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Au cours du carnage impérialiste
(il s'agit de la Première Guerre mondiale. -Réd.) , l'Arménie
est retournée à l'état sauvage. Le réseau scolaire a été détruit
aussi bien dans les villages que dans les villes , écrivait
la "Pravda" en 1922. Un an plus tard, le même journal, parlant
de la restauration et du développement de l'instruction publique,
notait un fait sans précédent pour l'époque: dans la ville et la
province d'Erivan, vingt-cinq écoles avaient été ouvertes pour les
minorités nationales en langues turque (c'est-à-dire azerbaïdjanaise-Réd).
russe et assyrienne. Mais ce n'est pas tout. Aussi étrange que cela
soit, le journal avait oublié de noter l'ouverture d'écoles où l'enseignement
se faisait en langue kurde, cette nouvelle étant beaucoup plus importante,
car avant d'ouvrir des écoles kurdes, il avait fallu créer un alphabet
pour la langue kurde.
- Tu sais, sans doute, que Rockwell Kent a qualifié l'Arménie
de "pays de merveilles" dit Mamé Gouloyan, mécanisateur et correspondant
rural au correspondant du journal "Communiste". Mais tu ne peux
savoir que le plus grand des miracles est l'importance du progrès
des Kurdes en Arménie Soviétique.
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Les paroles de Mamé Gouloyan
sont confirmées par un kurdologue suédois ayant récemment visité
l'Arménie: "Dans aucun pays, et il faut noter qu'il y a des Kurdes
même en Suède, ils ne jouissent de conditions aussi favorables à
leur développement social et culturel que dans votre république.
C'est un vrai miracle!"
Que de miracles, pourrait-on
dire. Occupé chacun de nos affaires, peut-être ne remarquons-nous
pas toujours que depuis une quinzaine de siècles, nous vivons
côte à côte avec un peuple ancien et original. Récemment encore,
c'était une population de bergers nomades qui, au cours des dernières
décennies, s'est peu à peu et très naturellement intégrée à la
vie moderne. Malgré le milieu étranger dont il est entouré, il
a su conserver sa langue, ses us et coutumes, son riche folklore
et même quelques particularités de ses moeurs traditionnelles.
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Le fait que les Kurdes aient
conservé leur originalité nationale n'a à première vue rien d'étonnant.
Les spécialistes considèrent d'ailleurs le Caucase et la Transcaucasie
comme une région unique au monde sous l'aspect de la variété des
groupes linguistiques et ethniques qui y vivent. Richard Frigh,
iraniste américain est convaincu que: "Ce n'est pas une chaudière,
comme pensent certains, mais un refuge par excellence, où les petits
groupes ethniques ont réussi à survivre au cours d'une histoire
millénaire". C'est bien ainsi, d'autant plus que ni les Arméniens,
ni les Kurdes ne peuvent être considérés comme de petits groupes
ethniques. D'autre part, le "refuge", historiquement, n'était pas
de tout repos et, au début du XXe siècle, il faillit se transformer
en guet-apens, où le peuple arménien devint victime du premier génocide
de l'histoire et se retrouva au bord du précipice.
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Mais voilà le plus étonnant
: à peine sauvé de l'anéantissement, ayant à peine rétabli sa souveraineté
à cinq siècles d'intervalle, héritant d'un pays ruiné, épuisé par
la famine et les épidémies, envahi par une armée de 250 mille réfugiés,
le peuple arménien, pratiquement dès ses premiers pas, se préoccupa
de l'avenir des autres nations, auxquelles l'avait lié son destin
historique. Or, il ne serait pas superflu d'ajouter que justement
avec les Kurdes, depuis plusieurs années, les relations étaient
loin d'être idéales. Mais ni la vengeance ni les vieux comptes n'occupaient
la jeune république. Elle voulait créer- avec tout ce qu'il lui
fallait créer-des relations d'un type nouveau entre les gens de
différentes nationalités. Création d'une base pour le développement
social et culturel, contribution à la réalisation des plans sociaux
et culturels-tout ceci n'a rien à avoir avec les manifestations
de pragmatisme politique et n'est que l'acquittement d'une dette
morale envers un petit peuple, envers l'histoire et la civilisation
mondiale.
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Environ six mois après l'instauration
du Pouvoir soviétique en Arménie, en avril 1921, le Commissariat
du peuple pour l'instruction publique de la R. S. S. d'Arménie
chargea les spécialistes de créer un alphabet kurde. Au mois de
juillet de la même année, Hacop Ghazarian (Lazo), grand
connaisseur de la langue kurde, kurdologue arménien, pédagogue
et écrivain, publia l'alphabet kurde créé par lui sur la base
de la graphie arménienne et un manuel pour les écoles kurdes intitulé
"Chams"("Soleil"). En octobre, "Chams", imprimé
à l'imprimerie d'Etchmiadzine, sortit accompagné d'un manuel kurde
pour les adultes "Etoile rouge".
Les premiers illuminateurs
du peuple kurde ont laissé un souvenir ineffaçable à Houssein
Djndoyan, professeur d'histoire ayant enseigné pendant un
demi-siècle à l'école kurde du village d'Alaguiaz du district
d'Aragatz.
Les premiers professeurs
de langue kurde étaient Arméniens. Voici comment cela s'est passé...
La formation d'enseignants pour les écoles kurdes avait lieu parallèlement
à la création de l'alphabet et les manuels kurdes. En août
1921; on organisa au district d'Achtarak des cours que dirigeait
Hacop Ghazarian, Les auditeurs de ces cours étaient pour la plupart
des représentants de l'intelligentsia arménienne, l'enseignement
se faisait en kurde. En octobre, la fin des cours coïncida avec
la publication des manuels. Parmi les promus, on peut citer Aram
Mouradian, Tagouhi et Nchan Rchtouni, Soghomon
Sarkissian, Socrate Mekertchian; Erem Aïvazian
et Alildian Chahinov, premier enseignant kurde, etc. Ils
furent tous nommés dans les écoles kurdes des différents districts
d'Arménie. Dés 1921, on comptait cinq école kurdes qui accueillirent
267 élèves.
