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- (p189) L'école de musique nationale arménienne,
dont la formation date des années soixante du siècle dernier et qui
a pour promoteur le compositeur Tigran TCHOUKHADJIAN (1836-1898), a
hérité des traditions millénaires de la culture musicale de son peuple.
La cristallisation d'un style national dans la musique s'est opérée
par deux voies : la résurrection des traditions du folklore musical
et l'assimilation de la musique classique, russe et occidentale.
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- Le premier chez qui les orientations progressistes
se manifestèrent le plus pleinement fut le grand compositeur arménien
KOMITAS (Soghomon Soghomonian, 1869-1935). C'est lui qui proclama que
la source principale et la base même de la musique professionnelle étaient
la musique populaire. D'après lui, la spécificité de l'art national
consiste dans la naissance d'une mélodie à partir des intonations mêmes
de la parole, ce que confirme la branche paysanne - la plus originale
- du folklore musical. Komitas mit à jour l'originalité et les lois
propres de la structure harmonique de la musique populaire arménienne,
très différente au fond du système des tons en majeur ou en mineur de
la musique européenne, notamment l'absence de l'octave, la monotonalité
et l'accouplement consécutif de trois tétracordes.
Mariant heureusement l'inspiration de l'artiste, le riche talent du
musicien, la curiosité et la perspicacité du penseur et du savant, Komitas
sut tracer la voie qu'allait suivre après lui l'art national. Les traditions
créées par lui s'avérèrent extrêmement fécondes pour les générations
suivantes de compositeurs, et notamment pour des tempéraments aussi
différents que ceux de nos contemporains Arno Babadjanian et Edouard
Mirzoïan, Edgar Ohanessian et Tigran Mansourian. L'Arménie s'apprête
à fêter le centenaire de la naissance de Komitas le 8 octobre 1969,
comme une grande fête de la musique nationale
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- Ce sont d'autres voies, tout aussi valables,
qui ont amené Alexandre SPENDIARIAN (Spendiarov, 1871-1928) à poser
les fondements classiques de la musique professionnelle arménienne.
Elève de l'école de composition russe, de Rimski-Korsakov en particulier,
Spendiarian a commencé sa carrière musicale comme orientaliste. Plus
tard, parvenu à l'âge mûr, il se tourna entièrement vers l'art de son
pays, qu'il enrichit considérablement. Son œuvre est complexe. Depuis
les premières romances et pièces instrumentales écrites au début des
années 1890, jusqu'à l'opéra Almast, grande œuvre d'inspiration
héroïque et patriotique, créée en 1928, elle est faite de (p.190)
recherches et de tâtonnements pour arriver à créer un style personnel
d'une technique sans faille.
Les changements survenus dans la vie sociale et culturelle par suite
de l'établissement du pouvoir soviétique en 1920 ont eu une importance
exceptionnelle pour l'art national arménien.
La création à Erevan en 1923, dans des conditions extrêmement difficiles,
en pleine période de reconstruction, du Conservatoire de musique, fut
comme le signe des temps nouveaux. Ce sont ses pupilles qui ont participé
à l'organisation du Théâtre de l'opéra et de la Philharmonie, ainsi
que d'écoles et d'enseignement de la musique, ce sont eux qui ont développé
la création musicale.
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- Note additive de M. Alexandre Siranossian
(Conservatoire de Romans sur Isère ) :
Le trio de A. Katchatourian est écrit pour violon, clarinette et piano.
Cette oeuvre est la première du jeune compositeur jouée à l'étranger.
C'était à Paris en 1930, grace à S. Prokofiev qui ramena cette partition
après son voyage à Moscou. Il était tres lié à Miakovski le professeur
de A.K. , qu'il rencontra dans un cours de composition au conservatoire.
