• Vendée - Arménie : la mémoire impossible ?

  • Quotidien OUEST-FRANCE du Lundi 29 avril 1996
    - Vendée, p7 - Article signé B.R. -
reproductions de l'article d'O-F
et de la photo d'H.P. au Colloque
à venir
  • Le colloque « Après la terreur, la reconstruction » s'est achevé samedi à La- Roche-sur-Yon. Temps fort de cette dernière journée : l'exposé de la philosophe et psychanalyste d'origine arménienne Hélène Piralian sur la "mémoire impossible".

    "La reconnaissance du génocide arménien passe par la reconnaissance de celui de la Vendée!" Intervention poignante, parce qu'ancrée dans le vécu, que celle d'Hélène Piralian. La psychanalyste parisienne, d'origine arménienne, a expliqué combien le déni par le pouvoir turc du génocide des Arméniens d'Anatolie (1), en 1915, pèse sur le psychisme de ce peuple.

    Génocide ? Mme Piralian ajoute à la définition juridique du terme (l'extermination planifiée d'un groupe) un second niveau d'analyse : "C'est la volonté de détruire des gens en tant qu'humains. Non seulement on les tue, ce qui serait un simple massacre (dans toute son atrocité), mais dans le cas de l'Arménie, on les a déshumanisés, rayés de l'histoire. On a tué la descendance, et l'on a effacé les ascendants en labourant les cimetières, en détruisant les églises". On a voulu "sarcler la race humaine", dit-elle, reprenant l'expression des "exterminateurs" de la Vendée.

La victime coupable

  • Conséquence du déni d'un tel "gommage" : une forme de persécution des rescapés et de leur descendance, selon un mécanisme que détaille la psychanalyste. "Le seul moyen pour les enfants de perpétuer la mémoire de ces morts, c'est de les porter, de commémorer, d'être des témoins vivants. Toute la vie n'est occupée que par cela... Vivre pour soi devient alors une trahison ». Sentiment de culpabilité dont les survivants ne pourront jamais se "libérer" - si tant est que cela soit possible - aussi longtemps que le génocide est nié.

    "En refusant le terme de génocide, ce ne sont pas les événements qui sont contestés, mais leur sens. Le déni falsifie le sens », précise Mme Piralian. Il transforme la victime en agresseur, il habille en "acte de guerre" dicté par des circonstances historiques des politiques délibérées, estime la psychanalyste, qui relève là les "similitudes structurales" avec l'attitude de la France quant à la Vendée.

« Le procès est ouvert... c'est le colloque »

  • Pour Hélène Piralian, les liens entre la Vendée et l'Arménie ne s'arrêtent pas là. L'Occident se refuse toujours, rappelle-t-elle, à une reconnaissance officielle du génocide arménien. Pourquoi ? Le génocide arménien, perpétré au moment où se forge l'État-nation turc, va de pair avec l'idée de société nouvelle. C'est la "terre vierge pour construire un homme nouveau", selon une expression empruntée à l'historien vendéen Alain Gérard.

    Autrement dit, la puretée originale est entachée de sang, et reconnaître le génocide arménien renverrait à "un refoulement dans l'histoire de l'Occident La non-reconnaissance du génocide arménien sert à protéger le déni du génocide vendéen". Bref, à masquer le fait que la Terreur a été consubstantielle à la Révolution. Le mythe de la pureté révolutionnaire en prend un sérieux coup.

    Pourtant, selon Mme Piralian, cette reconnaissance est indispensable. Dans le cas de l'Arménie, elle souhaite des procès posthumes, pour séparer les bourreaux des victimes : "Les morts seraient ainsi réhumanisés -et enterrés en terre symbolique". Ce qui libérerait du même coup les vivants de leur obligation de les porter. Il ne s'agit donc pas de vengeance, mais de reconstruire le sens.

    Pour la Vendée, il pourrait s'agir de remettre de l'ordre dans les symboles. "Effacer le nom de Turreau de l'Arc de triomphe, ce n'est pas s'en prendre à Turreau, c'est le symbole de la reconnaissance". Faire un procès ? "Ce procès a déjà commencé", assure Alain Gérard, en conclusion du colloque : "C'est le colloque lui-même".

    (1). 600.000 à 1,5 million de morts suivant les sources.