[(p24)] Dans le chapitre 
              précédent nous avons vu le contenu militaire de l'Unité de défense 
              du territoire arménien. Andranik convoqua le commandant Sembat, 
              et l'envoya au front de Bitlis, parce que les troupes de ce front 
              étaient constituées en majeure partie de ses compatriotes, et parce 
              qu'il connaissait bien la région. 
              
              Le commandant Sépouh vint lui-même auprès d'Andranik pour recevoir 
              des instructions, parce que le docteur Zavriev, commissaire de l'Aide 
              à l'Arménie, l'avait nommé commissaire à Baberd, sa ville natale. 
              Andranik lui donna les instructions nécessaires, et Sépouh partit 
              pour Baberd, à la tête de ses hommes. 
              
              Andranik nomma le colonel Baghdassarian commandant de la région 
              de Van et l'y envoya, mais le colonel n'alla jamais plus loin qu'Erévan. 
              Le colonel Silikian se trouvait déjà dans la région de Van. Mourad 
              était à Eriza et des nouvelles faisaient état d'engagements avec 
              l'avant-garde turque. 
              
              Le sous-colonel Torgom qu'Andranik nomma commandant du régiment 
              et de la garnison de Karine, gagna aussitôt son poste.
              Je parlerai plus en détail du colonel Torgom dans le cadre de la 
              chute de Karine. Le général Andranik 
              confia la défense de la forteresse de Karine au général Arichian, 
              mais celui-ci s'attarda à Tiflis, fit escale à Alexandropol, et 
              n'alla jamais plus loin. 
              
              Le général Arichian devait se trouver à Karine au mois de février 
              1918, en vue d'assurer la défense de la forteresse, et de prendre 
              les mesures nécessaires à la répression des insurrections des forces 
              locales turques. 
              
              Il ne faut pas oublier qu'après la prise de Karine par l'armée russe, 
              nombre de prisonniers turcs sur place, avaient caché leurs armes, 
              changé leur uniforme et se terraient dans la ville, ce qui préoccupait 
              très sérieusement Andranik. Il ne faut pas oublier un fait très 
              important pour l'histoire: avec l'accord du commandement du corps 
              des Arméniens de Russie, du commandement de l'Union arménienne de 
              la défense du territoire arménien, du Conseil national et du Conseil 
              de sécurité de l'Arménie, il avait été décidé que l'Unité de la 
              défense du territoire devait défendre la ligne de Van à Khenous, 
              et le corps des Arméniens de Russie, la ligne de Khenous à Karine 
              et jusqu'à la ligne géorgienne.
              
              A la demande du général Nazarbékov, Andranik envoya un grand nombre 
              de ses propres troupes vers Karine, pour compléter les effectifs 
              du corps, avant de commencer les opérations militaires. Andranik 
              et son Unité de défense du territoire ne devaient jamais rien avoir 
              avec la défense de Karine.
              
              N'ayant pu compléter les effectifs du corps, Andranik se vit obligé 
              d'assumer la défense de la forteresse trop tard, comme un pas désespéré. 
              Entre temps Andranik câbla à Mourad de quitter au plus tôt Eriza, 
              de transporter les provisions et les munitions à Mamakhatoun et 
              de se renforcer dans la chaîne de Mamakhatoun. Mais pour diverses 
              raisons locales dont je ne puis analyser ici la pertinence, Mourad 
              ne quitta pas Eriza. Cependant les motifs d'Andranik étaient logiques: 
              - Le front d'Eriza s'est trop étiré et les Turcs peuvent couper 
              les forces de Mourad.
              
              Une dépêche provenant de Paris promettait que les Alliés fourniraient 
              les finances nécessaires, mais l'aide tardait à venir. Les dépenses 
              courantes étaient couvertes par le fonds bien maigre du Commissariat 
              d'Arménie. On avait promis d'aider les familles des engagés, mais 
              les moyens manquaient. Les jeunes recrues qui avaient souvent à 
              leur charge femme et plusieurs enfants, partaient au front sans 
              laisser un sou à leur famille, tandis que la section de tutelle 
              se contentait, pour le moment, de dresser des constats.
              
              Les rangs du corps des Arméniens de Russie n'étaient toujours pas 
              complétés. Le général Nazarbékov était bien connu dans l'armée russe 
              pour sa compétence militaire et son courage, mais connaissait des 
              difficultés d'organisation, celle-ci ayant toujours été assurée 
              par ses aides.
              
              Nazarbékov était désemparé, avait les mains liées, parce que pour 
              entreprendre les opérations militaires, il était habitué que ses 
              troupes fussent fin prêtes.
              - Nous devons attaquer avant la fonte des neiges, répétait Andranik, 
              parce qu'après, nous ne seront plus en mesure d'arrêter les régiments 
              turcs. Mourad envoyait câble sur câble.
              - Envoyez des renforts, des officiers, les engagements sont commencés.
              - Nos pourparlers avec les Kurdes de Dersim sont interrompus. Les 
              Kurdes sont passés du côté des Turcs. La résistance devient impossible. 
              Envoyez des renforts. 
              
