• Quelques questions sur l'histoire du Haut-Karabagh
    Prof. Vardkès Mikaélian, docteur es Sciences historiques
    Prof. Lendrouch Khourchoudian, docteur es Sciences historiques

  • L'Arménie d'aujourd'hui (Erévan 1988)
    N° 2-3, 1988, pp 8-12

  • Recherche bibliographique : Nil V. Agopoff - Numérisation : Méliné Papazian
  • Depuis bientôt trois ans, notre pays vit une période de restructuration, de démocratisation et de transparence, examen que subissent notre compétence professionnelle, notre appréciation des phénomènes sociaux, notre passé historique, notre morale et notre conscience. La presse et les orateurs ne cessent de nous répéter une vérité indiscutable: seule l'interprétation objective et impartiale des problèmes historiques permettrait de regarder l'avenir avec droiture, de se faire une conception correcte des phénomènes actuels de la vie sociale et politique, de sa démocratisation et de la transparence.

    L'une des questions !es plus pressantes de notre récente histoire est celle de l'appartenance administrative et territoriale du Haut-Karabagh et cela, aussi bien sur le plan économique que national, car, selon notre profonde conviction, elle se fonde en premier lieu non sur les défauts et les omissions ayant trouvé place dans le développement culturo-économique du Haut-Karabagh (ils existent partout), mais sur les entorses qu'on a fait subir à la politique de Lénine dans le domaine national, l'humiliation et la méconnaissance volontaire de l'amour-propre national, des intérêts nationaux et des sentiments du peuple.

    La question de l'autodétermination de la population de cette région est loin d'être nouvelle: son histoire remonte aux années 1920-1921, lorsque sa solution fit se heurter deux tendances diamétralement opposées, l'une révolutionnaire, l'autre égoïstement nationale. L'injustice de cette dernière tendance est à l'origine des phénomènes indésirables, pour ne pas dire plus, actuels.

    Cet article a pour but d'illustrer en se servant de documents d'archives les deux tendances mentionnées et de montrer laquelle des deux correspondait à la politique nationale de Lénine en général et au principe léniniste du droit d'autodétermination des nations en particulier. L'histoire du Haut-Karabagh remonte à l'époque ancienne et médiévale, ce qui nous contraint à commencer cet article par un bref essai historique, rédigé d'après des faits et des témoignages historiques dignes de foi.

  • Dans son sens le plus vaste, le Karabagh correspond territorialement aux provinces historiques de l'Artzakh et, pour une grande part, de l'Outik de la Grande Arménie. Le nom de "Karabagh" n'apparaît dans les sources historiques qu'à partir du XIV siècle, s'attachant sous cette forme au vilayet du Karabagh de l'Iran Séfévide.

    L'Artzakh est mentionné pour la première fois sous les formes d'Ourtéhé ou d'Ourtéhini dans les inscriptions cunéiformes de la période ourartéenne de l'histoire d'Arménie. Dans les sources du 1er siècle av. J.-C. au 1er siècle apr. J.-C., l'Artzakh est nommé ,"Orhistène" et indiqué au nombre des provinces arméniennes.

    Au IVe siècle, l'Artzakh figure sous le nom de ,"Principauté de Tsavdé" et selon Agathange, lorsque Grégoire l'Illuminateur se rendit à Césarée pour y être ordonné catholicos d'Arménie, le seigneur de cette principauté l'y accompagna au nombre d'autres princes arméniens.

    Après le partage de l'Arménie en 387 entre l'Empire Romain et la Perse Sassanide, le Koura resta la frontière entre l'Arménie et l'Albanie du Caucase.

    Les auteurs gréco-romains et arméniens l'indiquent directement. Voici quelques extraits de leurs témoignages.

    - Strabon : "En Arménie même, il y a nombre de monts et de plateaux... nombre de vallées... comme la vallée de l'Araxe, dans laquelle l'Araxe coule jusqu'à la frontière de l'Albanie et la Koura".