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- Le sens et le contenu philosophique et artistique
de l'ère nouvelle se firent pleinement sentir dès les années trente,
et c'est ici qu'apparaît le nom d'Aram KHATCHATOURIAN (né en 1903),
dont l'œuvre a représenté un apport considérable dans la formation et
le développement de nombreuses écoles de composition des pays d'Orient.
Khatchatourian a fait hardiment reculer les limites dans lesquelles
se maintenait la musique nationale, qu'il s'agisse des thèmes, des genres
ou des moyens d'expression. Ses œuvres se reconnaissent à la richesse
de la mélodie instrumentale, à la variété des rythmes souples, bien
frappés, quelque peu fantastiques, à un langage harmonique singulièrement
intense pour la musique monodique du folklore arménien, à la diversité
des formes du chant polyphonique. Avec sa prédilection pour les grandes
formes, son goût pour les genres différents, le compositeur écrivit,
dans le courant des années 1930 : une Sonate pour violon et piano,
un Trio pour piano et clarinette, une Suite dansante pour
orchestre symphonique, une Symphonie, un Poème symphonique,
un Concerto pour piano et orchestre, un ballet Bonheur (intitulé,
après retouche, Gayané). C'est intentionnellement que nous énumérons
ces œuvres, chacune d'elles étant la première du genre dans la musique
nationale arménienne.
Aram Khatchatourian est de ces heureux artistes dont on reconnaît la
main dès les premières mesures. L'extrême diversité des moyens utilisés
n'empêche jamais la communication de l'émotion, qui lui est absolument
propre, et qui trouve toujours le chemin le plus court pour toucher
le cœur de l'auditeur.
Dès les premiers pas, on vit s'affirmer les traits caractéristiques
de sa manière : le don de l'improvisation, le rythme dansant, le goût
des contrastes brusques. La violence des sentiments, un tempérament
de feu, le dynamisme lui sont propres également, au même titre que la
profondeur philosophique, un sens élevé du tragique, un lyrisme contemplatif,
de la poésie.
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- Les principes novateurs d'Aram Khatchatourian
inspirèrent toute une pléiade de compositeurs qui entrèrent dans la
carrière musicale après 1940 et qui sont aujourd'hui les figures les
plus en vue de l'école de composition arménienne. Ce sont Alexandre
Aroutiounian, Arno Babadjanian et Edouard Mirzoïan. L'œuvre d'Alexandre
AROUTIOUNIAN (né en 1920) séduit par sa spontanéité, sa franchise, la
vivacité de la pensée et la pureté du sentiment. Le compositeur montre
un intérêt qui ne se dément pas pour le thème de la Patrie, des hommes
qui l'habitent, pour son passé et son présent (il a écrit notamment
Cantate de la Patrie, une (p.191) Symphonie, un
cycle vocal intitulé le Dit du peuple arménien et une pièce intitulée
Ouverture de fête). L'intégrité de ses conceptions donne à sa
musique de solides attaches nationales. On observe aussi chez lui le
renouvellement hardi des moyens d'expression, ce dont témoigne particulièrement
bien la Symphoniette pour orchestre de chambre écrite il y a
deux ans.
- Note additive de M. Alexandre Siranossian
(Conservatoire de Romans sur Isère ) :
L'oeuvre la plus connue d'Alexandre Haroutounian est le Concerto
pour trompette qui n'est pas cité. Cette oeuvre est dans le repertoire
d'études de "tous" les trompettistes du monde. Dans le repertoire de
cet instrument 3 concertos sont connus dans le monde musical: le concerto
de N.Télémann ,de J. Haydn et celui de A.Haroutounian. Cette oeuvre
est tres souvent jouée en concert de part le monde. Ce concerto retiendra
dans l'histoire de la musique le nom du compositeur. Il a également
écrit un concerto-variations pour trompette qui n'a pas connu le même
succès.
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- Le talent d'Arno BABADJANIAN (né en 1921) s'exprime
le plus pleinement dans la musique instrumentale et la musique de chambre.