              Trois fois par jour Andranik télégraphiait à Karine, demandant aux 
              1er et au 4e régiments des Arméniens de Russie de se porter au secours 
              de Mourad à Eriza, mais [(p25)]  ils organisaient des meetings, 
              tenaient des discours et refusaient de partir. Les affrontements 
              avaient commencé dans la région de Van, avec des résultats encourageants 
              : les forces de Sembat avançaient, occupant village après village. 
              Les Kurdes de la région de Van coupèrent la ligne vers la mi-février, 
              mais la ligne Van-Khoy-Djoulfa était encore libre. 
              
              LES DEBUTS DE L'INCENDIE GENERAL 
              
              Les Turcs occupèrent toute la région de Trébizonde, sans rencontrer 
              de résistance. La ligne de Trébizonde devint un objet de préoccupation 
              sérieuse. Cette ligne représentait une menace terrible pour nos 
              arrières. Nos dirigeants s'adressèrent aux Géorgiens, qui répondirent 
              : - Nous ne sommes pas à même de lever une armée, mais nous admirons 
              vos efforts. C'était une admiration purement platonique, alors que 
              nous avions besoin d'une aide positive, tangible, matérielle. Puis, 
              par l'entremise de Guédetchkori, les Géorgiens eux-mêmes s'adressent 
              au Conseil national des Arméniens. 
              
              - Nous avons entrepris des pourparlers avec le gouvernement allemand. 
              Il nous est impossible de lever des troupes pour nous battre contre 
              les Turcs. Nous vous conseillons de suivre notre exemple.
              
              J'ai déjà eu l'occasion de dire que nos dirigeants refusaient catégoriquement 
              les propositions de tels pourparlers. De toutes façons les Géorgiens 
              nous assurent qu'ils verseront leur dernière goutte de sang pour 
              la défense de Batoumi.
              
              Cependant ils ne faisaient aucun préparatif dans la région de Batoumi. 
              Ils envoyaient des soldats, des dépêches, mais rien de bien concret. 
              
              
              - Mon général, dis-je pendant un de ces jours noirs, à Andranik, 
              Batoumi sera coupé bientôt. La flotte russe est révoltée. Les positions 
              du bolchévisme sont plus solides ici qu'à Petrograd. Qu'allons-nous 
              faire? Les forces allemandes stationnées à Constantinople mettront 
              moins de trente heures pour atteindre Batoumi.
              
              - Nous ne pouvons pas assumer la défense de Batoumi, me répond Andranik 
              . Il ne nous reste qu'à espérer que les Géorgiens montreront un 
              peu de résistance. Ils peuvent bien tenir un mois, s'ils le veulent.
              
              - Et s'ils ne le veulent pas?
              
              - S'ils ne le veulent pas tous nos efforts seront vains. Dans ce 
              cas nous seront obligés d'abandonner Karine et de nous replier sur 
              Khenous et Van, et finalement nous rabattre sur l'Iran. Il ne fait 
              aucun doute que les Allemands débarqueront bientôt à Batoumi
              Je le considère stupéfait.
              
              - Ne me regarde pas ainsi, dit-il, nous ne pouvons pas rester les 
              bras croisés, nous devons faire quelque chose, nous ne pouvons permettre 
              aux Turcs de traverser nos terres vers Bakou, sans leur montrer 
              de résistance. Nous devons nous préparer à résister, jusqu'à ce 
              qu'un événement extérieur vienne nous libérer de cet encerclement. 
              Quant aux Tatars, ils entretenaient ouvertement des relations avec 
              le gouvernement et l'armée ottomans. 
              
              Après le massacre des soldats russes, ils reviennent de Chamkhor 
              et coupèrent la ligne Bakou-Tiflis. A Bakou, Lévon Tutundjian que 
              le Conseil de sécurité de l'Arménie avait chargé de la mobilisation, 
              y resta avec les soldats qu'il était parvenu à mobiliser. 
              
              Les soldats arméniens qui revenaient du front occidental à Bakou, 
              y restaient. Bien que ces soldats n'eussent aucune envie d'aller 
              au front, ils pourraient au moins rentrer chez eux et, au besoin, 
              défendre leurs maisons. 
              
              Bakou était la citadelle des Tatars ; c'est de là que provenaient 
              les ordres suprêmes. 
              
              En fait, il y avait trois autorités à Bakou: 
              1. Le Conseil national arménien.
              2. Le Conseil national tatar. 
              3. Le Conseil des ouvriers, soldats et marins, sous la direction 
              de Stépan Chahoumian. 
              
              Le Conseil national des Tatars avait adopté la position de la Chambre 
              de Salih pacha à l'égard de Mustapha Kémal.
              