    - Ptolomée : "La Grande Arménie est limitée du nord par une partie de la Colchide, de l'Ibérie et de l'Albanie sur la ligne susmentionnée passant par le fleuve de Kir".

    - Pline : "Cette tribu ( des Albans ) peuplant les monts du Caucase s'étend, comme il fut dit, jusqu'au fleuve de Kir qui forme frontière entre l'Arménie et L'Ibérie.''

    - Plutarques : "Lorsque l'hiver surprit l'armée romaine sur cette terre (en Arménie) et que les Romains célébrèrent les saturnales, les Albans se réunirent au nombre d'au moins quarante mille, passèrent le fleuve de Kir et les attaquèrent'', c'est-à-dire qu'ils passèrent sur la rive droite de la Koura.

    - Dion Cassius : "Oris, roi des Albans, vivant au-delà de la Kirna".

    - Faust de Byzance : "(Mouchegh Mamikonian) désigna la Koura comme frontière entre son pays (l'Arménie) et l'Albanie, de même qu'avant". Sanésan, roi du Maskout, "passa sa frontière, qui était un grand fleuve, et submergea le pays d'Arménie".

    Ainsi, toutes les données des sources grecques, latines et arméniennes confirment indiscutablement que le Haut-Karabagh, bien qu'ayant été connu sous différents noms à diverses époques historiques, fut l'une des provinces traditionnellement arméniennes et l'éthnos arménien en constitua toujours la population aborigène. Strabon, témoin oculaire, affirme sous le règne d'Artachès 1er (189-160 av. J.-C.) en Arménie: "toutes les ethnies parlent actuellement la même langue", c'est-à-dire la langue arménienne.

    Les témoignages susmentionnés des sources grecques, latines et arméniennes nous fondent à conclure que c'est bien inutilement que certains historiens azerbaïdjanais entreprennent depuis vingt-cinq ans de réviser et d'altérer les questions de l'histoire de l'Artzakh et de l'Outik qui n'ont d'ailleurs jamais fait l'objet d'aucun différent parmi les historiens, et de démontrer l'indémontrable: l'Artzakh, l'Outik et tout l'Alouank arménien sont soi-disant des régions albanes, toute la culture matérielle et spirituelle créée sur ce territoire (monuments d'architecture, inscriptions arméniennes, khatchkars etc.) appartient à la culture albane, Movsès Kalankatvatsi, Mkhitar Goch. Vanakan Vardapet, Kirakos Gandzakétsi, etc., représentants éminents de la science et de la littérature arméniennes, sont des auteurs albans de langue arménienne.

    Et évidemment, il fallait faire coïncider tout cela, d'une façon ou d'une autre, avec l'ethnogenèse du peuple azerbaidjanais. Pour un certain nombre de raisons, dont la langue iranienne des Mèdes, on a du renoncer à la "théorie mède" de l'origine du peuple azerbaidjanais. Elle fut remplacée par la "théorie albane", les Azerbaidjanais étant soi-disant des Albans islamisés, l'Artzakh et l'Outik, une partie de l'Albanie et, par conséquent, toute la culture antique et médiévale de ces régions, culture azerbaïdjanaise. Bien que la "théorie albane" soit encore en plein "épanouissement", il ne fait aucun doute qu'elle aura le même sort que la précédente sous la pression de faits et de réalités historiques indiscutables.

    Du XVIe jusqu'au début du XVIIIe siècle, le Haut-Karabagh continua à rester une région entièrement peuplée d'Arméniens, constituant un vilayet séparé avec chef-lieu à Guiandja. Aux années 1720, le Karabagh et le Siounik commencèrent une lutte nationale dont le but était de rejeter avec l'aide de la Russie le joug persan.

    Après 1724, la lutte des Arméniens du Karabagh et du Siounik se tourna contre les occupants ottomans. En 1725, les troupes iraniennes réoccupèrent la Transcaucasie. Constatant que la lutte armée avait conduit à l'indépendance de cinq mélikats arméniens du Haut-Karabagh, Nadir chah fut contraint à reconnaître cette indépendance et créa une nouvelle unité administrative sous le nom de Mélikat Hamsaï (union de cinq mélikats arméniens).