Au piano, Babadjanian a une envergure proprement rachmaninovienne, et
sa palette étincelle de couleurs peu communes. Babadjanian pianiste
est le fidèle conseiller de Babadjanian compositeur.
Ses œuvres pour piano - la Sonate polyphonique, un Capriccio,
les Six Tableaux, un Poème, la Ballade héroïque
pour piano et orchestre, un Trio pour piano - appartiennent aux meilleures
pages de la littérature nationale pour piano. Elles font partie du répertoire
des interprètes aussi bien russes qu'étrangers. Une certaine largeur
de vues, l'intensité de l'émotion, une force élémentaire assagie par
l'intelligence, ces traits, caractéristiques de l'œuvre de Babadjanian,
enchantent de nombreux amateurs de son art. Arno Babadjanian est aussi
largement connu en tant que chansonnier. Pourtant, c'est ce qu'il a
écrit de meilleur dans le genre sérieux qui lui a valu la renommée d'un
des plus brillants représentants de la musique soviétique.
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- L'Union des compositeurs de l'Arménie est depuis
longtemps présidée par Edouard MIRZOÏAN (né en 1921). Il a formé un
grand nombre de jeunes compositeurs dont les œuvres ont déjà été reconnues
par le public. Mirzoïan manifeste un vif intérêt pour tout ce qui est
nouveau, un effort constant pour renouveler le langage des intonations,
les moyens d'expression harmoniques et polyphoniques, en procédant à
une habile synthèse de ces moyens d'expression avec des traditions classiques.
Ses meilleures œuvres sont : le Thème à variations pour quatuor
à cordes, la Symphonie pour instruments à cordes et timbales,
la Sonate pour violoncelle et piano. Les pièces symphoniques
et instrumentales prédominent dans son œuvre. Elles se distinguent par
la profondeur et le poids de l'idée, la richesse et la grandeur des
émotions, et une grande concentration intérieure. On sent dans l'œuvre
de Mirzoïan une longue et austère maturation, et cette finesse de détails,
cette netteté de composition qui permettent de la comparer à l'œuvre
d'un graveur.
- Ces dix dernières années, on a vu de nombreux
musiciens se tourner vers la musique de chambre, la musique instrumentale
et la musique symphonique. Plus de vingt-cinq symphonies ont vu le jour
ces toutes dernières années, ainsi qu'un grand nombre de concertos pour
instruments ou pour orchestre seul, de quatuors, d'œuvres aussi différentes
par l'inspiration que par les mérites artistiques. Cependant, si différentes
soient-elles, ces œuvres révèlent deux tendances fondamentales, la première
étant la prédominance du thème de l'actualité : depuis Aram Khatchatourian,
ce thème est au centre de l'œuvre des compositeurs arméniens, sous forme
lyrique ou tragique, épique ou dramatique. L'homme d'aujourd'hui, un
homme qui pense, qui agit et qui sent profondément, est la figure centrale
de bien des œuvres musicales arméniennes.
Aram Khatchatourian fut le premier à "émanciper" ses compatriotes qui
ignoraient jusqu'alors l'expression libre des émotions. En effet, la
musique populaire (p.192) et religieuse du passé se caractérisait
surtout par une extrême retenue dans l'expression des affections les
plus profondes. Les générations suivantes de compositeurs reçurent de
lui cette liberté dans l'expression des émotions de l'âme. Une lyrique
ivresse de vivre, un mode romantique et sublime de penser et de sentir,
de graves collisions tragiques ou dramatiques, voilà ce dont sont faites
les œuvres de Grigori Eghiazarian, de Lazare Sarian, d'Arno Babadjanian,
d'Edouard Mirzoïan, de Djivan Ter-Tatévossian, de Constantin Orbélian
et d'Emine Aristakessian. D'autres œuvres, écrites sur des sujets mythologiques
ou légendaires, révèlent elles aussi un sentiment aigu de l'actualité.