              Les Tatars feignaient d'être d'accord avec les autres Conseils, 
              mais, en catimini, aidaient les Tatars de l'extérieur. A Bakou et 
              à Gandzak, des soldats et officiers de l'armée ottomane (prisonniers) 
              se promenaient ouvertement, affichant leurs épaulettes officielles. 
              
              
              La population arménienne restée dans ces régions était non seulement 
              incapable de nous montrer de l'aide, mais ne pouvait même pas envoyer 
              de ses nouvelles.
              Chaque localité était plus ou moins isolée. 
              
              De terribles nouvelles parvenaient à Tiflis et à Erévan. 
              Partout des menaces de massacres, d'extermination, de famine, de 
              déportation... Ici, nos organes directeurs continuaient leurs discussions 
              sur des questions de principe, tramaient des intrigues pour accéder 
              au pouvoir, faisaient des efforts pour assurer l'hégémonie de leur 
              parti.
              
              La presse arménienne présentait une terrible confusion. Tous ses 
              organes criaient en choeur: "Au front", mais montraient des opinions 
              absolument divergentes sur tous les points.
              
              Les bachibozouks turcs du lieu avaient occupé Olti, Ardahan et Ardvine, 
              et avaient commencé les massacres d'Arméniens. C'était la deuxième 
              fois que la population de ces régions connaissait des massacres.
              
              Les Turcs et les Arméniens étaient déjà en état de guerre à Akhalkalak 
              et Akheltsekha. 
              Les Géorgiens qui plus tard devaient déclarer cette région partie 
              indissoluble de leurs terres, conquise au prix de leur sang, restèrent 
              à l'époque tout à fait passifs. Un danger terrible planait au-dessus 
              de la tête de notre nation. 
              
              Les Arméniens de Turquie, qui se réjouissaient devant la perspective 
              de voir libérés leurs compatriotes du Caucase, s'étaient de nouveau 
              adonnés au désespoir. En effet, cette fois la catastrophe menaçait 
              la nation entière. 
              
              Mourad avait abandonné Eriza et battait en retraite, dans des conditions 
              extrêmement défavorables. Avant sa retraite, il n'était pas parvenu 
              à faire évacuer les femmes [(p26)]  et les enfants vers Karine, 
              les routes étant coupées par les Kurdes. Il fallait battre en retraite 
              en bon ordre, restant ensemble, sinon personne n'y échapperait. 
              Sépouh avait fait évacuer les Arméniens, et était resté avec quelques 
              soldats : son destin était inconnu.
              
              - Ils ont dû périr de froid dans les monts, disaient quelques uns.
              
              On supposait que Mourad s'arrêterait à Mamakhatoun. Khotordjour 
              fut entièrement encerclé, et personne n'est parvenu à en sortir 
              pour nous raconter au moins ce qui y était arrivé. 
              
              Andranik se vit obligé de partir immédiatement pour Karine, bien 
              que cela n'entrait pas dans ses plans.
              
              VERS KARINE 
              
              Le matin du 8 février 1918, quelqu'un vint à la rédaction de "Hayastan" 
              et m'apprit qu'Andranik demandait à me voir. Laissant mes occupations, 
              je m'en fus immédiatement le trouver. 
              
              - Vahan, me dit-il, ce soir je pars pour Karine. D'ici là règle 
              tes affaires à la rédaction, annonce que "Hayastan" sera transféré 
              à Karine, et prépare-toi à m'accompagner. La parution de "Hayastan", 
              ici, n'a plus aucun sens, il faut qu'il paraisse dans la mère patrie. 
              - Je suis d'accord, lui répondis-je, seulement je ne pourrai pas 
              régler mes affaires d'ici à ce soir.
              - Tâche de venir dans ces délais. Nous devons partir cette nuit. 
              Dans deux jours les Tatars peuvent couper la ligne de Sadakhlou 
              et nous ne pourrions plus passer.
              
              - Très bien, répondis-je, et je sortis. Avant midi le dernier numéro 
              de ''Hayastan" était prêt. Je remis les manuscrits à mes camarades 
              Tatoul et Dechkhoyan, je rentrai chez moi, mis mon uniforme militaire 
              et allai trouver Andranik.
              Andran ik choisit une arme et me la remit. Peu après, pour vérifier 
              notre vigilance, Andranik nous demanda les numéros de nos armes.
              
              Le premier fut giflé, parce qu'il n'avait pas pris la peine de regarder 
              le numéro de son arme. Il m'interrogea à mon tour. Je citai rapidement 
              le numéro, de mémoire, sans la moindre hésitation.
              
              - Bravo! me dit-il. 
              
              Le troisième, le quatrième, et le sixième furent giflés à leur tour. 
              
              
              Je dois avouer que moi non plus je n'avais pas pris la peine de 
              regarder et de retenir le numéro de mon arme, mais j'avais eu la 
              présence d'esprit de répondre rapidement et avec assurance. Quelques 
              jours plus tard, je lui révélai mon astuce. Il rit de bon coeur 
              de ma ruse innocente. Le lendemain, à midi, mille soldats étaient 
              prêts à prendre le train pour Khenous, mais ils devaient accompagner 
              Andranik jusqu'à Keopru Keoy. 
              