    D'après le traité de 1813 de Gulistan, qui mit un terme à la guerre russo-iranienne de 1804-1813, les khanats du Karabagh et de Guiandja passèrent à la Russie avec les autres provinces nord-est de l'Arménie Orientale.

    Le traité de Turkmentchaï (février 1828) qui termina la seconde guerre russo-iranienne (1827-1828), donna à la Russie les khanats d'Erévan et de Nakhidjévan, ainsi que la province d'Ordoubad. Ce fut le rattachement définitif de toutes les terres de l'Arménie Orientale à la Russie.

    Après un certain nombre de changements administratifs et territoriaux, aux années 1840-1860, la Transcaucasie fut partagée en cinq provinces. Une partie du territoire de l'Arménie Orientale constitua les provinces d'Erivan et de Tiflis, une autre (dont le Haut-Karabagh) celle d'Elizabethpole. Le district de Nakhitchévan faisait partie de la province d'Erivan. Ce partage administratif et territorial, nullement basé sur le principe de l'appartenance historico ethnique, se conserva, à part quelques changements insignifiants, jusqu'en 1917.

  • La question de l'autodétermination du Haut-Karabagh, du Nakhitchévan et du Zanguézour fit pour la première fois l'objet d'un différend entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan pendant l'été et l'automne de l'année 1920. Au cours des années 1918-1920, lorsque les forces antisoviétiques de la Transcaucasie réussirent séparer cette région de la Russie Soviétique, les moussavatistes s'efforcèrent plus d'une fois, de prendre ces provinces. A cette époque, la population arménienne du Nakhitchévan, de Bakou, de Choucha et d'autres localités de l'Azerbaïdjan actuel fut cruellement massacrée par les occupants turcs et les bandes moussavatistes. Néanmoins, la population arménienne de ces territoires, les armes à la main, défendit courageusement ses droits et ses terres. Le 3 juin 1919, S. Kirov, membre du Conseil révolutionnaire de la XIe armée, souligna le peu de fondement des exigences des moussavatistes en communiquant à V. I. Lénine que les provinces arméniennes "du Karabagh et du Zanguézour ne reconnaissaient pas le gouvernement azerbaïdjanais".

    Après la victoire du Pouvoir soviétique en Azerbaïdjan (avril 1920), N. Narimanov, que rien n'était capable d'arrêter, exigea le rattachement du Haut-Karabagh, du Zanguézour et du Nakhitchévan à l'Azerbaïdjan. Certains hommes d'Etat de l'époque hésitaient à le faire, d'autres méconnaissant le principe d'autodétermination des nations de Lénine, misaient sur la victoire du Pouvoir soviétique en Azerbaïdjan. T. Staline, par exemple, soutenait N. Narimanov. Dans un télégramme adressé à G. Ordjonikidzé, où il accuse ce dernier de nager entre deux eaux, il écrit: "Mon opinion est qu'il faut soutenir une des parties, dans ce cas précis, évidemment, l'Azerbaïdjan et la Turquie".

    La tentative de rattacher le Haut-Karabagh, le Zanguézour et le Nakhitchévan à l'Azerbaïdjan ne fut soutenue ni par le Comité central du Parti des ouvriers et des paysans (bolchéviks) ni par les dirigeants du Parti et du gouvernement soviétique. Au nombre de ces derniers se trouvait G. Tchitchérine, commissaire du peuple aux Affaires étrangères qui agissait conformément à la politique du Comité central. Le fond de la question consistait en ce que G. Tchitchérine et d'autres hommes d'Etat refusaient de donner la priorité à l'Azerbaïdjan dans cette question discutable pour l'unique raison que le pouvoir soviétique fonctionnait déjà en Azerbaïdjan et pas encore en Arménie. Ils trouvaient que l'unique issue de cette situation était la constitution de soviets locaux en présence des troupes russes; avec cela, ils se fondaient sur un fait indiscutable: toutes ces trois provinces étaient des terres traditionnellement arméniennes. A la question posée par Lénine le 24 juin 1920: "Ne peut-on pas s'entendre à l'amiable avec Narimanov?", G. Tchitchérine répondit: "Le Karabagh est une région traditionnellement arménienne".

