Omission(s) ou occultation(s)
à la TV ?
Un exemple d’échanges d’e-mails…
- Voici un échange de courrier à propos d’une
émission régulière à LCI
(la Chaîne Info)
- E-mails de Messieurs :
. Pierre-Luc
Séguillon
. Ara Toranian, rédacteur en Chef des Nouvelles
d’Arménie Magazine
. Nil Agopoff, chercheur au CRDA,
Il s’agit d’un interview de Monsieur Javier
Solona, secrétaire général de l’OTAN, de passage à Paris : un interview
où l’on omet de parler de la reconnaissance de 1915 comme condition
nécessaire à la candidature de la Turquie à l’Union européenne.
Il est intéressant de voir les décalages et
les différentes priorités qui existent entre
. un journaliste professionnel-chroniqueur politique
. et des descendants des survivants d’un génocide des différences et
des décalages qui sont exprimés grâce à l'internet.
- Message de Nil Agopoff du CRDA à Pierre-Luc
Séguillon de La Chaine Info
Mardi, 2 Juillet 2002
Monsieur Pierre-Louis Séguillon LCI
Monsieur,
Dans votre émission d’hier, recevant Monsieur
Javier Solona, à propos de la candidature de la Turquie à l'entrée à
l'Union européenne, vous ne faites pas mention :
- que la Turquie est invitée de nouveau à reconnaître le génocide arménien
de 1915 (Bruxelles 28 Février 2002)
- et que la France a reconnu publiquement ce génocide par une loi.
Pourquoi ces deux omissions ? Cela peut être perçu
comme une désinformation sur la nature de la vie politique en Turquie
: car il y a un négationnisme d’Etat sur lequel s’appuient et se confortent
les non-respects des droits de l’homme en Turquie.
Dans l'attente d'une réponse de votre part, je
vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.
Nil Agopoff
- Message d’Ara Toranian de Nouvelles d’Arménie
Magazine à Pierre-Luc Séguillon de La Chaine Info
Mardi, 2 Juillet 2002
On me signale que lors de votre interview avec
Javier Solana, vous avez omis de mentionner la question de la reconnaissance
du génocide arménien par la Turquie comme condition d’entrée dans l’EU.
Je le regrette d’autant plus que ce préalable a été rappelé il y a encore
peu de temps à Strasbourg. Cette affaire de reconnaissance ne vient
pas systématiquement à l’esprit quand on parle de l’intégration de la
Turquie car on s’imagine qu’il s’agit d’événement ancien. Or le négationnisme
de l’Etat turc est tout à fait contemporain. Il perdure jusqu’à aujourd’hui,
insultant en cela la mémoire des victimes, empêchant la cicatrisation
des plaies chez les enfants de rescapés et empoisonnant le climat régional.
Il serait souhaitable que les journalistes, car vous n’êtes pas le seul
en cause, loin s’en faut, rattrapent sur cette question leur retard
sur les politiques européens et aient le réflexe de poser cette question
dont les incidences sont multiples en Turquie (ultra nationalisme turc,
question de Chypre, du Kurdistan, des libertés démocratiques, des atteintes
aux droits de la presse, de la peine de mort etc…lire les rapports d’Amnistie).
Salutations confraternelles. Ara Toranain
- Message de Pierre-Luc Séguillon de La Chaine
Info à Ara Toranian de Nouvelles d’Arménie Magazine
Jeudi, 4 Juillet 2002
A l'intention de Ara Toranian directeur des Nouvelles
d'Arménie Magazine
Cher Monsieur, J'ai bien reçu votre message. La
reconnaissance du génocide arménien par la Turquie est effectivement
une condition de l'entrée de ce pays dans l'U.E. Mais ma question portait
sur les rapports entre Athènes et Ankara et je n'ai demandé à Javier
Solana ce qu'était sa position sur l'entrée de la Turquie dans l'U.E.
qu'en fin d'émission et sous forme d'incidente. Avec mes salutations.
