- Depuis bientôt trois ans, notre pays vit une 
          période de restructuration, de démocratisation et de transparence, examen 
          que subissent notre compétence professionnelle, notre appréciation des 
          phénomènes sociaux, notre passé historique, notre morale et notre 
          conscience. La presse et les orateurs ne cessent de nous répéter une 
          vérité indiscutable: seule l'interprétation objective et impartiale 
          des problèmes historiques permettrait de regarder l'avenir avec droiture, 
          de se faire une conception correcte des phénomènes actuels de la vie 
          sociale et politique, de sa démocratisation et de la transparence. 
 
           
          L'une des questions !es plus pressantes de notre récente histoire est 
          celle de l'appartenance administrative et territoriale du Haut-Karabagh 
          et cela, aussi bien sur le plan économique que national, car, selon 
          notre profonde conviction, elle se fonde en premier lieu non sur les 
          défauts et les omissions ayant trouvé place dans le développement culturo-économique 
          du Haut-Karabagh (ils existent partout), mais sur les entorses qu'on 
          a fait subir à la politique de Lénine dans le domaine national, l'humiliation 
          et la méconnaissance volontaire de l'amour-propre national, des intérêts 
          nationaux et des sentiments du peuple. 
           
          La question de l'autodétermination de la population de cette région 
          est loin d'être nouvelle: son histoire remonte aux années 1920-1921, 
          lorsque sa solution fit se heurter deux tendances diamétralement opposées, 
          l'une révolutionnaire, l'autre égoïstement nationale. L'injustice de 
          cette dernière tendance est à l'origine des phénomènes indésirables, 
          pour ne pas dire plus, actuels.  
           
          Cet article a pour but d'illustrer en se servant de documents d'archives 
          les deux tendances mentionnées et de montrer laquelle des deux correspondait 
          à la politique nationale de Lénine en général et au principe léniniste 
          du droit d'autodétermination des nations en particulier. L'histoire 
          du Haut-Karabagh remonte à l'époque ancienne et médiévale, ce 
          qui nous contraint à commencer cet article par un bref essai historique, 
          rédigé d'après des faits et des témoignages historiques dignes de foi. 
           
           
        - Dans son sens le plus vaste, le Karabagh correspond territorialement 
            aux provinces historiques de l'Artzakh et, pour une grande part, de 
            l'Outik de la Grande Arménie. Le nom de "Karabagh" n'apparaît 
            dans les sources historiques qu'à partir du XIV siècle, s'attachant 
            sous cette forme au vilayet du Karabagh de l'Iran Séfévide.
 
           
          L'Artzakh est mentionné pour la première fois sous les formes d'Ourtéhé 
          ou d'Ourtéhini dans les inscriptions cunéiformes de la période ourartéenne 
            de l'histoire d'Arménie. Dans les sources du 1er siècle av. J.-C. au 
            1er siècle apr. J.-C., l'Artzakh est nommé ,"Orhistène" et indiqué au nombre des provinces arméniennes.  
           
          Au IVe siècle, l'Artzakh figure sous le nom de ,"Principauté 
          de Tsavdé" et selon Agathange, lorsque Grégoire l'Illuminateur se 
            rendit à Césarée pour y être ordonné catholicos d'Arménie, le seigneur 
            de cette principauté l'y accompagna au nombre d'autres princes arméniens.  
           
          Après le partage de l'Arménie en 387 entre l'Empire Romain et la Perse 
            Sassanide, le Koura resta la frontière entre l'Arménie et l'Albanie 
            du Caucase.  
           
          Les auteurs gréco-romains et arméniens l'indiquent directement. Voici 
            quelques extraits de leurs témoignages.  
           
          - Strabon : "En Arménie même, il y a nombre de monts et de plateaux... 
            nombre de vallées... comme la vallée de l'Araxe, dans laquelle l'Araxe 
            coule jusqu'à la frontière de l'Albanie et la Koura".  
           