Cela est particulièrement vrai pour les deux ballets l'Eternelle idole
et Prométhée, qui ont tous deux été montés sur la scène de l'Opéra Spendiarian
d'Erevan.
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- L'auteur du ballet l'Eternelle idole
est Edgar OHANESSIAN (né en 1930), compositeur qui excelle dans les
genres les plus divers de la musique vocale, instrumentale et symphonique.
Il est l'auteur de trois ballets, d'une Symphonie, d'un Concerto
pour saxophone, de cantates, de quatre quatuors pour instruments à cordes,
d'un poème avec chœurs les Deux rives, de romances et de chansons.
Indépendamment du genre auquel elles appartiennent, les œuvres d'Edgar
Ohanessian se distinguent des autres œuvres de la musique arménienne
moderne par quelque chose de secret, une stricte économie des moyens
d'expression, une prédilection pour les formes de style épico-dramatique.
A la question : lequel de ses élèves il désignerait comme se singularisant
des autres, Aram Khatchatourian nomma Edgar Ohanessian pour son sérieux,
sa profondeur, son don de chercher et de trouver, pour sa foi en la
nécessité de la création artistique.
L'Eternelle idole fait revivre l'Arménie païenne, en nous narrant
la tragique histoire des amants Astiné et Burat, éternelle histoire
de la lutte contre le mal, la violence et la perfidie. La musique en
est belle et ceux-là même qui critiquaient l'œuvre d'Edgar Ohanessian
comme trop rationnelle, l'apprécièrent hautement pour son intensité
- rare chez ce compositeur - et sa puissance émotionnelle. Il faut encore
remarquer chez lui - bien qu'il recoure extrêmement rare à la reproduction
littérale des tournures de la musique populaire - un caractère national
nettement marqué.
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- Le ballet Prométhée du jeune compositeur
Emine ARISTAKESSIAN (né en 1937), l'auteur d'une Symphonie, d'un
Concerto pour alto et orchestre, de pièces instrumentales, de
romances, est une œuvre peu commune d'inspiration et d'exécution, quoique
inégale dans son ensemble. Le mythe antique, lu avec des yeux neufs
par le librettiste et chorégraphe Evguéni Tchanga et le compositeur
Aristakessian, nous montre Prométhée faisant jaillir le feu (traditionnellement,
il le vole), le Pouvoir et la Force exerçant leur violence et l'Humanité
les exterminant au nom de la lumière et de la raison, pour délivrer
Prométhée.
Le ballet d'Aristakessian, moderne, dynamique, limpide, a un léger défaut
: l'élément rythmique y est trop accentué et risque parfois d'engendrer
la monotonie.
L'autre tendance qui se fait jour dans la musique arménienne moderne
est l'extension des moyens d'expression. Le processus d'enrichissement
du style national est complexe et présente divers aspects. On s'attache
d'abord à faire ressortir les aspects (p.193) de la musique nationale
elle-même, qui jusqu'à présent n'étaient que faiblement développés dans
la musique professionnelle : le goût de la rigueur et de la retenue,
la sobriété et la justesse des proportions, qui caractérisent l'art
de l'Arménie médiévale, sa musique et son architecture. Cette tendance
va de pair avec le développement du principe épico-dramatique. On assiste
ces dernières années à un retour aux divers registres de la musique
arménienne du Moyen Age, et notamment aux charakans et aux méghédis
spirituels, aux taghs laïcs et religieux, qui furent les formes
les plus répandues de la musique monodique médiévale. Plus encore que
les autres, les taghs lyriques et philosophiques se distinguaient
par leur haut degré de stylisation, la parfaite justesse d'une forme
largement chantante et la perfection de la composition. On assiste aujourd'hui
à l'éclosion sur le sol arménien d'un néo-classicisme qui présente une
synthèse des traits de l'art arménien et du classicisme européen. On
trouve des exemples de cette synthèse dans l'œuvre d'Edouard Mirzoïan
ou de Tigran Mansourian.
