La voie ouverte par le
CRDA
Vartan Oskanian et Jean-Claude
Kébabdjian
au Ministère des Affaires Étrangères.en Arménie
|
par
Jean-Claude Kébabdjian
Président-fondateur du CRDA
-
Le CRDA, depuis quelques
années, a ouvert une voie nouvelle en diaspora. Un
rappel historique est nécessaire. En effet, notre Association
a, la première, fait connaître les travaux et les engagements
d'intellectuels et de militants des droits de l'homme, femmes
et hommes de Turquie et d'Allemagne, qui ont reconnu, au péril
de leur vie ou de leur sécurité, le génocide de 1915, qui ont
édité des livres (Ternon, Dadrian, Franz Werfel) et engagé des
actions courageuses pour la reconnaissance du génocide arménien
en Turquie.
|
-
Des compatriotes émirent, dès
le début de notre engagement, un sérieux bémol contre tout dialogue
avec lesdits militants. Des médias de la diaspora accueillirent cependant
favorablement nos initiatives (Azad magazine, la Lette de l'UGAB).
Notre action reçut un écho positif en Allemagne, en Turquie, au Liban,
aux Etats-Unis et en Arménie. Récemment encore, le ministre des Affaires
étrangères de la république d'Arménie, Vartan Oskanian, a rappelé
à Paris en termes nets et clairs la position de son pays :
« D'une façon générale, l'Arménie a toujours
salué le dialogue avec la Turquie, à tous les niveaux, mais cela avec
deux précisions importantes :
|
-
1) ce dialogue ne peut remplacer en aucun cas le dialogue arméno-turc
officiel au niveau des Etats
- 2) s'il y a une telle initiative, elle doit se passer de façon
à ne pas provoquer de graves fractures ou des contradictions dans
nos communautés et en Arménie.» |
- En juin 2000, dans une salle du Sénat, le CRDA
organisa une conférence internationale sur ce sujet, contribuant ainsi
fortement au succès de la reconnaissance du génocide par le Parlement
français, quelques mois plus tard, et cela en dépit d'obstacles réels.
En revanche, l'Arménie, quant à elle, et dès le début, malgré ses énormes
difficultés, estima de son devoir d'appuyer cette initiative historique,
la première du genre depuis cent trente ans, comme nous l'écrivions,
à se dérouler sur un plan international de façon ouverte, publique et
démocratique. Le colloque fut présenté à la télévision d'Etat d'Arménie
à plusieurs reprises avec des éloges appuyés; ensuite, les actes du
colloque furent publiés dans la revue de l'Académie des sciences d'Arménie
par l'Institut du génocide d'Erévan.
- Personne, en Arménie, ne fut choqué par le fait
que le CRDA avait décidé d'élargir le panel en y faisant intervenir,
aux côtés d'un militant aussi engagé que Ragip Zarakolu (l'éditeur en
Turquie d'ouvrages sur le génocide), des interlocuteurs d'Istanbul se
trouvant sur d'autres positions; personne alors en Arménie ne parla
de la nécessité d'un préalable à une telle conférence de la part des
conférenciers qui nous faisaient l'honneur de venir à Paris.
- Une étape nouvelle, grâce au CRDA, venait ainsi
d'être franchie, car le passage du dialogue (ou discussion consensuelle
avec des amis acquis) à la discussion contradictoire, serrée et difficile,
cette fois, avait lieu, et d'abord entre intellectuels de Turquie ne
partageant pas forcément les vues d'un Ragip Zarakolu. Cette première
historique se déroula à Paris, suivie du vote de la Loi française sur
le génocide.
- Que s'est-il passé depuis, alors que l'Arménie,
elle, continue à soutenir ces initiatives « à tous les niveaux », pour
qu'un tel dialogue recommence à déplaire ? En vérité, rien de vraiment
sérieux.