              A midi, le président du Conseil national, A. Aharonian, et le président 
              du Conseil de sécurité, Vahan Papazian, entourés de plusieurs membres 
              de leurs cabinets respectifs, vinrent à la gare pour souhaiter un 
              bon voyage et succès à Andranik. A. Aharonian, embrassa solennellement 
              le front d'Andranik, et s'adressant aux soldats leur dit : - Prenez 
              garde que ce front ne touche jamais, la terre. Voila trente ans 
              que ce front touche les étoiles, Dieu le garde de toucher la terre 
              aujourd'hui. Vahan Papazian prononça des paroles à peu près 
              de même sens. 
              
              Andranik parla à son tour avec beaucoup d'enthousiasme. Il fit sortir 
              des rangs un garçonnet de quatorze ans, le mit sur les épaules des 
              autres soldats en disant : 
              - Quand ce peuple peut envoyer au front de tels garçons, soyez sûrs 
              que sa liberté n'est pas loin. L'énergie de nos martyrs nous suffit 
              pour vaincre et acquérir notre liberté. La fortune s'est détournée 
              de nous. Nous sommes seuls au monde. Mais cette solitude suffit 
              pour revêtir notre faiblesse d'une cuirasse d'acier. Les Russes 
              sont partis en nous laissant le soin de défendre notre patrie. Les 
              Turcs menacent de venir nous ravir nos terres. Nous devons nous 
              battre pour empêcher les Turcs de conquérir nos champs abreuvés 
              de notre sang. Qui est-ce qui voudrait attendre ici au lieu de monter 
              au front? Nous n'avons plus d'attaches, plus de maisons, nous sommes 
              tous orphelins. Créons notre patrie et prenons soin de nos familles, 
              de nos terres, de nos cours d'eau, de nos foyers. Vive l'armée arménienne 
              qui se bat pour sa sainte liberté, vive notre martyre! Nous sommes 
              seuls, mais pleins de confiance et d'espoir. Veuille Dieu que nous 
              ne soyons pas seuls dans notre foi.
              
              Andranik termina son discours et ses yeux s'embuèrent. La gare retentit 
              des cris de "Vive Andranik" Puis il me fit signe de m'approcher 
              et murmura quelques mots dans mon oreille. 
              
              - Très bien, j'enverrai tout de suite un messager en ville, dis-je 
              en me dirigeant vers une voiture. Un article devait paraître dans 
              le dernier numéro de "Hayastan". Andranik m'avait dît à l'oreille 
              de ne pas le faire paraître après ces discours. Je fis dire à mes 
              camarades de ne pas le publier. et il ne parut pas. Dommage.. Le 
              convoi se mit en route vers Karine.
              
              A ALEXANDROPOL 
              
              Il y avait lieu de penser que les Tatars pouvaient tirer sur notre 
              convoi à la gare de Sadakhlou, entre Tiflis et Alexandropol.
              
              Nos forces occupaient deux convois. Dans le premier le général Andranik 
              plaça des soldats aguerris désigna un commandant, et leur donna 
              les instructions indispensables. 
              
              - Si les Tatars ouvrent le feu, dit Andranik, tous les soldats doivent 
              immédiatement quitter les wagons, prendre position sur les deux 
              côtés da la voie et tirer. Notre convoi ne sera pas loin et vous 
              rejoindra dans quelques minutes. Personne ne doit dormir en route. 
              Vous devez garder vos armes aux mains, prêts à toute éventualité. 
              Ne vous embarrassez d'aucune charge superflue, rien que vos cartouches.
              
              Andranik mit deux sentinelles auprès du mécanicien pour qu il ne 
              s'avise pas à conduire la locomotive si la bataille venait à s'engager.
              
              Notre convoi devait partir cinq minutes après le premier. Nous veillâmes 
              toute la nuit. Andranik resta dans son compartiment, [(p27)] 
               sans se déshabiller, avec toutes ses armes. Andranik était 
              de bonne humeur, bien qu'avant son départ il eût télégraphié à M. 
              P. Noubar: "Je pars pour Karine ; attendez-vous à de tristes nouvelles 
              dans quelques jours"
              
              - Général, lui demandai-je, pourquoi envoyer cette dépêche pleine 
              de désespoir à Paris?
              
              - Nous devons nous attendre au pire, répondit Andranik. Tant mieux 
              si la chance nous sourit.
              
              Durant les trois années que j'étais aux côtés d'Andranik, je n'avais 
              jamais vu le Garibaldi arménien d'aussi bonne humeur. Il plaisantait 
              sans cesse, riait aux éclats, taquinait tout le monde comme un enfant, 
              donnait une véritable représentation théâtrale dans la voiture. 
              