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Que ces chiffres ne vous
semblent pas modestes. A cette époque, la population kurde d'Arménie
n'atteignait pas huit mille habitants, actuellement, ce chiffre
dépasse soixante mille.
Le premier alphabet kurde en transcription arménienne joua
un rôle important pour l'instruction de la population kurde de
notre république, Toutefois, la littérature kurde et les manuels
imprimés avec cet alphabet n'avaient point. de lecteurs hors d'Arménie
Il fallait un autre alphabet qui fut commun aussi bien à tous
les Kurdes d'Union Soviétique qu'aux millions de Kurdes du monde
entier.
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En 1928, sur la décision,
du Comité central du Parti communiste d'Arménie, on entreprit
la création d'un nouvel alphabet kurde. Ses auteurs furent
A. Chamilov et I. Marogoulov. Au mois de mars de
l'année suivante, ce nouvel alphabet à graphie latine fut adopté
officiellement et l'on commença la rédaction de nouveaux manuels
avec la participation de spécialistes kurdes.
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La création de l'alphabet
kurde et la victoire sur l'analphabétisme contribuèrent à la fondation
du journal kurde "Ria taza". ("Nouvelle voie"), dont le
premier numéro sortit le 25 mars 1930.
Le 1er janvier 1931, on fonda à Erévan un Technicum transcaucasien
de pédagogie kurde où l'enseignement devait durer quatre ans.
Dans cette nouvelle école, dont le premier directeur fut Arab
Chamilov, la majorité des professeurs (dix sur douze) étaient
Arméniens.
En 1946, on créa un troisième alphabet sur la base
de la graphie de l'alphabet russe.
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Houssein Djndoyan
: Tous les problèmes de l'instruction
des Kurdes sont résolus depuis longtemps. A présent, il n'y a
pas en Arménie de village kurde qui n'ait pas d'école. Il n'y
a pas d'école supérieure où un Kurde ne puisse pas prendre ses
inscriptions. Mes cinq fils et mes trois filles sont tous diplômés;
juriste, médecin, ingénieur, économiste... Les plus âgés de mes
trente petits-enfants sont également étudiants. Je comprends que
les diplômes soient chose habituelle pour les Arméniens, mais,
croyez-moi, les Kurdes en sont très fiers...
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Arsène
Poladov, régisseur du Théâtre de
pantomime d'Erévan: Ce fut un événement
important dans la vie de notre peuple.
Ce théâtre fit connaître aux Kurdes les
meilleurs spécimens de la dramaturgie
des écrivains soviétiques et fut très
prisé par les Kurdes d'Arménie, de Géorgie
et d'Asie Centrale.
La
fondation de ce théâtre ne fut possible
que grâce au concours constant de
la troupe du Théâtre arménien dramatique
Soundoukian, dont faisait également
partie M. Djanan, artiste émérite
de la république, premier régisseur
du Théâtre kurde. L'existence du théâtre
fut cause que les écrivains arméniens
choisissent les meilleurs spécimens
du. folklore kurde et les transposent
en pièces de théâtre, telles "Marné
et Ziné", de S. Tarontz,
"Kar et Kuluk". "Khatché. et Siaband"
de S. Guinossian qui constituèrent
le répertoire du Théâtre kurde.
Cet unique théâtre kurde joua un rôle
inestimable dans le développement
culturel et l'enrichissement spirituel
de la population kurde de Transcaucasie,
tout en servant de moyen d'éducation
idéologique et politique des travailleurs.
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"Erévan Khabar dda".
Depuis un quart de siècle, ces paroles - qui signifient" Ici Erévan
" prononcées par Kiaramé Sayad, speaker de la Radio arménienne,
commencent le programme quotidien en langue kurde qui dure une heure
et demie.
- Chaque fois que je prononce ces mots, dit R. Sayad, je
forme le souhait qu'ils soient. entendus aussi par les Kurdes de
l'étranger, qu'ils entendent leurs mélodies nationales, qu'ils apprennent
quelque chose sur notre vie en Arménie Soviétique. Songez donc qu'en
Turquie vivent plusieurs millions de Kurdes, dont le gouvernement
turc ne veut pas reconnaître l'existence. On les appellent Turcs
montagnards ils font l'objet de cruelles exactions. Parler kurde
est considéré comme un crime passible de prison. Les Kurdes l'Iran
et des autres pays ne sont pas dans une meilleure situation.
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Tcharkiazé
Rach, poète kurde :
Je voudrais dire en conclusion que pour comprendre
le phénomène actuel de la littérature
et de la culture kurdes dans leur ensemble,
il faut connâtre et apprécier à
sa juste valeur la contribution du peuple arménien
à l'évolution spirituelle et economique
des minorités nationales de la république.
Cette contribution paraît d'autant plus
importante lorsqu'on pense àla destinée
des Kurdes de l'ancien district kurde de la
Russie tsariste.
Chaque peuple, le peuple arménien entre
autres, a sa propre et spécifique morale.
Comme poète kurde, je remercie la destinée
pour avoir permis que ma formation spirituelle
et intellectuelle, ma consience et ma mentalité
se soient constituées en Arménie
Soviétique. Je suis à jamais le
fils reconnaissant de cette terre, petite du
point de vue géographique, mais possédant
une authentique grandeur.
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Propos recueillis
dans la presse de la République arménienne
par l'Arménie aujourd'hui
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