          - Ptolomée : "La Grande Arménie est limitée du nord par 
            une partie de la Colchide, de l'Ibérie et de l'Albanie sur la ligne 
            susmentionnée passant par le fleuve de Kir". 
           
          - Pline : "Cette tribu ( des Albans ) peuplant les monts du 
            Caucase s'étend, comme il fut dit, jusqu'au fleuve de Kir qui forme 
            frontière entre l'Arménie et L'Ibérie.'' 
           
          - Plutarques : "Lorsque l'hiver surprit l'armée romaine sur 
            cette terre (en Arménie) et que les Romains célébrèrent les saturnales, 
            les Albans se réunirent au nombre d'au moins quarante mille, passèrent 
            le fleuve de Kir et les attaquèrent'', c'est-à-dire qu'ils passèrent 
            sur la rive droite de la Koura. 
           
          - Dion Cassius : "Oris, roi des Albans, vivant au-delà de la 
            Kirna".  
           
          - Faust de Byzance : "(Mouchegh Mamikonian) désigna la Koura 
            comme frontière entre son pays (l'Arménie) et l'Albanie, de même qu'avant". 
            Sanésan, roi du Maskout, "passa sa frontière, qui était un grand 
            fleuve, et submergea le pays d'Arménie". 
           
          Ainsi, toutes les données des sources grecques, latines et arméniennes 
            confirment indiscutablement que le Haut-Karabagh, bien qu'ayant été connu sous différents noms à diverses 
          époques historiques, fut l'une des provinces traditionnellement arméniennes 
            et l'éthnos arménien en constitua toujours la population aborigène. 
            Strabon, témoin oculaire, affirme sous le règne d'Artachès 1er (189-160 
            av. J.-C.) en Arménie: "toutes les ethnies parlent actuellement 
            la même langue", c'est-à-dire la langue arménienne. 
           
          Les témoignages susmentionnés des sources grecques, latines et arméniennes 
            nous fondent à conclure que c'est bien inutilement que certains historiens 
            azerbaïdjanais entreprennent depuis vingt-cinq ans de réviser et d'altérer les questions de l'histoire de l'Artzakh et de l'Outik 
            qui n'ont d'ailleurs jamais fait l'objet d'aucun différent parmi les 
            historiens, et de démontrer l'indémontrable: l'Artzakh, l'Outik et tout 
            l'Alouank arménien sont soi-disant des régions albanes, toute la culture 
            matérielle et spirituelle créée sur ce territoire (monuments d'architecture, 
            inscriptions arméniennes, khatchkars etc.) appartient à la culture albane, 
            Movsès Kalankatvatsi, Mkhitar Goch. Vanakan Vardapet, Kirakos Gandzakétsi, 
            etc., représentants éminents de la science et de la littérature arméniennes, 
            sont des auteurs albans de langue arménienne.  
           
          Et évidemment, il fallait faire coïncider tout cela, d'une façon ou 
            d'une autre, avec l'ethnogenèse du peuple azerbaidjanais. Pour un certain 
            nombre de raisons, dont la langue iranienne des Mèdes, on a du renoncer 
          à la "théorie mède" de l'origine du peuple azerbaidjanais. 
            Elle fut remplacée par la "théorie albane", les Azerbaidjanais étant soi-disant des Albans islamisés, l'Artzakh et l'Outik, une partie 
            de l'Albanie et, par conséquent, toute la culture antique et médiévale 
            de ces régions, culture azerbaïdjanaise. Bien que la "théorie 
            albane" soit encore en plein "épanouissement", il ne 
            fait aucun doute qu'elle aura le même sort que la précédente sous la 
            pression de faits et de réalités historiques indiscutables.  
           
          Du XVIe jusqu'au début du XVIIIe siècle, le Haut-Karabagh continua à 
          rester une région entièrement peuplée d'Arméniens, constituant un vilayet 
            séparé avec chef-lieu à Guiandja. Aux années 1720, le Karabagh et le 
            Siounik commencèrent une lutte nationale dont le but était de rejeter 
            avec l'aide de la Russie le joug persan.  
           