              
              Parfois il s'abîmait dans ses pensées, et soudain : 
              - Si Mourad parvient à tenir Mamakhatoun jusqu'à notre arrivée, 
              nous pourrions réussir.
              Il câble à Karine pour demander d'avertir Kars, au cas ou Mourad 
              battrait en retraite, mais aucune nouvelle ne nous attendait à Kars. 
              La nuit fut sans histoires. Nous traversâmes Sadakhlou sans que 
              les Tatars donnent signe de vie. Le matin nous atteignîmes Alexandropol. 
              
              
              Andranik avait beaucoup à faire à Alexandropol. Il devait compléter 
              nos effectifs avec les soldats recrutés dans cette ville. C'étaient 
              surtout des originaires de la province de Bitlis, dont Andranik 
              estimait beaucoup le courage. Il répétait souvent : 
              - Nos meilleurs soldats sont tout de même ceux de Bitlis. 
              
              Andranik réunit les recrues devant le club des officiers et leur 
              tint un discours enflammant. 
              - Pendant de longues années je me suis battu avec vos grands-pères 
              sur les hauteurs de Sassoun, contre l'ennemi commun. Vous devez 
              prouver aujourd'hui que le sang de vos aïeux coule dans vos veines. 
              J'ai une grande confiance en vous, mes braves, je suis sûr que vous 
              ferez tout pour défendre votre patrie. Depuis la bataille d'Avaraïr, 
              notre histoire n'a pas connu un moment plus sublime que celui qui 
              nous attend. "L'être ou ne pas être"
              de notre patrie sera décidé à Van, à Mouch et à Karine, et il le 
              sera au prix de notre sang. Tous les autres sont partis, nous confiant 
              le soin de défendre notre terre. Soyons assez nobles et braves pour 
              défendre cette terre. Vive le peuple héroïque de Bitlis. 
              
              La population d'Alexandropol en voulait un peu à Andranik d'avoir, 
              dans ses conversations, mis en doute son courage et son patriotisme.
              
              Plus tard, les habitants d'Alexandropol devaient prouver le bien 
              fondé des doutes d'Andranik.
              
              Nous prîmes avec nous un millier de soldats, qui devaient se diriger 
              vers Khenous et Bitlis. Nous nous hâtâmes de prendre la direction 
              de Kars, où il y avait beaucoup à faire pour organiser la cavalerie. 
              
              
              - Dieu veuille que nous ne revenions plus dans ces parages, et que 
              nous ayons la possibilité de demeurer à Kars.
              
              - Dieu veuille, lui fis-je écho, mais ils sont en train de couper 
              Batoumi, mon général.
              
              - Nous ne pouvons pas défendre tous les fronts, mon cher, il faut 
              concentrer nos efforts
              à Karine. Karine était la clé de notre liberté, le gage de notre 
              indépendance.
              
              Les Turcs avaient concentré leurs forces devant Karine, et ce n'est 
              qu'après l'avoir occupé qu'ils pouvaient lancer une offensive générale. 
              Bien qu'il ne fût pas prévu qu'Andranik aurait à défendre la citadelle 
              de Karine, il s'en chargea, se rendant compte qu'avec la chute de 
              cette ville, aucune bataille, sur les autres fronts, si héroïque 
              fût-elle, ne pourrait sauver la situation. 
              
              Tantôt Andranik était plein d'espoir, tantôt en proie au désespoir, 
              mais d'une façon générale il était plus optimiste qu'il ne l'avait 
              jamais été au cours des batailles sur le front caucasien.
              
              A KARS 
              
              En arrivant à Kars, nous trouvâmes la ville sous la neige. Le capitaine 
              Nicol, un des anciens soldats d'Adranik, qui devait plus tard tomber 
              à la bataille d'Akhalkalak, fut le premier à nous accueillir. 
              
              Andranik s'était fait accompagner de deux wagons chargés de selles 
              pour la cavalerie de Kars. Mais en les ouvrant nous n'y trouvâmes 
              que de vieux effets militaires; les selles avaient disparu. La colère 
              d'Andranik atteignit son paroxysme. Il avait en de longues discussions 
              à Tiflis an sujet de ces selles. Le commandement du corps voulait 
              s'en s'emparer, mais Andranik eut gain de cause. D'une façon générale, 
              Andranik était partisan d'envoyer le plus de marchandises possible 
              en Arménie et les localités à habitation arménienne.
              
              A Kars, nous nous rendîmes compte qu'on nous avait roulés. La cavalerie 
              de Kars qui était fin prête à partir au front, pour peu que les 
              chevaux aient leurs harnachements, ne put quitter la ville. Andranik 
              avait également apporté assez de munitions. Il en laissa une partie 
              à Alexandropol, l'autre fut distribuée aux troupes de Kars.
              