Les compositeurs de la deuxième génération et plus encore les jeunes
ont fait reculer les limites du style national, en renforçant l'intérêt
pour les moyens d'expression modernes, notamment pour la technique sérielle
ou aléatoire. Le goût de l'innovation n'avait rien que de très naturel,
mais la tâche était extrêmement difficile, et l'on a pu voir, dans certains
cas, l'engouement pour les moyens nouveaux d'expression prendre une
importance primordiale, ce qui ne manqua pas de nuire à la qualité des
œuvres.
Cependant, il nous semble que trois au moins parmi les compositeurs
arméniens surent utiliser avec succès les moyens les plus modernes de
l'expression musicale. Car ils surent les assujettir à un but esthétique
précis. Ce sont Arno Babadjanian, Djivan Ter-Tatévossian et Tigran Mansourian.
Des pièces aussi différentes que les Six tableaux, le Poème
pour piano et le Concerto pour violoncelle d'Arno Babadjanian,
le Deuxième quatuor à cordes de Djivan Ter-Tatévossian, les œuvres de
chambre de Tigran Mansourian, ont toutes ce même mérite d'enrichir résolument
le champ du rythme et des intonations, et ceci, tout en gardant fidèlement
les caractères essentiels du style national.
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- L'œuvre de Tigran MANSOURIAN, aujourd'hui boursier
de thèse du Conservatoire d'Erévan (son directeur d'études, Lazare Sarian,
est un musicien cultivé doué d'un goût délicat), est l'expression des
élans les plus hardis et en même temps les plus sains de la jeunesse
musicale arménienne. Quoiqu' encore très jeune (il a 29 ans), c'est
un musicien qui connaît à fond tous les courants de la musique moderne.
Il a grand soin de garder de la retenue et de l'esprit critique dans
l'emploi des nouveaux moyens d'expression, et d'éviter tout ce qui pourrait
entacher la pureté et l'intégrité du style national.
L'intérêt passionné que Mansourian porte à tout ce qui est nouveau en
poésie et en musique (qu'il suffise de citer ses romances sur les poésies
de Garcia Lorca) va de pair, chez lui, avec un amour intense pour l'héritage
poétique et musical de l'Arménie médiévale. L'exemple en est son Cahier
de cantiques de deuil, sur des textes du poète du XIIIe siècle. Khatchatour
Kétcharatsi, et ses romances sur des textes du poète lyrique du XVIe
siècle, Nahapet Koutchak. La poésie, vibrante d'émotion, du poète médiéval
transmit au compositeur cette inspiration lyrique, cette chaleur (p.194)
affective, qui avaient fait défaut à certaines de ses œuvres antérieures,
exagérément ascétiques. En se tournant vers la romance, Tigran Mansourian,
connu pour sa musique de chambre et instrumentale, fut l'un des premiers
à secouer cette stérile inertie qui faisait sous-estimer jusqu'alors
la musique vocale en Arménie. Ecoutons ce que dit Mansourian lui-même
à ce propos : "La musique vocale m'apparaît comme une sphère particulièrement
propice à l'expérience, à la recherche d'un lexique personnel et vivant.
Premièrement, le mot peut servir - et sert effectivement - d'élément
formateur. Grâce à lui, le langage musical évite cet écueil qui le guette
d'un certain flou, de l'instabilité. Deuxièmement, la musique vocale
exige une parfaite sincérité, elle interdit de feindre. Il me semble
que le plus urgent pour nous, c'est de nous débarrasser des "lieux communs"
qui ont cours dans notre langage musical. Il est très important de travailler
dans le sillage de notre école nationale et d'être l'un des maillons
de son développement."
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- Quant à Mansourian lui-même, il est en musique
vocale le successeur spirituel de l'illustre père de la romance arménienne,
Romanos MELIKIAN (1883-1935), musicien lyrique d'une exquise finesse.