          Après 1724, la lutte des Arméniens du Karabagh et du Siounik se tourna 
            contre les occupants ottomans. En 1725, les troupes iraniennes réoccupèrent 
            la Transcaucasie. Constatant que la lutte armée avait conduit à l'indépendance 
            de cinq mélikats arméniens du Haut-Karabagh, Nadir chah fut contraint 
          à reconnaître cette indépendance et créa une nouvelle unité administrative 
            sous le nom de Mélikat Hamsaï (union de cinq mélikats arméniens). 
           
          D'après le traité de 1813 de Gulistan, qui mit un terme à la guerre 
            russo-iranienne de 1804-1813, les khanats du Karabagh et de Guiandja 
            passèrent à la Russie avec les autres provinces nord-est de l'Arménie 
            Orientale. 
           
          Le traité de Turkmentchaï (février 1828) qui termina la seconde guerre 
            russo-iranienne (1827-1828), donna à la Russie les khanats d'Erévan 
            et de Nakhidjévan, ainsi que la province d'Ordoubad. Ce fut le rattachement 
            définitif de toutes les terres de l'Arménie Orientale à la Russie.  
           
          Après un certain nombre de changements administratifs et territoriaux, 
            aux années 1840-1860, la Transcaucasie fut partagée en cinq provinces. 
            Une partie du territoire de l'Arménie Orientale constitua les provinces 
            d'Erivan et de Tiflis, une autre (dont le Haut-Karabagh) celle d'Elizabethpole. 
            Le district de Nakhitchévan faisait partie de la province d'Erivan. 
            Ce partage administratif et territorial, nullement basé sur le principe 
            de l'appartenance historico ethnique, se conserva, à part quelques changements 
            insignifiants, jusqu'en 1917. 
           
           
        - La question de l'autodétermination du Haut-Karabagh, du Nakhitchévan 
              et du Zanguézour fit pour la première fois l'objet d'un différend entre 
              l'Arménie et l'Azerbaïdjan pendant l'été et l'automne de l'année 1920. 
              Au cours des années 1918-1920, lorsque les forces antisoviétiques de 
              la Transcaucasie réussirent séparer cette région de la Russie Soviétique, 
              les moussavatistes s'efforcèrent plus d'une fois, de prendre ces provinces. 
              A cette époque, la population arménienne du Nakhitchévan, de Bakou, 
              de Choucha et d'autres localités de l'Azerbaïdjan actuel fut cruellement 
              massacrée par les occupants turcs et les bandes moussavatistes. Néanmoins, 
              la population arménienne de ces territoires, les armes à la main, 
              défendit courageusement ses droits et ses terres. Le 3 juin 1919, S. 
              Kirov, membre du Conseil révolutionnaire de la XIe armée, souligna le 
              peu de fondement des exigences des moussavatistes en communiquant à 
          V. I. Lénine que les provinces arméniennes "du Karabagh et du 
              Zanguézour ne reconnaissaient pas le gouvernement azerbaïdjanais".
 
           
          Après la victoire du Pouvoir soviétique en Azerbaïdjan (avril 1920), 
              N. Narimanov, que rien n'était capable d'arrêter, exigea le rattachement 
              du Haut-Karabagh, du Zanguézour et du Nakhitchévan à l'Azerbaïdjan. 
              Certains hommes d'Etat de l'époque hésitaient à le faire, d'autres méconnaissant 
              le principe d'autodétermination des nations de Lénine, misaient sur 
              la victoire du Pouvoir soviétique en Azerbaïdjan. T. Staline, par exemple, 
              soutenait N. Narimanov. Dans un télégramme adressé à G. Ordjonikidzé, 
              où il accuse ce dernier de nager entre deux eaux, il écrit: "Mon 
              opinion est qu'il faut soutenir une des parties, dans ce cas précis, 
          évidemment, l'Azerbaïdjan et la Turquie". 
           