              Andranik avait une telle hâte d'arriver à Karine qu'il ouvrait lui-même 
              les caisses pour distribuer les cartouches. Il en avait les mains 
              écorchées et ensanglantées. N'oubliez pas qu'Andranik avait cinquante-trois 
              ans. Nicol nous invita chez lui pour une collation. Une foule nombreuse 
              s'attroupa devant la maison de Nicol. 
              
              "Vive Andranik! Vive notre héros national!"
              
              Nous obligeâmes Andranik à sortir au balcon et dire quelques mots 
              à ses admirateurs. Andranik était de bonne humeur et parlait de 
              la défense de Karine. Il sortit au balcon et tint un de ses discours 
              les plus enflammés. Je ne l'avais jamais vu aussi éloquent et aussi 
              plein de logique. 
              
              - Ma dernière visite dans votre ville date de plusieurs années, 
              commença-t-il. Vous étiez alors des serfs. Aujourd'hui la ville 
              vous appartient, mais elle ne vous restera pas longtemps si vous 
              n'appréciez pas votre liberté et ne vous donnez pas la peine de 
              la défendre.
              
              C'était le contenu essentiel de son discours. Ensuite il voulut 
              mettre à l'épreuve le patriotisme de la population. 
              - [(p28)]  Je suis un vieux soldat, et je vais au front pour 
              défendre notre patrie. Que ceux qui veulent se joindre à moi se 
              mettent en rang. 
              
              Près de deux mille personnes répondirent à son appel. Andranik descendit, 
              les mit en rang et les mena vers la garnison. Mais lorsqu'ils arrivèrent 
              à la garnison, Il ne restait plus qu'une vingtaine de personnes.
              
              Andranik jura de dépit et, se tournant vers ses hommes :
              - Ce sont des gens de rien, dit-il. Ce peuple-là ne sera jamais 
              unanime pour défendre sa liberté, il n'y aura que quelques braves 
              pour le faire.
              
              A SARIGHAMICH
              
              La nuit nous attegnîmes Sarighamich. Il faisait un froid à pierre 
              fendre. Les soldats restèrent dans le wagon, jusqu'à ce qu'au matin 
              Andranik ne donne l'ordre du départ. 
              
              Après La conquête de Kars, les Russes avaient construit un tronçon 
              de chemin de fer à voie étroite de Kars à Karine, qu'ils avaient 
              prolongé jusqu'à Yeni-Keoy, à mi-chemin entre Karine et Mamakhatoun. 
              Le train qui circulait sur cette voie s'appelait "koukouchka" (coucou, 
              en russe). 
              
              A Sarighamich nous vîmes le premier club de l'Union militaire arménienne. 
              Il y avait deux autorités inconciliables: l'une était le club militaire 
              arménien, l'autre, le capitaine Pandoukhte, membre du Parti hentchakian, 
              recruteur de l'Unité de défense du territoire arménien, désigné 
              par Andranik. 
              
              Le gros de l'armée russe était concentré à Sarighamich et, en se 
              retirant, elle y avait abandonné la majeure partie de son équipement, 
              dont la part du lion avait été accaparée par l'Union militaire arménienne, 
              Pandoukhte s'étant emparé de l'autre. Le plus grand nombre des troupes 
              envoyées à Karine avaient été recrutées équipées armées et approvisionnées 
              grâce aux efforts de Pandoukhte.
              
              Quant aux officiers de l'Union militaire arménienne, occupés à faire 
              la noce dans leurs cabinets, ils n'avaient mobilisés aucun soldat. 
              Une altercation vive avait opposé Pandoukhte aux officiers du club 
              militaire, lors du partage des trophées de l'armée russe. Pandoukhte 
              en avait besoin pour équiper les soldats envoyés au front, tandis 
              que le Club militaire refusait de renoncer à sa part. 
              
              Dès son arrivée Andranik vit clair dans la situation: Pandoukhte 
              avait déployé sur place des activités positives, le Club n'ayant 
              fait que lui mettre des bâtons dans les roues. Andranik se rendit 
              au bureau de l'Union militaire, en compagnie de Pandoukhte, les 
              réconcilia, se fit remettre l'équipement nécessaire pour les recrues 
              de Pandoukbte, et leur fit promettre que dorénavant ils agiraient 
              de concert. 
              
              Ce jour-là le dernier contingent de l'armée russe, huit cents hommes 
              environ, s'en allait. Ils avaient avec eux des canons légers, des 
              mitrailleuses et des armes. Andranik alla en personne à la gare, 
              aida à arrimer les canons et les mitrailleuses sur les toits des 
              wagons, et donna des instructions quant à la conduite à adopter 
              en traversant les localités tatares, s'ils étaient attaqués, à l'instar 
              de leurs camarades. Avec leur départ il ne restait pratiquement 
              plus de soldats russes sur le front caucasien. Andranik reçut des 
              dépêches encourageantes provenant du front de Bitlis.
              