- L'annonce récente de la création à Paris du
Forum pour le rapprochement arméno-turc (FRAT), composé de dix personnalités
françaises, turques et arméniennes vivant en France, issus de la société
civile, procèderait, d'après certains, d'un mauvais choix. Certes, on
pourrait en l'occurrence citer l'opinion, fort discutable, du pianiste
turc Hussein Sermet. Mais, est-ce vraiment là un obstacle ? Point du
tout ! Nous sommes au cour d'une discussion publique où chacun doit
s'exprimer, même si tel ou tel interlocuteur se trompe. Seule, la sincérité
des débats compte. Qu'a-t-on à craindre de la vérité ? Est-il nécessaire
d'être, dès le départ, à l'unisson pour faire jaillir la vérité ? Elargir
un cercle à ses propres contradicteurs n'est-il pas, au contraire, une
preuve d'assurance ? C'est dans cet état d'esprit que moi-même, à titre
personnel, j'accordai ma signature à la fondation du FRAT, en toute
logique et en toute conformité avec la voie suivie avec succès depuis
des années.
- Le FRAT, qui préparait un concert international
à l'UNESCO baptisé « Ouverture », devait annoncer l'arrêt complet de
ses activités pour calmer certains esprits. Le concert dédié à la paix
eut bien lieu, mais organisé par les artistes eux-mêmes.
«Surcontrer» le négationnisme
à l'infini, s'enfermer, ou reconstruire l'avenir
- Il est temps de se rendre compte que le sens
de l'Histoire nous pousse à retisser avec nos voisins des liens rompus
par le génocide, les guerres et les événements violents du passé. Des
Arméniens vivent encore en Turquie. L'Arménie a un voisin de 68 millions
d'habitants. Tout un monde bouge autour d'elle. Serait-il inutile de
s'y inscrire et d'y jouer un rôle positif , du moins de le tenter de
toutes ses forces ? Au lieu d'examiner cette situation, faut-il continuer
à exploiter le désespoir et le désarroi des Arméniens et culpabiliser
les jeunes ? Devons-nous regarder l'avenir en face - sans pour autant
renoncer à la reconnaissance du génocide (cela va sans dire, tant le
contraire serait aberrant!) - ou, à l'inverse, faut-il hypothéquer cet
avenir en nous bloquant sur le passé ? La question est posée.
- Qui peut dire que la Question arménienne, demeurée
au cour d'un enfermement, ne doit pas, au contraire, être discutée par
tous les acteurs internationaux de la vie politique contemporaine :
Allemagne, France, Etats-Unis, Turquie, Russie ? Le choix exclusif de
ne s'occuper que des instances étatiques turques négationnistes nous
semble un choix délibéré, un parti pris risqué, qui fait l'impasse sur
la société, la conscience humaine, l'opinion internationale, et le débat
au grand jour.
Une prophétie autoréalisée
- L'exploitation obsédante des moindres dires
des négationnistes revient à jouer de malheur, à entretenir une impasse,
à nous enfermer dans un face-à-face stérile. L'Arménie, plus réaliste,
ne craint pas que le dialogue tourne à la débandade. Que fait-elle d'autre
depuis dix ans avec la question du Karabagh ?
- On connaît le discours nous renvoyant à la guerre
et à ses « victimes des deux côtés ». Avons-nous à craindre ce débat
? Non, bien au contraire ! Ouvrons la boîte de Pandore de toutes les
craintes et de tous les constats, le génocide restera en soi, de toute
façon, hélas! une tache noire, unique, irréductible, sans amalgame possible.
Mais, et là est le point le plus important , est-ce que le génocide
des Arméniens de 1915 doit continuer à engendrer d'autres malheurs,
est-ce que nous devons rester dans cet enfermement, dans cette noire
fatalité et refuser toute nouvelle approche, claquer la porte avec mépris
?
- Et, à présent, voici que la Commission de réconciliation
arméno-turque (CRAT) de New York, hier vouée à l'enfer par les Arméniens,
risque de déboucher sur une reconnaissance du génocide ! Avions-nous
donc tort de dire nous-même, à l'époque, qu'il fallait discuter sans
aucune crainte ?
- Notre responsabilité historique, en tant que
diaspora, est de briser l'isolement de l'Arménie, de l'aider corps et
âme, donc de faire de la conscience arménienne une force positive tournée
vers l'ouverture, un lien puissant, une preuve de vie.
Il est plus que temps d'ouvrir cette nouvelle
voie.
J-C K.
|
|