La diffusion par Arte du documentaire "Le génocide arménien" représente un exercice subtil de double langage. Le titre sans ambiguïté, affirmant à l'extérieur du film qu'il s'agit bien d'un génocide, relève du regard contemporain on ne peut plus objectif et sobre 90 ans après les faits. En revanche, le traitement de la période allant de 1919 à 1923, c'est-à-dire du procès des bourreaux au Traité de Lausanne, introduit une opération sémantique et politique d'une extrême subtilité. En effet, le terme de génocide n'existant qu'à partir de 1944, de façon rétroactive, la Turquie ne peut être soupçonnée de négationnisme jusqu'au 9 décembre 1948, date de la "Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide". Etant donné qu'aucune allusion n'est faite dans le film à l'attitude négationniste de la Turquie depuis cette date, le contenu politique en est ainsi complètement vidé et le génocide, titre du film, devient du coup une pure appréciation extérieure aux responsabilités politiques qu'entraîne automatiquement la caractérisation de tout génocide.
Ce documentaire ouvre la porte à une interprétation historicisante qui peut durer encore 10 ans, voire plus, en laissant ce débat ouvert et sans conclusion, précisément ce que recherche le gouvernement d'Ankara aujourd'hui.