              Van était complètement isolé.
              - Si nos positions à Bitlis sont fortes, Van peut être tranquille, 
              disait Andranik, et recommandait à Sembat de maintenir les Turcs 
              occupés sur le front. Les Turcs y étaient toujours occupés. Les 
              nôtres tenaient également leurs positions à Khenous. Mais des réfugiés 
              et d'infâmes déserteurs affluaient de Karine. 
              
              Personne ne pouvait donner de nouvelles de Mourad. Les derniers 
              arrivants disaient que les forces de Mourad avaient atteint Mamakhatoun, 
              mais qu'il ne leur avait pas été possible de s'y maintenir. Andranik 
              câbla aux 1er et 4er régiments de Karine leur demandant de se porter 
              au secours de Mourad. Mais il n'y avait pas d'espoir de ce côté. 
              
              
              Déjà, des nouvelles parvenaient annonçant le débarquement d'une 
              armée turque ou, tout au moins d'une compagnie allemande à Batoum. 
              
              
              Nous allions défendre notre Karine sans soupçonner que la puissante 
              armée allemande nous frapperait par derrière. Nous allions ou plutôt 
              nous étions poussés vers notre patrie vers ce terre qui nous appartenaient. 
              
              
              Andranik câbla au commandement du corps des Arméniens de Russie 
              leur demandant de prendre les mesures qui s'imposaient au moins 
              sur la ligne Olti-Akhalkalak afin d 'empêcher les Turcs de cette 
              région de se battre car alors notre situation serait sans issue.
              
              Jusqu'à présent j'ignore les mesures militaires qu'entreprit le 
              commandement du corps mais le fait est que les Turcs de cette région 
              rejoignirent l'armée régulière turque. Bitlis ne nous demandait 
              pas de renforts il nous demandait seulement de maintenir les Turcs 
              occupés sur les autres fronts et attendait des ordres pour avancer.
              
              Pour le moment Andranik ne donna pas l'ordre l'avancer de peur qu'ils 
              ne s'éloignent trop de leurs bases créant une ligne brisée par rapport 
              aux autres fronts.
              
              - Le front de Bitlis peut justifier tous nos espoirs disait Andranik 
              il n'y a que Karine qui casse notre échine. Et le torrent ayant 
              brisé les barrages de Karine refluait en arrière. 
              
              Le colonel Torgom était arrivé à Sarighamich et ayant entendu qu'Andranik 
              avait quitté Tiflis pour Sarighamich l'y attendait. Nous y trouvâmes 
              Torgom très énervé. Le complot montre le bout de l'oreille. 
              
              Le médecin Zavriev militant arménien bien connu du Caucase commissaire 
              adjoint pour l'aide aux territoires arméniens libérés arriva aussi 
              à Sarighamich. C'est lui qui avait été chargé de recruter les volontaires 
              arméniens. Ce grand Arménien repose maintenant à Petrograd et mérite 
              bien qu'on lui consacre quelques mots.
              
              C'était un dachnak connu dont la conduite l'autorité et le respect 
              qu'il suscitait dans le parti l'avaient mis au même rang que Christophore 
              Simon et Roustam. C'était aussi une personnalité qui jouissait hors 
              de son parti, du [(p29)]  respect de toutes les couches, 
              des classes et des courants. C'était un des grands patriotes de 
              notre peuple dans l'histoire de sa dernière révolution. Depuis le 
              début de la guerre jusqu'à sa mort, il a travaillé avec abnégation 
              pour la cause arménienne, mettant en oeuvre tous les moyens, frappant 
              toutes les portes, appliquant toutes les pensées, toutes les philosophies. 
              
              
              Je ne connais pas d'autre Arménien à l'âme aussi pure, au coeur 
              aussi tendre que le docteur Hacob Zavriev. Il y a des hommes publics 
              et politiques qui doivent être réévalués comme des gens de coeur, 
              des gens vivant de poésie spirituelle. Zavriev était l'un de ces 
              hommes de coeur, dont l'esprit déjouait les exercices diplomatiques 
              et les philosophies politiques. Pour cette raison il est difficile 
              de trouver le fil de la pensée logique dans les activités de Zavriev.
              
              L'indépendance du pays des Arméniens - voilà l'objet de sollicitude 
              de cet homme au grand coeur. Torgom qui "était pas homme à abandonner 
              son poste, revint soudain do Karine à Sarighamich pour y attendre 
              Andranik. Andranik en voulait à Torgom d'avoir proclamé l'indeendance 
              à Karine sans l'approbation d'aucune autorité nationale, Torgom 
              fournit des explications qui, à mon avis étaient assez convaincantes 
              mais non justifiables.. Torgom n'était pas revenu de Karine de son 
              propre gré, mais avait été renvoyé par le général géorgien Otitchélidxé, 
              qui l'avait traduit devant le tribunal militaire. J'avais promis 
              de parler de ce dernier. 
              