    En même temps, Tchitchérine qualifiait les prétentions de Narimanov sur les terres arméniennes de "connivence avec les tendances islamiques".

    Lors d'un entretien direct avec G. Ordjonokidzé, il lui expliqua que la politique de Comité central était la suivante: insister pour que les territoires disputés entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan soient occupées par des troupes russes et non pas azerbaïdjanaises. La question de l'appartenance de ces territoires serait remise jusqu'à l'assainissement de la situation politique. Nous espérons, continuait-il, que vous saurez retenir les camarades de Bakou dans le cadre de la politique menée par le Comité central.

    Quelques jours plus tard, G. Tchitchérine télégraphiait à G. Ordzhonikidzé: "On nous a déclaré plus d'une fois que garder le Karabagh et le Zanguézour sous notre occupation provisoire, au lieu de les transférer à l'Azerbaïdjan, porterait atteinte au pouvoir soviétique de Bakou. Apprenez-nous nettement et concrètement de quoi il s'agit. S'il s'agit de soutenir les aspirations expansionnistes des musulmans nationalistes, c'est une mauvaise politique et sur cette voie, nous ne favoriserions que le développement des instincts nationalistes..., nous nous mettrions sur le même rang que les moussavatistes et les aiderions ainsi. S'il s'agit d'étendre la sphère du Pouvoir soviétique, ce but peut être atteint par l'occupation russe. Si tout cela cache les aspirations de l'orientation moussavatiste, elle doit être rejetée à l'égal de la précédente."

    Ce télégramme fut bientôt suivi de la décision du Bureau politique du Comité central. Le 7 juillet 1920, sous la présidence de V. I. Lénine, il adopta un décret instruction sur la politique à réaliser au Caucase. Ce décret et surtout sa 8ème clause imposaient aux communistes travaillant au Caucase le devoir d'expliquer à la population des territoires disputés et occupés par les troupes russes que ces territoires étaient occupés provisoirement dans le but d'éviter des différents entre les nations et que la question de leur appartenance serait résolue par une commission mixte sous la présidence de représentants de la Russie et que cette commission se laisserait guider par la volonté de la majorité ethnique de ces territoires. Le bureau politique exigeait des institutions militaires de tenir compte de. cette instruction, de même que devaient le faire tous les membres du Bureau caucasien du Parti. On ne saurait être plus clair. L'instruction était basée sur le principe de Lénine de l'auto-détermination des nations, qui, dans ce cas précis, ne pouvait être réalisé qu'en présence des troupes de la Russie soviétique: seule cette présence était capable d'assurer la libre expression de la volonté de la population, d'éviter le diktat qui aurait pu avoir lieu si ces territoires étaient occupés par dès troupes azerbaïdjanaises, situation à laquelle s'opposa Tchitchérine le 26 juin, conformément à la position du Comité central.

    N. Narimanov ignora l'analyse profonde et multilatérale faite par le Comité central du Parti, par G. Tchitcbérine et S. Kirov en vue de la solution du problème du Haut-Karabagh, du Zanguézour et du Nakhitcévan d'après le principe national et territorial, en tenant compte de la volonté de la population locale. Accusant G. Tchitchèrine de "semer la confusion", en juillet 1920, au cours d'une conversation téléphonique avec le représentant de l'Azerbaïdjan en Géorgie, il parla en fait de contraindre la population arménienne des provinces disputées à opter pour le rattachement à l' Azerbaïdjan. "Personne au monde, dit-il, n'est capable de nous empêcher d'influencer la population des provinces en question pour qu'elle opte pour le rattachement à l'Azerbaïdjan".

