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- « Arméniens »
Poème élégiaque
Malheureux exilés, épave abandonnée
de ce peuple martyr qui fut toujours vaillant,
fils d'une mère esclave, sans cesse angoissée,
victimes d'un exploit sublime et émouvant :
en pays étranger, bannis de leurs foyers,
pâles et décharnés, dans un sombre taudis,
ils boivent et leurs cœurs gémissants sont blessés,
et chantent mais leurs chants sont de pleurs assouvis.
Ils boivent ... Dans le vin, ils trouveront l'oubli
des détresses passées et des chagrins présents,
leur souvenir sera par le vin assoupi
et pourra s'endormir leur esprit turbulent :
dans la tête alourdie s'effaceront alors
de leur mère éplorée les traits endoloris
et ils n'entendront plus, ivres dans leurs transports
l'appel désespéré qu'elle adresse à ses fils.
Comme un troupeau traqué par un fauve affamé,
un peu partout déjà les voilà dispersés:
le tyran sévissant les menace à jamais,
féroce et sans pitié - de son glaive dressé,
ayant abandonné leur patrie dans le sang,
ayant abandonné leurs maisons dans le feu,
si loin à l'étranger - les voici tous errants
et seule la taverne est ouverte pour eux.
Ils chantent ... Et leur chant gémit farouchement
car leurs cœurs sont blessés, rongés par les malheurs
la haine les étouffe en son épanchement
et leur visage blême est tout baigné de pleurs ...
Car leurs cœurs opprimés, de fiel sont saturés,
la raison est déjà par le feu consumée,
la foudre vient briller dans leurs yeux injectés
et l'âme est assoifée de vengeance effrénée.
Or, leurs voix sont mêlées à l'hiver, à l'orage
qui gronde dans la nuit, hurlant terriblement
Le chant de la révolte - au loin il le propage,
déchaîné dans le monde avec la voix des vents,
Et, sinistre, s'éteint toujours le firmament
et cette nuit glacée est toujours menaçante,
et toujours plus ardent, vole partout le chant,
et la tempête y mêle une voix plus puissante ...
Ils boivent en chantant... Épave abandonnée
de ce peuple martyr qui fut toujours vaillant,
fils d'une mère esclave, sans cesse angoissée,
victimes d'un exploit sublime et émouvant :
bannis de leurs foyers, dénudés et nu-pieds,
en pays étranger, dans un sombre taudis,
ils boivent, dans l'ivresse ils vont tout oublier
et chantent mais leurs chants sont de pleurs assouvis.
Peïo Yavorov poète bulgare (1878-1914)
traduit par Jacques Gaucheron (Site bulgaria-france.net)
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