          La tentative de rattacher le Haut-Karabagh, le Zanguézour et le Nakhitchévan 
          à l'Azerbaïdjan ne fut soutenue ni par le Comité central du Parti des 
              ouvriers et des paysans (bolchéviks) ni par les dirigeants du Parti 
              et du gouvernement soviétique. Au nombre de ces derniers se trouvait 
              G. Tchitchérine, commissaire du peuple aux Affaires étrangères qui agissait 
              conformément à la politique du Comité central. Le fond de la question 
              consistait en ce que G. Tchitchérine et d'autres hommes d'Etat refusaient 
              de donner la priorité à l'Azerbaïdjan dans cette question discutable 
              pour l'unique raison que le pouvoir soviétique fonctionnait déjà en 
              Azerbaïdjan et pas encore en Arménie. Ils trouvaient que l'unique issue 
              de cette situation était la constitution de soviets locaux en présence 
              des troupes russes; avec cela, ils se fondaient sur un fait indiscutable: 
              toutes ces trois provinces étaient des terres traditionnellement arméniennes. 
              A la question posée par Lénine le 24 juin 1920: "Ne peut-on 
              pas s'entendre à l'amiable avec Narimanov?", G. Tchitchérine répondit: "Le Karabagh est une région traditionnellement arménienne". 
           
          En même temps, Tchitchérine qualifiait les prétentions de Narimanov 
              sur les terres arméniennes de "connivence avec les tendances 
              islamiques".  
           
          Lors d'un entretien direct avec G. Ordjonokidzé, il lui expliqua que 
              la politique de Comité central était la suivante: insister pour que 
              les territoires disputés entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan soient occupées 
              par des troupes russes et non pas azerbaïdjanaises. La question de l'appartenance 
              de ces territoires serait remise jusqu'à l'assainissement de la situation 
              politique. Nous espérons, continuait-il, que vous saurez retenir les 
              camarades de Bakou dans le cadre de la politique menée par le Comité central.  
           
          Quelques jours plus tard, G. Tchitchérine télégraphiait à G. Ordzhonikidzé: "On nous a déclaré plus d'une fois que garder le Karabagh et 
              le Zanguézour sous notre occupation provisoire, au lieu de les transférer 
          à l'Azerbaïdjan, porterait atteinte au pouvoir soviétique de Bakou. 
              Apprenez-nous nettement et concrètement de quoi il s'agit. S'il s'agit 
              de soutenir les aspirations expansionnistes des musulmans nationalistes, 
              c'est une mauvaise politique et sur cette voie, nous ne favoriserions 
              que le développement des instincts nationalistes..., nous nous mettrions 
              sur le même rang que les moussavatistes et les aiderions ainsi. S'il 
              s'agit d'étendre la sphère du Pouvoir soviétique, ce but peut être atteint 
              par l'occupation russe. Si tout cela cache les aspirations de l'orientation 
              moussavatiste, elle doit être rejetée à l'égal de la précédente." 
           
          Ce télégramme fut bientôt suivi de la décision du Bureau politique du 
              Comité central. Le 7 juillet 1920, sous la présidence de V. I. Lénine, 
              il adopta un décret instruction sur la politique à réaliser au Caucase. 
              Ce décret et surtout sa 8ème clause imposaient aux communistes 
              travaillant au Caucase le devoir d'expliquer à la population des territoires 
              disputés et occupés par les troupes russes que ces territoires étaient 
              occupés provisoirement dans le but d'éviter des différents entre les 
              nations et que la question de leur appartenance serait résolue par une 
              commission mixte sous la présidence de représentants de la Russie et 
              que cette commission se laisserait guider par la volonté de la majorité 
          ethnique de ces territoires. Le bureau politique exigeait des institutions 
          militaires de tenir compte de. cette instruction, de même que devaient 
              le faire tous les membres du Bureau caucasien du Parti. On ne saurait 
          être plus clair. L'instruction était basée sur le principe de Lénine 
              de l'auto-détermination des nations, qui, dans ce cas précis, ne pouvait 
          être réalisé qu'en présence des troupes de la Russie soviétique: seule 
              cette présence était capable d'assurer la libre expression de la volonté 
          de la population, d'éviter le diktat qui aurait pu avoir lieu si ces 
              territoires étaient occupés par dès troupes azerbaïdjanaises, situation 
          à laquelle s'opposa Tchitchérine le 26 juin, conformément à la position 
              du Comité central.  
           