    Que voulaient donc dire N. Narimanov et ses partisans en parlant de "influencer la population"? Vers le milieu de l'été 1920, la présence des troupes russes soviétiques et l'existence de l'instruction du Comité central contribuèrent à modifier la situation. Il faut avouer aussi que les Azerbaidjanais avaient commencé à agir avec plus de souplesse. Ils mettaient en action d'autres moyens d'atteindre leur but, moyens dont parlait ouvertement Assad Karaév, président du comité révolutionnaire de la province du Karabagh dans une lettre adressée le 19 juillet 1920 au président du comité révolutionnaire du district du Guéroussine (Goris), où il reconnaissait, entre autres, que la population du Karahagh et du Zanguézour résistait avec succès aux troupes azerbaïdjanaises qui essayaient de rattacher de force ces provinces à l'Azerbaïdjan. "Notre ancienne politique, qui consistait à occuper le Karabagh et le Zanguèzour, était profondément erronée, écrivait-il. Nous savons que nos troupes ont été battues et réduites à la retraite, mais aujourd'hui, au lieu de nos soldats, notre argent accomplit des miracles. Une fois de plus, je vous répète mon conseil de ne ménager aucune somme, d'augmenter les salaires, de donner des primes et tout ce qu'ils voudront. Le gouvernement a assigné 200 millions de roubles pour conduire à bien le rattachement du Karabagh et du Zanguézour à 1'Azerbaïdjan. Il faut se hâter, la situation peut changer de façon inattendue. Les commentaires sont superflus".

    Il est évident qu'Assad Karaév et les autres partisans de N. Narimanov, dans leur désir de rattacher ces provinces arméniennes à l'Azerbaïdjan, étaient prêts à recourir à d'autres moyens aussi : désarmer les paysans arméniens, les priver de leurs chefs, jeter en prison les Arméniens respectés, confier les postes importants seulement aux musulmans, etc. Le 21 juillet 1920, Assad Karaév donnait précisément ce genre d'instructions au comité révolutionnaire de Guéroussine: "90 % des villages arméniens ne sont pas désarmés. C'est bien triste. Mais ce qui est encore plus triste, c'est que les Arméniens du Zanguézour ne sont pas encore privés de leurs chefs. Leurs intellectuels et leurs chefs militaires restent encore dans les villages... Tâchez d'arrêter tous les Arméniens utiles et respectés,... renoncez à l'humanisme. Ce n'est pas cela qui permet de fonder des Etats et de conquérir des pays... Nos camarades d'ici ne sont pas très contents des membres du comité révolutionnaire de Guéroussine. Tâchez de le réélire en choisissant surtout des musulmans et des Russes connus de nous... Dans les localités ou les soldats sont nombreux, afin d'affaiblir les Arméniens, tuez un soldat russe et accusez-en les Arméniens. Imaginez la vengeance des Russes. Ne laissez au Zanguézour ni gens comme il faut ni richesse, afin que cette race maudite ne puisse plus se relever". Ces instructions sont monstrueuses, mais elles montrent une fois de plus que tous les moyens étaient bons aux responsables de l'Azerbaïdjan soviétique pour atteindre leur but. Ils n'hésitaient même pas à noircir les soldats russes soviétiques, venus avec une mission de paix et à les représenter capables de sévir contre la population locale.

    Il est évident que malgré la victoire du pouvoir soviétique en Azerbaïdjan et la présence du gouvernement bourgeois en Arménie, le Bureau politique au Comité central chargeait les soviets de ces territoires de résoudre la question du statut administratif et territorial du Haut-Karabagh et du Zanguézour et remettait la solution définitive de cette question jusqu'à la création de conditions favorables - sous lesquelles on sous-entendait visiblement la victoire du Pouvoir soviétique en Arménie aussi, parce qu'il soutenait le principe de Lénine d'auto -détermination des nations et se laissait guider par l'indiscutable vérité qu'il était indispensable de tenir compte de l'opinion de la population arménienne aborigène du Haut -Karabagh et du Zanguézour. Tchitchérine lui-même, comme nous l'avons déjà dit, avait écrit à V. I. Lénine qùe "le Karabagh était une province traditionnellement arménienne".

