse de talent de l'Opéra
de Tiflis atteignit Saint-Pétersbourg et Moscou. L'autorité de Korganov,
qui signait des articles insérés dans la presse de la capitale, y
contribua dans une large mesure.
Au printemps 1894, Chaliapine partit pour Saint-Pétersbourg. Avant
son départ il donna un récital de bien faisance au profit des victimes
de la sécheresse des provinces de Kars et d'Erevan, accompagné au
piano par Eléna Térian-Korganova. Plus tard, pour Chaliapine qui jouissait
déjà d'une renommée internationale, Korganov restera comme un ami
sûr. Leurs rapports immédiats ou épistolaires revêtaient un caractère
permanent.
Parvenu au sommet de la gloire, Chaliapine n'oublia jamais ceux qui
l'avait aidé dans ses débuts difficiles.
"Au moment le plus pénible de ma vie, disait Chaliapine,
quand je me vis obligé d'interrompre mes études, Oussatov m'envoya
auprès d'Alikhanov qui m'aida à les poursuivre."
Les chanteurs arméniens bien connus N. Chakhmalian, A. Kostanian,
N. Ghoukassian, M. Garagach,
la cantatrice S. Akimova ont chanté avec Chaliapine sur les scènes
russes, à diverses époques. Chaliapine entretenait aussi des rapports
étroits avec ses amis vivants à l'étranger. Paolo Ananian, qui avait
eu la chance de chanter avec De Lucio, Caruso, Ruffo, Gigli, Scipo
et d'autres, est monté à plusieurs reprises sur la scène avec l'illustre
basse. Leur première rencontre eut lieu à l'Opéra de Monte Carlo,
dans la saison de 1905-1907. En décembre 1921 ils se rencontrèrent
de nouveau sur la scène du Metropolitan Opéra dans Boris
Godounov.
Dans les années 1924-1929, Armand Tokatian chanta avec eux dans Boris
Godounov. Cet éminent ténor, formé à Milan, a chanté sur la scène
du Metropolitan pendant près de vingt-cinq ans. Chaliapine et Tokatian
se sont produits ensemble à plusieurs reprises dans Faust.
Dans les quatre dernières années de la vie artistique de Chaliapine,
la pianiste de talent Maria Galamkarian l'accompagnait au piano. Ils
se sont produits ensemble au cours de longues tournées européennes.
La dernière fois Galamkarian a accompagné Chaliapine le 18 juin 1937,
à Paris, à la salle Pleyel. A un de ces récitals, Chaliapine interpréta
les romances de Beethoven, de Schubert, de Rubinstein et d'autres
compositeurs, des airs d'opéra, des chants populaires russes. Ce fut
l'avant-dernier concert de Chaliapine, la maladie devant mettre une
fin prématurée à la carrière du grand artiste.
|