Que dirions-nous ? Oui, que dirions-nous si le Parlement turc votait une loi interdisant sous peine d'amende, voire de prison, la négation du génocide vendéen de 1792-1794 ? Nous dirions, sans doute, que cela ne le regarde pas ; qu'il doit d'abord s'occuper de l'histoire de son pays... du génocide arménien, par exemple, et que sa volonté d'interdire, en Turquie, la négation d'un événement historique qui s'est déroulé en France, dont on peut débattre librement chez nous, le nier, ou en excuser les excès, est insupportable.
Et nous aurions raison.
Il y a bien eu génocide, cependant, dans ces départements de l'Ouest où, n'épargnant ni femmes ni enfants (32 gamins de moins de 15 ans assassinés à La Renaudière par les soldats de Cordelier), les armées de la République avaient ordre de mettre à la raison, par le fer et le feu, ceux qui s'obstinaient à défendre Dieu, le roi, ou plus simplement leurs anciennes libertés. Une ville comme Cholet perdit dans les massacres et les combats plus de 37 % de sa population. À Vihiers, le chiffre atteignit 30 % ; à Chemillé, Clisson, Mortagne, il dépassa 25 %. Au total, sur les 815 029 habitants que comptaient, en 1790, les 773 communes concernées par l'insurrection et par la répression, ce sont 117 257 personnes qui disparurent. Les ordres du Comité de salut public étaient impitoyables : « Tuez les brigands, au lieu de brûler les fermes », ordonna-t-il le 8 février 1794. « Faites punir les fuyards et les lâches en écrasant totalement cette horrible Vendée. »
Or, aucune loi n'interdit, en France, de discuter, sous-estimer, dissimuler, nier le génocide vendéen. Des historiens qui longtemps imposèrent leurs vues - Aulard, Mathiez, Soboul - le passèrent sous silence et il fallut les exhortations de Pierre Chaunu, les travaux de Dupâquier sur Carrier - l'abominable organisateur des noyades de Nantes - de Gérard, de Reynald Sécher pour que la partie cachée du drame enfin révélée, acceptée, on pût le connaître dans sa totalité et sa complexité. Et c'est très bien ainsi.
Laissons le temps accoucher de la vérité historique. En tout cas, ce n'est pas l'affaire des hommes politiques que d'imposer leur vérité. On a vu, en URSS stalinienne (où l'on retirait des photos de groupe prises le lundi ceux qui, le jeudi, étaient disgraciés ou exécutés), en Chine maoïste, en Allemagne hitlérienne, le résultat de pareilles manipulations. Sans doute, les législateurs français n'ont- ils pas, aujourd'hui, l'intention d'imiter les honteux fabricants d'une histoire officielle. Gardons-nous, toutefois, de suivre une pente dont mon confrère et ami le grand juriste François Terre a écrit dans ces colonnes qu'elle conduisait à un « abus de droit ».
J'ajoute que les donneurs de leçons s'exposent à en recevoir. À nos députés, qui se mêlent de fixer ce que les historiens d'aujourd'hui et ceux de demain ont (et auront) le droit de dire ou de ne pas dire, on pourrait demander pour quelles raisons ils n'ont pas interdit la négation des génocides commis sous Staline (ils furent longtemps approuvés, parfois applaudis, par une partie de la gauche française), les génocides commis sous Mao et, plus près de nous, sous Pol Pot ? Sur l'immense chantier de l'histoire, les génocides ont été nombreux. Mais c'est aux historiens à les découvrir, à les étudier, à en débattre, à les dénoncer et non à des parlementaires, réagissant en fonction de leurs passions ou de leurs intérêts électoraux du moment.
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