    Les questions territoriales discutées restèrent sans solution jusqu'à la victoire du pouvoir soviétique en Arménie (29 novembre 1920), qui fut suivie aussitôt de la déclaration du 1er décembre 1920, signée par N. Narimanov et Housseinov, où ils renonçaient aux territoires discutés et les cédaient à l'Arménie soviétique. La déclaration disait "Le gouvernement des ouvriers et des paysans de l'Azerbaïdjan, ayant appris la proclamation d'une République socialiste soviétique en Arménie par les paysans révoltés, salue la victoire du peuple. Dès aujourd'hui, les anciennes frontières entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan sont annulées. Le Haut-Karabagh, le Zanguézour et le Nakhitchévan sont reconnus partie intégrante de la République Socialiste Soviétique d'Arménie".

    Le 3 juin 1921, le Plénum du Bureau transcaucasien du Parti chargea le gouvernement de l'Arménie Soviétique d'adopter une déclaration spécifiant l'appartenance du Haut-Karabagh à l' Arménie.

    Cette solution des questions territoriales fut soutenue par V. Lénine, G. Ordjonikidzé, S. Kirov, I. Staline et le journal Pravda, organe du Comité central du Parti. Toutefois, la position de N. Narimanov et des autres quant à la question du Haut-Karabagh subit bientôt un changement cardinal. N. Narimanov, président du gouvernement de l'Azerbaïdjan, exigea de laisser le Haut-Karabagh à l'Azerbaïdjan, déclarant que dans le cas contraire, "il refusait toute responsabilité". Il ajouta aussi qu'ainsi "on restaurerait les groupes antisoviétiques en Azerbaidjan ".

    Le 4 juillet 1921, le Plénum du Bureau de Transcaucasie se réunit pour résoudre la question du Haut-Karabagh et par la majorité des voix, il décida de laisser la région à l'Arménie. N. Narimanov protesta et exigea de transférer la solution du problème au Comité central du Parti. Le Bureau de Transcaucasie en décida de même. Mais le lendemain, en présence de I. Staline, une nouvelle séance du Bureau de Transcaucasie fut réunie et, sans discussion ni vote, il prit la décision désirée par Narimanov. Le décret disait: "Compte tenu de la nécessité d'établir la paix nationale entre les musulmans et les Arméniens, ainsi que du lien économique existant entre le Karabagh de haute montagne et celui de la plaine, ses liens permanents avec l'Azerbaïdjan, laisser le Haut-Karabagh à la R.S.S. d'Azerbaïdjan, lui donnant une vaste autonomie avec centre administratif à Choucha, ville se trouvant sur le territoire de la région autonome".

    Le Comité central du Parti communiste de l'Arménie protesta contre cette solution du problème. Visiblement, la décision du 5 juillet 1921 fut prise sous la pression exercée par I. Staline et l'influence de l'ultimatum menaçant de N. Narimanov. En fait, la séance se déroula sans aucune discussion de la question et la décision fut prise sans vote.

    La décision du plénum du 5 juillet 1921 du Bureau Caucasien ne résiste pas à la critique. Premièrement, parce qu'elle passa outre à la volonté de la population arménienne qui constituait 94% du nombre total des habitants de la région; deuxièmement, parce que la formule "par nécessité d'établir la paix nationale entre les musulmans et les Arméniens et à cause des liens économiques... avec 1'Azerbaïdjan" est unilatérale; loin d'être fondée ou convaincante, elle est en outre absolument insuffisante pour décider de la destinée de toute une région; troisièmement, parce que la question ne fut pas votée.