Espérons que la précieuse initiative de Tigran Mansourian, dont le mérite
n'est pas d'avoir composé telle ou telle pièce vocale, mais bien d'avoir
renouvelé cette branche de la musique, trouvera parmi la jeunesse des
talents pour la reprendre et la développer
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- Pour ce qui est de l'opéra et de ce genre en
général, il était, jusqu'à une époque toute récente, une cause d'inquiétude
et de peine, autant pour les compositeurs que pour les amateurs de musique.
Par bonheur, la glace qui paralysait ce genre, que d'aucuns trouvaient
discutable à notre époque, a enfin été brisée. L'opéra l'Anneau de
feu d'Avet TERTERIAN (né en 1929), compositeur qui a toujours marqué
une inclination pour la musique vocale, a le premier vaincu l'hostilité
qui sévissait à l'égard de ce genre.
Les auteurs de cet opéra, le librettiste Chahnazarian, qui écrivit le
livret d'après la nouvelle de Boris Lavréniev le Quarante et unième
et les poèmes d'Eghiché Tcharentz, et le compositeur Avet Tertérian,
révisent complètement les traditions qui ont régi le genre de l'opéra.
La réduction du nombre des personnages (il n'y a que deux (p.195)
protagonistes), l'introduction d'un chœur qui tient le même rôle que
dans la tragédie antique, la présence d'un acteur-récitant, l'introduction
de répliques parlées dans la bouche du chœur et des personnages, toutes
ces innovations, loin d'être purement extérieures, tendent à faire ressortir
le sujet même de l'œuvre : la révolution et la destinée des individus
au moment le plus dramatique de leur vie, quand ils cherchent le moyen
de sauvegarder leur idéal personnel et quand naît en eux un sentiment
violent.
En puisant aux différentes sources de la musique arménienne, la source
populaire et religieuse, moderne et médiévale, et en les utilisant d'une
façon personnelle, le compositeur a su garder une unité de style qui
est surtout frappante dans les parties vocales de l'opéra. La partie
du chœur, composé tantôt de voix de femmes, tantôt de voix d'hommes,
et tantôt mixte, mais toujours également expressif, dans le dramatique
comme dans le narratif, est l'une des plus brillantes réussites de Tertérian.
Le rôle de l'orchestre n'est pas minime non plus : c'est lui qui fait
entrevoir l'univers des sentiments personnels des héros. Cependant,
la partie orchestrale de l'Anneau de feu peint l'univers psychologique
des protagonistes, plutôt qu'elle ne "mène" l'action, d'où une certaine
lenteur, un certain statisme, qui nuisent à l'opéra dans son ensemble.
Chose d'autant plus regrettable que cette œuvre novatrice et, au fond,
réussie, peut tenir longtemps la scène et pas uniquement à Erevan.
Par bonheur, l'heureuse initiative de certains compositeurs de revenir
aux genres de l'opéra et du ballet s'est avérée contagieuse. L'Opéra
Spendiarian prépare actuellement le Désastre, opéra de Guévorg
Arménian, un autre d'Alexandre Aroutiounian Sayat-Nova, l'opéra-ballet
d'Erik Aroutiounian les Hommes de notre planète, des ballets
la Ballade du soldat de Constantin Orbélian et Physiciens
de Stépan Chakarian.
L'école de composition arménienne traverse actuellement l'âge de sa
maturité, à la fois artistique et professionnelle. C'est la maturité
d'un jeune talent qui, sans rompre avec les traditions, tend constamment
vers le nouveau.
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- Margarita AROUTIOUNIAN
- Aperçu bibliographique sur les compositeurs
arménienns dans l'Encyclopédie arménienne (Erévan
1974 - 1987)
R.P. Komitas : Tome V, p 538-541- Aram Khatchadourian : Tome V,
p19 - Alexandre Aroutiounian : Tome VI, p315 - Arno Babadjanian : Tome
II, p188 - Edgar Ohannessian : Tome VI, p569 - Emine Arestakessian :
Tome II, p 62
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