          N. Narimanov ignora l'analyse profonde et multilatérale faite par le 
              Comité central du Parti, par G. Tchitcbérine et S. Kirov en vue de la 
              solution du problème du Haut-Karabagh, du Zanguézour et du Nakhitcévan 
              d'après le principe national et territorial, en tenant compte de la 
              volonté de la population locale. Accusant G. Tchitchèrine de "semer 
              la confusion", en juillet 1920, au cours d'une conversation téléphonique 
              avec le représentant de l'Azerbaïdjan en Géorgie, il parla en fait de 
              contraindre la population arménienne des provinces disputées à opter 
              pour le rattachement à l' Azerbaïdjan. "Personne au monde, dit-il, 
              n'est capable de nous empêcher d'influencer la population des provinces 
          en question pour qu'elle opte pour le rattachement à l'Azerbaïdjan". 
           
          Que voulaient donc dire N. Narimanov et ses partisans en parlant de 
          "influencer la population"? Vers le milieu de l'été 1920, la 
              présence des troupes russes soviétiques et l'existence de l'instruction 
              du Comité central contribuèrent à modifier la situation. Il faut avouer 
              aussi que les Azerbaidjanais avaient commencé à agir avec plus de souplesse. 
              Ils mettaient en action d'autres moyens d'atteindre leur but, moyens 
              dont parlait ouvertement Assad Karaév, président du comité révolutionnaire 
              de la province du Karabagh dans une lettre adressée le 19 juillet 1920 
              au président du comité révolutionnaire du district du Guéroussine (Goris), 
              où il reconnaissait, entre autres, que la population du Karahagh 
              et du Zanguézour résistait avec succès aux troupes azerbaïdjanaises 
              qui essayaient de rattacher de force ces provinces à l'Azerbaïdjan. "Notre ancienne politique, qui consistait à occuper le Karabagh 
              et le Zanguèzour, était profondément erronée, écrivait-il. Nous 
              savons que nos troupes ont été battues et réduites à la retraite, mais 
              aujourd'hui, au lieu de nos soldats, notre argent accomplit des miracles. 
              Une fois de plus, je vous répète mon conseil de ne ménager aucune somme, 
              d'augmenter les salaires, de donner des primes et tout ce qu'ils voudront. 
              Le gouvernement a assigné 200 millions de roubles pour conduire à bien 
              le rattachement du Karabagh et du Zanguézour à 1'Azerbaïdjan. Il faut 
              se hâter, la situation peut changer de façon inattendue. Les commentaires 
              sont superflus".  
           
