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  • Le projet de la libération de l'Arménie d'Israël Ory et ses relations avec l'électeur Jean-Guillaume du Palatinat

  • Texte tiré de l'article "Le spathaire Nicolae Milescu et son rôle dans les relations des Arméniens avec Pierre le Grand" par H. Dj. SIRUNI

  • Revue Studia & Acta Orientala, (Bucaresti), 1959,II, pp 207-216

  • [page/N° >>] indique la page de l'article dans la publication roumaine.

  • Recherche bibliographique : Collection Nil Vahakn Agopoff

  • Correction et mise en page : Marie-Anne Le Métayer-Delbary

  • Iconographie à venir : Les Méliks du Karabagh, Etchmiadzine au XVII° siècle, Johann-Wilhlem, Dusseldorf, portrait de l'historien Siruni, etc.
  • [page/208]... des événements bouleversants s'étaient succédé au cours d'un siècle dans les pays habités par les Arméniens. Ce furent d'abord les invasions turques de 1578 dans toute la Transcaucasie ; puis, l'une après l'autre, les invasions des féodaux dans les régions arméniennes de la Turquie ; l'invasion du shah Abas au cœur de la Turquie, en 1603, et les guerres russo-persanes qui la suivirent, enfin, pendant le premier quart du XVIIe siècle, la révolte d'Abaza pacha contre le gouvernement d'Istanbul, puis de nouvelles guerres entre Turcs et Persans, au cours desquelles la ville d’Erivan changea plusieurs fois de maître.

  • Sous le coup de ces événements, la situation de l'Arménie devint de plus en plus tragique. Toutes ces invasions, tous les combats livrés sur son territoire finirent par épuiser le pays. Impôts et charges atteignirent un niveau sans précédent. Le peuple arménien se trouvait une fois de plus à bout de patience. La plus faible impulsion pouvait déclencher un nouveau mouvement. L'initiative d'une nouvelle tentative fut prise par les méliks, derniers survivants des anciennes familles féodales arméniennes, qui se maintenaient dans la région montagneuse de Karabagh, en Arménie orientale. La décision définitive fut prise au cours d'une réunion qui eut lieu en 1678 à Etchmiadzin sous la présidence du Catholicos et avec la participation de 12 notables arméniens, laïques et ecclésiastiques. Une délégation y fut constituée qui, ayant à sa tête le Catholicos octogénaire, devait aller en Europe pour solliciter une aide.

  • La délégation arriva à Constantinople, mais elle ne put continuer sa route, le vieux Catholicos étant tombé malade, d'un mal qui l'emporta en août 1680.C’est à ce moment que commence une nouvelle période dans l'histoire du mouvement d'émancipation du peuple arménien.Après la mort du Catholicos [page/209 >>] et la dispersion des délégués découragés, un jeune homme, Israël Ory, fils d'un mélik de Sisian, résolut de poursuivre la mission interrompue. Il avait participé à la conférence secrète d'Etchmiadzin et avait accompagné le Catholicos jusqu'à Constantinople.

  • Après la mort de celui-ci, il se rendit d'abord en France et s'enrôla dans l'armée de Louis XIV. Il y servit pendant douze ans et prit une part active à la guerre entre la France et l'Angleterre. Fait prisonnier, puis libéré, il passa en Allemagne et s'établit à Düsseldorf qui était à cette époque la capitale du Palatinat rhénan, gouverné par le prince électeur Jean Guillaume, beau-frère de l'empereur Léopold.

  • Ory entra au service du prince et pendant quatre ans il remplit les fonctions de commissaire dans quatre villes différentes. Devenu ensuite l'un des intimes de Jean Guillaume, il put exposer au prince électeur toute la tragédie du peuple arménien et lui confier le désir des méliks arméniens de secouer le joug de l'étranger. Il ajouta que ce qui manquait à ces princes, ce n'étaient ni les moyens matériels, ni les forces de combat, mais un chef. Ory proposa ce rôle à Jean Guillaume et lui offrit même pour l'avenir la couronne de l'Arménie ressuscitée. La perspective sourit à Jean Guillaume, qui chargea Ory de faire des sondages en ce sens sur les lieux mêmes.