              Otitchélidzé était un des généraux du front caucasien. Après la 
              désagrégation du front, il n'était pas retourné et avait été désigné 
              au poste de commandant de la garnison de Karine. Torgom fut également 
              nommé à ce poste, avec la conviction que Otitchélidxé lui transmettrait 
              les pouvoirs et rentrerait à Tiflis. Mais ce dernier resta à Karine 
              et ne remit pas les pouvoirs. A Karine, Torgom eut à faire face 
              à deux grands adversaires: Otitchélidzé et l'Union militaire arménienne.
              
              Véhib pacha, commandant des armées turques sur le front ottoman, 
              était lié avec des liens de parenté à Otitchélidzé. Si je ne me 
              trompe, Véhib pacha avait épousé la soeur d'Otitchélidzé. Torgom 
              le savait. Dès son arrivée à Karine il met sur pied un réseau de 
              contre-espionnage pour réunir des preuves sur la trahison du général. 
              Bientôt il découvre qu'une ligne téléphonique directe reliait Véhib 
              pacha au chef de la garnison qui le tenait au courant de la situation 
              de notre front. 
              
              Le colonel Torgom s'adresse à l'Union militaire arménienne, dont 
              faisait partie l'instituteur Tigrane Aghamalian, bien que n'ayant 
              jamais servi dans les forces armées. Torgom demande aux officiers 
              de l'Union militaire à l'aider à neutraliser les effets de la trahison 
              d'Otitchélidzé. Quelques uns s'y opposent, en prétextant que les 
              informations que détient le colonel ne sont pas fondées, mais celui-ci 
              fournit des preuves incontestables.
              
              L'Union militaire refuse quand même d'aider le colonel Torgom. Les 
              frictions commencent entre Torgom et l'Union militaire. La filiale 
              du Conseil de sécurité de l'Arménie à Narine 
              prend le parti de Torgom. Le colonel ne se gêne pas pour 
              dire à Otitchélidzé ce qu'il en pensait, et le menace.
              
              Otitchêlidzé, de son côté, menace Torgom du tribunal militaire, 
              mais Torgom n'était pas homme à se laisser intimider. Otitchéldzé 
              se prépare à fuir Karine, en s'emparant d'une somme de cinq millions 
              de roubles.
              
              Le colonel Torgom s'adresse de nouveau à l'Union militaire pour 
              lui demander son aide afin d'arrêter Otitchélidzé et de récupêrer 
              les millions, au lieu-dit Dévé Boynou. Mais les membres de l'Union 
              militaire avertissent Otitchélidzé qui appelle Torgom et lui dit.
              
              - Je suis au courant du complot que tu trames contre moi.
              
              - Moi aussi je suis au courant de ta trahison répond Torgom.
              Les deux hommes eu viennent aux mains. 
              
              C'est à la suite de ces faits qu'Otitchélidzé traduit Torgom devant 
              le tribunal militaire. Ce dernier se voit obligé de se rendre à 
              Sarighamich, et de là, à Tiflis pour informer les autorités nationales 
              du double jeu du général Otitchélidzé.
              
              En accueillant le général Andranik à Sarighamich, Torgom lui raconte 
              tout en détail. Malgré toutes ces difficultés, Torgom qui jouissait 
              du respect et de la confiance de la population de Karine, avait 
              réussi à recruter le 1er régiment de cette ville. 
              
              Il faut reconnaître que Torgom était un homme courageux, dont le 
              coeur contenait un canon toujours prêt à tirer. Andranik dit avoir 
              besoin du colonel Torgom à Karine, et s'en fit accompagner.
              
              Le général Otitchélidzé annula son ordre, et tout s'arrangea. Après 
              avoir réglé ces affaires, Andranik dit à Torgom: 
              - Tu sais que la situation à Karine est désespérée. Pourquoi donc 
              as-tu télégraphié aux journaux de Tiflis, laissant entendre, que 
              les Arméniens étaient maîtres de la situation? Ne suffit-il pas 
              de désinformer notre peuple?
              
              - Mais mon général, répondit le colonel, le contenu de ce télégramme 
              avait été rédigé à Tiflis. Le docteur Zavriev me téléphona pour 
              me recommander d'envoyer un tel télégramme à Tiflis, pour contribuer 
              à animer le recrutement. Je ne suis pas au courant de la situation 
              à Tiflis, et lorsqu'on me dit qu'un tel télégramme y serait utile, 
              je m'exécute. 
              
              Andranik comprit la chose.
              Zavriev entra et commença à se quereller avec Torgom. L'objet de 
              la dispute était la proclamation de l'indépendance. Torgom fournit 
              les mêmes explications qu'il venait de donner à Andranik. Torgom 
              soutenait que l'indépendance n'avait été déclarée que pour remonter 
              le moral de la population et des soldats de Karine, ainsi que pour 
              s'opposer à Otitchélidzé.
              
              - Ce n'est qu'après la déclaration de l'indépendance que je pus 
              forcer Otitchélidzé à quitter Karine.
              
              - En ma qualité de commissaire d'Arménie je suis seul habilité à 
              déclarer l'indépendance, dit enfin Zavriev.