          Il est évident qu'Assad Karaév et les autres partisans de N. Narimanov, 
              dans leur désir de rattacher ces provinces arméniennes à l'Azerbaïdjan, 
          étaient prêts à recourir à d'autres moyens aussi : désarmer les paysans 
              arméniens, les priver de leurs chefs, jeter en prison les Arméniens 
              respectés, confier les postes importants seulement aux musulmans, etc. 
              Le 21 juillet 1920, Assad Karaév donnait précisément ce genre d'instructions 
              au comité révolutionnaire de Guéroussine: "90 % des villages arméniens 
              ne sont pas désarmés. C'est bien triste. Mais ce qui est encore plus 
              triste, c'est que les Arméniens du Zanguézour ne sont pas encore privés 
              de leurs chefs. Leurs intellectuels et leurs chefs militaires restent 
              encore dans les villages... Tâchez d'arrêter tous les Arméniens utiles 
              et respectés,... renoncez à l'humanisme. Ce n'est pas cela qui permet 
              de fonder des Etats et de conquérir des pays... Nos camarades d'ici 
              ne sont pas très contents des membres du comité révolutionnaire de Guéroussine. 
              Tâchez de le réélire en choisissant surtout des musulmans et des Russes 
              connus de nous... Dans les localités ou les soldats sont nombreux, afin 
              d'affaiblir les Arméniens, tuez un soldat russe et accusez-en les Arméniens. 
              Imaginez la vengeance des Russes. Ne laissez au Zanguézour ni gens comme 
              il faut ni richesse, afin que cette race maudite ne puisse plus se relever". 
              Ces instructions sont monstrueuses, mais elles montrent une fois de 
              plus que tous les moyens étaient bons aux responsables de l'Azerbaïdjan 
              soviétique pour atteindre leur but. Ils n'hésitaient même pas à noircir 
              les soldats russes soviétiques, venus avec une mission de paix et à 
          les représenter capables de sévir contre la population locale.  
           
          Il est évident que malgré la victoire du pouvoir soviétique en Azerbaïdjan 
              et la présence du gouvernement bourgeois en Arménie, le Bureau politique 
              au Comité central chargeait les soviets de ces territoires de résoudre 
              la question du statut administratif et territorial du Haut-Karabagh 
              et du Zanguézour et remettait la solution définitive de cette question 
              jusqu'à la création de conditions favorables - sous lesquelles on sous-entendait 
              visiblement la victoire du Pouvoir soviétique en Arménie aussi, parce 
              qu'il soutenait le principe de Lénine d'auto -détermination des nations 
              et se laissait guider par l'indiscutable vérité qu'il était indispensable 
              de tenir compte de l'opinion de la population arménienne aborigène du 
              Haut -Karabagh et du Zanguézour. Tchitchérine lui-même, comme nous l'avons 
              déjà dit, avait écrit à V. I. Lénine qùe "le Karabagh était une province 
              traditionnellement arménienne".  
           
          Les questions territoriales discutées restèrent sans solution jusqu'à 
          la victoire du pouvoir soviétique en Arménie (29 novembre 1920), qui 
              fut suivie aussitôt de la déclaration du 1er décembre 1920, signée par 
              N. Narimanov et Housseinov, où ils renonçaient aux territoires discutés 
              et les cédaient à l'Arménie soviétique. La déclaration disait "Le 
              gouvernement des ouvriers et des paysans de l'Azerbaïdjan, ayant appris 
              la proclamation d'une République socialiste soviétique en Arménie par 
              les paysans révoltés, salue la victoire du peuple. Dès aujourd'hui, 
              les anciennes frontières entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan sont annulées. 
              Le Haut-Karabagh, le Zanguézour et le Nakhitchévan sont reconnus partie 
              intégrante de la République Socialiste Soviétique d'Arménie".  
               
          Le 3 juin 1921, le Plénum du Bureau transcaucasien du Parti chargea 
              le gouvernement de l'Arménie Soviétique d'adopter une déclaration spécifiant 
              l'appartenance du Haut-Karabagh à l' Arménie.  
           
          Cette solution des questions territoriales fut soutenue par V. Lénine, 
              G. Ordjonikidzé, S. Kirov, I. Staline et le journal Pravda, organe 
              du Comité central du Parti. Toutefois, la position de N. Narimanov et 
              des autres quant à la question du Haut-Karabagh subit bientôt un changement 
              cardinal. N. Narimanov, président du gouvernement de l'Azerbaïdjan, 
              exigea de laisser le Haut-Karabagh à l'Azerbaïdjan, déclarant que dans 
              le cas contraire, "il refusait toute responsabilité". Il ajouta 
              aussi qu'ainsi "on restaurerait les groupes antisoviétiques en Azerbaidjan ". 
           
