- Le colloque « Après
la terreur, la reconstruction » s'est achevé samedi à La- Roche-sur-Yon.
Temps fort de cette dernière journée : l'exposé de la philosophe et
psychanalyste d'origine arménienne Hélène Piralian sur la "mémoire impossible".
"La reconnaissance du génocide arménien passe par la reconnaissance
de celui de la Vendée!" Intervention poignante, parce qu'ancrée dans
le vécu, que celle d'Hélène Piralian. La psychanalyste parisienne, d'origine
arménienne, a expliqué combien le déni par le pouvoir turc du génocide
des Arméniens d'Anatolie (1), en 1915, pèse sur le psychisme de ce peuple.
Génocide ? Mme Piralian ajoute à la définition juridique du terme (l'extermination
planifiée d'un groupe) un second niveau d'analyse : "C'est la volonté
de détruire des gens en tant qu'humains. Non seulement on les tue, ce
qui serait un simple massacre (dans toute son atrocité), mais dans le
cas de l'Arménie, on les a déshumanisés, rayés de l'histoire. On a tué
la descendance, et l'on a effacé les ascendants en labourant les cimetières,
en détruisant les églises". On a voulu "sarcler la race humaine", dit-elle,
reprenant l'expression des "exterminateurs" de la Vendée.
La
victime coupable
- Conséquence du
déni d'un tel "gommage" : une forme de persécution des rescapés et de
leur descendance, selon un mécanisme que détaille la psychanalyste.
"Le seul moyen pour les enfants de perpétuer la mémoire de ces morts,
c'est de les porter, de commémorer, d'être des témoins vivants. Toute
la vie n'est occupée que par cela... Vivre pour soi devient alors une
trahison ». Sentiment de culpabilité dont les survivants ne pourront
jamais se "libérer" - si tant est que cela soit possible - aussi longtemps
que le génocide est nié.
"En refusant le terme de génocide, ce ne sont pas les événements qui
sont contestés, mais leur sens. Le déni falsifie le sens », précise
Mme Piralian. Il transforme la victime en agresseur, il habille en "acte
de guerre" dicté par des circonstances historiques des politiques délibérées,
estime la psychanalyste, qui relève là les "similitudes structurales"
avec l'attitude de la France quant à la Vendée.
«
Le procès est ouvert... c'est le colloque »
- Pour Hélène Piralian,
les liens entre la Vendée et l'Arménie ne s'arrêtent pas là. L'Occident
se refuse toujours, rappelle-t-elle, à une reconnaissance officielle
du génocide arménien. Pourquoi ? Le génocide arménien, perpétré au moment
où se forge l'État-nation turc, va de pair avec l'idée de société nouvelle.
C'est la "terre vierge pour construire un homme nouveau", selon une
expression empruntée à l'historien vendéen Alain Gérard.
Autrement dit, la puretée originale est entachée de sang, et reconnaître
le génocide arménien renverrait à "un refoulement dans l'histoire de
l'Occident La non-reconnaissance du génocide arménien sert à protéger
le déni du génocide vendéen". Bref, à masquer le fait que la Terreur
a été consubstantielle à la Révolution. Le mythe de la pureté révolutionnaire
en prend un sérieux coup.
Pourtant, selon Mme Piralian, cette reconnaissance est indispensable.
Dans le cas de l'Arménie, elle souhaite des procès posthumes, pour séparer
les bourreaux des victimes : "Les morts seraient ainsi réhumanisés -et
enterrés en terre symbolique". Ce qui libérerait du même coup les vivants
de leur obligation de les porter. Il ne s'agit donc pas de vengeance,
mais de reconstruire le sens.
Pour la Vendée, il pourrait s'agir de remettre de l'ordre dans les symboles.
"Effacer le nom de Turreau de l'Arc de triomphe, ce n'est pas s'en prendre
à Turreau, c'est le symbole de la reconnaissance". Faire un procès ?
"Ce procès a déjà commencé", assure Alain Gérard, en conclusion du colloque
: "C'est le colloque lui-même".
(1). 600.000 à 1,5 million de morts suivant les sources.
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