Pierre Luc Séguillon Message de Pierre-Luc Séguillon de La Chaine Info
à Nil Agopoff du CRDA Jeudi, 4 Juillet 2002 A l'intention de Monsieur
Nil Agopoff J'ai bien reçu votre message. Je n'oublie nullement le génocide
perpétré il y près d'un siècle par la Turquie à l'encontre du peuple
arménien. Je ne vois pas cependant en quoi poser aujourd'hui à Javier
Solana une question sur l'éventuelle entrée de la Turquie dans l'Union
européenne sans mentionner la condamnation du génocide arménien par
le parlement français il y a plusieurs mois relève de la désinformation
! Avec mes salutations. Pierre Luc Séguillon
- Message de Nil Agopoff du CRDA à Pierre-Luc
Séguillon de La Chaine Info
Lundi, 8 Juillet 2002
Monsieur Pierre-Luc Séguillon La Chaîne Info -
LCI
Monsieur,
J’ai bien reçu votre réponse et je vous en remercie.
Je ne doute pas que vous n’oubliez pas le génocide
arménien.
Cependant ne pas parler du génocide arménien à
propos de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne nécessitant
en premier lieu le respect des droits de l’Homme, revient comme ce fut
le cas lors de la préparation de la Conférence mondiale contre le racisme
qui a eu lieu à Durban, à ne pas vouloir parler de la traite négrière,
de l’esclavage et des ravages du colonialisme.
De plus l’omission médiatique d’un génocide qui
est imprescriptible, conduit à l’occultation de son crime, surtout si
ce génocide :
. est resté impuni
. si l’Etat héritier en question ne l’a pas reconnu,
. et si on ne veut pas parler de réparations.
Cette occultation :
. escamote la nature criminelle de l’événement comme si de rien n’était
. change le sens de cet événement même en disant qu’on ne l’a pas oublié
. et contribue à construire une non-existence contraire à la reconnaissance
publique par la loi.
Maintenant sur quel registre se situera l’information
médiatique relative aux incompatibilités politiques à l’entrée éventuelle
de la Turquie à l’Union européenne ? Sera-t-elle :
. uniquement à propos du non-respect actuel des droits de l’Homme par
l’Etat turc ?
. ou bien en tenant compte aussi du socle de la non-reconnaissance de
1915 sur lequel s’appuie confortablement et fermement l’Etat turc actuel
?
Ce socle bétonné par le silence complice des Etats
est rendu invisible par l’omission médiatique.
L’information médiatique sur la Turquie
. signalera-t-elle son non-respect des droits de l’Homme qui est la
partie visible de l’iceberg-génocide ?
. ferra-t-elle aussi état de sa partie invisible structurée par le déni
actuel de ce génocide : un déni soutenu par l’Etat turc aliéné à son
idéologie kémaliste ?
. ou s’en tiendra-t-elle à une rhétorique politiquement correcte ? Avec
une formulation aseptisée ? Comme si on s’entretenait de la blancheur
immaculée de la neige qui recouvre le tout…
Comment les commentateurs politiques verront cette
candidature de la Turquie -dont certains n’hésitent pas à présenter
volontiers cette dernière comme « une (grande) amie de la Grèce » ?
L’arbre cache la forêt : veux-t-on analyser les conséquences importantes
et réelles en Turquie du déni du génocide de 1915 ? Les commentateurs
politiques auront-ils la qualification nécessaire pour VOIR AUSSI les
ravages de ce déni dans les inconscients collectifs : à la fois dans
les communautés arméniennes que dans la société turque d’aujourd’hui
?
Comment cette information médiatique présentera
la candidature politique de la Turquie actuelle à l’entrée à l’Union
européenne, la Turquie pourtant un Etat champion du négationnisme? Comment
cette information risque-t-elle d’être perçue comme une désinformation
souterraine ou rampante ? Sinon, avec quelle stratégie sémantique agira
réellement cette désinformation sous la pression des lobbies au service
des grands groupes économico-industriels ? N’y a-t-il pas là le risque
de nous accoutumer à des informations frappées d’amnésies artificielles,
sélectives ou sous forme d’incidente ?
Autant de questions que beaucoup de téléspectateurs
soucieux des droits de l’Homme peuvent se poser légitimement à l’égard
des informations concernant l’entrée éventuelle de la Turquie à l’Union
européenne : une Union qui ne peut qu’être de nature démocratique, c’est-à-dire
incompatible à tout déni de génocide.
Je vous prie d’agréer Monsieur, l’expression
de mes sentiments distingués.
Nil V. Agopoff
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