          Le 4 juillet 1921, le Plénum du Bureau de Transcaucasie se réunit pour 
              résoudre la question du Haut-Karabagh et par la majorité des voix, il 
              décida de laisser la région à l'Arménie. N. Narimanov protesta et exigea 
              de transférer la solution du problème au Comité central du Parti. Le 
              Bureau de Transcaucasie en décida de même. Mais le lendemain, en présence 
              de I. Staline, une nouvelle séance du Bureau de Transcaucasie fut réunie 
              et, sans discussion ni vote, il prit la décision désirée par Narimanov. 
              Le décret disait: "Compte tenu de la nécessité d'établir la 
              paix nationale entre les musulmans et les Arméniens, ainsi que du lien 
          économique existant entre le Karabagh de haute montagne et celui de 
              la plaine, ses liens permanents avec l'Azerbaïdjan, laisser le Haut-Karabagh 
          à la R.S.S. d'Azerbaïdjan, lui donnant une vaste autonomie avec centre 
              administratif à Choucha, ville se trouvant sur le territoire de la région 
              autonome". 
               
          Le Comité central du Parti communiste de l'Arménie protesta contre cette 
              solution du problème. Visiblement, la décision du 5 juillet 1921 fut 
              prise sous la pression exercée par I. Staline et l'influence de l'ultimatum 
              menaçant de N. Narimanov. En fait, la séance se déroula sans aucune 
              discussion de la question et la décision fut prise sans vote.  
           
          La décision du plénum du 5 juillet 1921 du Bureau Caucasien ne résiste 
              pas à la critique. Premièrement, parce qu'elle passa outre à la volonté 
          de la population arménienne qui constituait 94% du nombre total des 
              habitants de la région; deuxièmement, parce que la formule "par 
              nécessité d'établir la paix nationale entre les musulmans et les Arméniens 
              et à cause des liens économiques... avec 1'Azerbaïdjan" est unilatérale; 
              loin d'être fondée ou convaincante, elle est en outre absolument insuffisante 
              pour décider de la destinée de toute une région; troisièmement, parce 
              que la question ne fut pas votée.  
           
          Ainsi, la décision du 5 juillet 1921 du Bureau Caucasien du Parti des 
              ouvriers et des paysans (bolchéviks) ne peut être considérée comme fondée. 
              Notons que V. I. Lénine, étant malade et forcé à garder le lit presque 
              en permanence au cours des années 1921-1922, ne put participer à la 
              solution des problèmes nationaux qui étaient presque entièrement concentrés 
              aux mains de I. Staline. Nous sommes profondément convaincus que c'est 
              précisément par l'absence de Lénine qu'il faut expliquer la hâte avec 
              laquelle furent résolues un certain nombre de questions du même genre 
              (celle du Karabagh entre autres), et l'injustice des décisions se trouvant 
              en contradiction avec la politique nationale de Lénine. Voici ce qu'en 
          écrivit Lénine par la suite:  
           
          "En été, lorsque cette question fut résolue, j'étais malade 
              et ensuite, en automne, je plaçais trop d'espoir en ma convalescence 
              et les plénums d'octobre et de décembre qui devaient me donner la possibilité 
          d'intervenir dans cette question. Malheureusement, je ne pus participer 
          ni au Plénum d'octobre (consacré à cette question), ni à celui de décembre. 
              Ainsi, cette question m'a échappé presque totalement... Visiblement, 
              tout ce projet "d'autonomisation" était profondément erroné et 
              intempestif... 
           
          Je pense qu'un rôle fatal y appartient à la hâte et à la passion administrative 
              de Staline, ainsi qu'à son irritation contre le fameux "social 
          - nationalisme". En politique, l'irritation joue toujours le pire rôle". 
           
          Il est hors de doute que la séparation du Haut-Karabagh de 1'Arménie 
              fut l'une des manifestations de "l'irritation de Staline". 
           
       
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