- L’un des premiers articles de Charles Péguy dans la Revue socialiste, écrits alors qu’il n’avait que vingt-quatre ans, portaient sur « les affaires d’Orient ». Il s’agissait d’un commentaire libre sur l’ouvrage de l’historien Victor Bérard, 'La Politique du sultan' , ayant entraîné, entre 1894 et 1896, le massacre dans l’empire ottoman de trois cent mille arméniens par l’armée d’Abdul-Hamit II . Devant « la conspiration du silence » qui s’installa en France, alors que « le gouvernement tint le pays dans l’ignorance ou faussa les nouvelles », Charles Péguy avait défini le devoir des socialistes : « ils feront voir que de tels massacres, et les guerres qui s’ensuivent, sont non seulement possibles et probables, mais nécessaires selon le régime individualiste, à cause de la concurrence internationale, encore plus âpre s’il se peut et plus mauvaise que la concurrence interindividuelle ». Il ajouta qu’il fallait « dire la vérité » aux Français, les détromper sur l’alliance avec la Russie, une alliance responsable de l’inaction de la France dans les « affaires d’Orient » mais qui faussait sa vocation à la justice. En dépit du « discours formidable » de Jean Jaurès à la Chambre dénonçant le 3 novembre 1896, en compagnie du catholique Denys Cochin, les complicités françaises et la responsabilité du monde civilisé, « il n’en fut rien » et les Arméniens furent massacrés, écrivit Charles Péguy. Il parlait en 1899, au début de la deuxième partie de « L’Affaire Dreyfus et la crise du parti socialiste », et il rapprochait les deux événements, le renoncement français devant les grands massacres et l’avènement d’une « catholicité de la justice ». L’un et l’autre étaient indissolublement liés. La faillite de la conscience humaine en 1896 avait préparé l’éveil d’une « opinion publique universelle .
- "La Politique du Sultan" at été réédité en 2005 par les Ed. du Félin et préfacé par Martin Melkonian - Charles Péguy: le socialisme, la morale et la politique, Vincent Duclert, historien, professeur agrégé à l’EHESS. - Recherche historiographique : Louise Kiffer -
|