    Ainsi, la décision du 5 juillet 1921 du Bureau Caucasien du Parti des ouvriers et des paysans (bolchéviks) ne peut être considérée comme fondée. Notons que V. I. Lénine, étant malade et forcé à garder le lit presque en permanence au cours des années 1921-1922, ne put participer à la solution des problèmes nationaux qui étaient presque entièrement concentrés aux mains de I. Staline. Nous sommes profondément convaincus que c'est précisément par l'absence de Lénine qu'il faut expliquer la hâte avec laquelle furent résolues un certain nombre de questions du même genre (celle du Karabagh entre autres), et l'injustice des décisions se trouvant en contradiction avec la politique nationale de Lénine. Voici ce qu'en écrivit Lénine par la suite:

    "En été, lorsque cette question fut résolue, j'étais malade et ensuite, en automne, je plaçais trop d'espoir en ma convalescence et les plénums d'octobre et de décembre qui devaient me donner la possibilité d'intervenir dans cette question. Malheureusement, je ne pus participer ni au Plénum d'octobre (consacré à cette question), ni à celui de décembre. Ainsi, cette question m'a échappé presque totalement... Visiblement, tout ce projet "d'autonomisation" était profondément erroné et intempestif...

    Je pense qu'un rôle fatal y appartient à la hâte et à la passion administrative de Staline, ainsi qu'à son irritation contre le fameux "social - nationalisme". En politique, l'irritation joue toujours le pire rôle".


    Il est hors de doute que la séparation du Haut-Karabagh de 1'Arménie fut l'une des manifestations de "l'irritation de Staline".
Quelques pages www et photos à chercher
  • Recherches à entreprendre sur les biographies et les travaux concernant les deux historiens arméniens auteurs de l'article : Pr Vardkès Mikaélian et Pr Lendrouch Khourchoudian

  • Recherches sur les geographes grecques et latins : Strabon — Ptolomée — Pline le Jeune ou l'Ancien (?) — Plutarque — Dion Cassius - en préparation

  • Lénine : pages en arménien — Staline : [(*)] - [(*)] - [(*)] — S. Kirov : [(*)] - [(*)] - [(*)] — G. Tchitchèrine : [(*)] - [(*)] - [(*)] — N. Narimanov : [(*)] - [(*)] - [(*)] — G. Ordzhonikidzé : [(*)] - [(*)] - [(*)] — Assad Karaév : [(*)] - [(*)] - [(*)] — Housseinov : [(*)] - [(*)] - [(*)]

Relevés chronologiques (1919 > 1922) à partir du texte

  • - 3 juin 1919 : appréciation de S. Kirov, membre du Conseil révolutionnaire de la XIe armée
    - avril 1920 : pouvoir soviétique en Azerbaïdjan
    - 24 juin 1920 : question posée à Lénine
    - milieu de l'été 1920 : présence des troupes russes soviétiques
    - juillet 1920 : N. Narimanov accusant Tchitchérine de semer la confusion
    - 19 juillet 1920 : lettre d'Assad Karaév, Président du comité révolutionnaire de la province du Karabagh adressée au Président du comité révolutionnaire de Goris,
    - 21 juillet 1920 : Assad Karaév donne des instructions au comité révolutionnaire de Goris
    - 29 Novembre 1920 : victoire du pouvoir soviétique en Arménie
    - 1er décembre 1920 : déclaration signée par N. Narimanov et Housseinov,
    - 3 juin 1921 : le Plénum du Bureau transcaucasien du Parti chargea le gouvernement de l'Arménie Soviétique d'adopter une déclaration spécifiant l'appartenance du Haut-Karabagh à l' Arménie (> Journal Pravda à Moscou)
    - 4 juillet 1921 : Plénum du Bureau Caucasien du Parti des ouvriers et des paysans (bolchéviks) laisse le Karabagh à l'Arménie
    - 5 juillet 1921 : en présence de I. Staline, une nouvelle séance et sans discussion ni vote > le Bureau de Transcaucasie prit la décision désirée par Narimanov.
    - 1921-1922 : Lénine malade et forcé à garder le lit.
Carte des déplacements des troupes militaires dans cette région de la Transcaucasie
(à venir)