  • Après un voyage plein de péripéties, Israël Ory arriva le 4 avril 1699 à Etchmiadzin, dont le Catholicos était Nahapet Edesatzi. L'accueil ne fut pas très chaleureux. Une autre déception attendait Ory à Gantzasar. Le Catholicos de cette ville, Pilibos, refusa également la proposition du messager d'embrasser le catholicisme en vue de s'assurer l'appui de l'Europe. Finalement il se trouva un archimandrite du nom de Minas, supérieur du monastère St. Hacob de Gantzasar, pour accepter la proposition.

  • Une assemblée secrète se tint alors à Anguégakot, avec la participation d'Israël Ory et des méliks. Elle eut une importance historique dans le mouvement de libération du peuple arménien. A la suite de délibérations qui durèrent vingt jours, on rédigea et signa une adresse au Pape, datée du 19 avril 1699, et par laquelle les assistants déclaraient, au nom du peuple arménien, être prêts à embrasser le catholicisme. Par une autre adresse, datée du 29 avril, les méliks proposaient à Jean Guillaume la couronne de l'Arménie, le priant d'envoyer d'abord son frère Charles à la tête d'une armée pour coopérer avec les forces locales au mouvement de libération.

  • Mais les participants à la réunion d'Anguégakot prirent aussi d'autres décisions, peut-être plus importantes encore. Ils jetèrent les bases d'une collaboration avec le peuple russe.

  • Conscients du rôle qui était réservé à la Russie dans la politique internationale, et surtout de l'importance de son rôle dans les événements qu'allait connaître le Proche-Orient, ils résolurent d'entrer en relations officielles avec l'empire russe.

  • Considérant insuffisantes les démarches auprès du prince électeur du Palatinat rhénan, ils décidèrent de faire appel aussi au tsar. Une adresse à Pierre le Grand, rédigée en langue arménienne, fut donc signée par les participants. Cette adresse, qui nous a été conservée, est le premier document officiel concernant les rapports entre le peuple arménien et l'Etat russe.

  • Aussitôt finie la réunion d'Anguégakot, Israël Ory, accompagné de l'archimandrite Minas, retourna auprès de l'électeur du Palatinat rhénan, Jean Guillaume.[page/210 >>] C'était pendant l'été de 1699.Ory revenait maintenant en Europe comme une sorte de représentant officiel des milieux dirigeants arméniens, investi de pouvoirs illimités.

  • Dans un rapport détaillé, il exposait au prince électeur non seulement les aspirations du peuple arménien, mais aussi les moyens propres à mener à leur réalisation. Le projet fut accueilli avec un vif intérêt par Jean Guillaume, qui le trouva parfaitement réalisable. Il fallait cependant qu'au préalable une sorte d'alliance fût conclue à ce sujet entre le Palatinat, la Toscane et l'empereur Léopold.

  • En vue de préparer le terrain pour cette alliance, Ory fut envoyé en Italie pour prendre contact avec le Pape et avec le grand duc de Toscane. Il fut bien accueilli tant à Rome qu'à Florence et des promesses lui furent faites.

  • Tout dépendait cependant de la position de Vienne, qui était à l'époque le centre où se résolvaient les grands problèmes européens. Muni de lettres d'introduction de la part de Jean Guillaume, Ory se rendit donc à Vienne. Léopold le reçut, exprima sa sympathie pour les aspirations des Arméniens, mais ne lui promit aucune aide effective. Il adressa cependant une lettre d'encouragement aux méliks et conseilla à Ory de s'adresser à la Russie car, disait-il, sans le secours de celle-ci, aucune action militaire du côté de la Caspienne n'était possible.

  • H. Dj. SIRUNI

  • Suite de l'article (avec des reproductions) : Israël Ory, le spathaire Milescu & Pierre le Grand

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