Réfléchir sur la lettre de Yevnok Lazian : non-dits ou fictions ?

  • En Novembre 2001, le CRDA a reçu cette lettre dans un message adressée aux associations franco-arméniennes.
  • Nous ne connaissons pas l'auteur de cette lettre qui se nomme Yenovk Lazian et nous ne savons pas où il habite. Par le moteur de recherche "Google", nous avons cru comprendre que Monsieur Yenovk Lazian est espérentiste. Dans son message en arménien, il pose des questions importantes auxquelles il faudrait à juste titre commencer à penser et à réfléchir sérieusement et concrètement.

  • Yenovk Lazian s'interroge sur le bien-fondé de l'éventualité que la Turquie reconnaisse un jour le génocide et qu'on puisse l'envisager. Il dénote aussi le fait que des politiciens arméniens fassent miroiter une telle éventualité sans projet ultérieur concret, sans considérer le fait que 18 millions de Kurdes vivent sur les terres historiquement arméniennes. Cette lettre est intéressante en ce sens qu'il invite à réfléchir sur certains phénomènes de causes à effets qui sont souterrains, occultés ou non-dites.

  • En effet, même si on écarte les réalités omniprésentes dans les différents registres
    - militaires
    - stratégiques
    - diplomatiques
    - politiques
    - juridiques
    - économiques (les réparations)
    - et humains (des populations locales)

  • cette "possibilité" de reconnaissance du génocide par l'Etat turc actuel
    - qui est aliéné à son idéologie kémaliste,
    - un Etat professant une occultation d'un génocide perpétré sur son propre territoire,
    - ayant scellé cette occultation par un traité international (Traité de Lausane en 1923)
    - et faisant de ce traité un élèment fondateur de son propre Etat
    eh bien, cette "possibilité" est une non-possibilité qui tient du registre de la fiction : une fiction (politico-arménienne) face à une structure étatique emmurée, cimentée, bétonnée, soudée et maquillée dans le mensonge et le négationnisme (de l'Etat turc) : un négationnisme toléré (ou avalisé) en plus par le mutisme (complice) de la communauté internationale.

  • De plus, dire que les terres à l'ouest de l'Araxe redeviennent arméniennes (par je ne sais quel miracle illusoire), relève d'une tentative inconsciente de vouloir s'échapper de l'enfermement génocidaire : comme ayant recours à une drogue cherchant à palier à l'enfermement maintenu par le déni de génocide.

    Cet enfermement entretient une confusion des genres agissant en spirale et où il est diffficile d'entreprendre un travail de discernement, de faire la part des choses et le distingo entre :
    - la-réalité-concrète-réalisable-et-accessible-dans-la-mesure-de-nos-moyens-réels(-et-encore-déstructurés)
    et
    - le-fanstasme-à-se-donner-"du-plaisir"-ou-à-se-droguer.

  • C'est ainsi que la lettre de Yevnok Lazian veut attirer l'attention qu'il y a des politiciens arméniens qui n'hésitent pas à entretenir cette confusion aliénante au lieu de penser en dehors de l'enfermement génocidaire : c'est-à-dire en tenant compte de la réalité terrestre...

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  • Cette lettre soulève également des questions dans le registre de l'Inconscient collectif (arménien ou non) et y met en marche des mécanismes intéressants.

    Un génocide est physiologiquement irréversible et bloque le temps. Avec un génocide, le symbolique est déstructuré et la transmission est brisée -voir les travaux d'Hélène Piralian.

    On sait que le symbolique peut-être rétabli seulement s'il y a reconnaissance de génocide par l'Etat descendant de l'Etat bourreau. Dans ces conditions, la symbolique territoriale le sera en conséquence :
    - même si les territoires arméniens sont peuplés de près de 20 millions de Kurdes ou de Turcs,
    - même si ces territoires resteraient en dehors de la République d'Arménie.

  • Si le génocide étant vraiment, authentiquement et définitivement reconnu (condition for improblable comme nous l'avons vue plus haut), le symbolique se retrouverait restructuré et la symbolique territoriale s'en sortira renforcée : cette dernière récupérera ainsi ou transcendera la réalité terrestre -qui ne sera pas forcément équitable ou favorable aux Arméniens sur le terrain à cause des 20 millions de non-Arméniens.

    Dans cette cohérence restaurée, ces territoires peuvent être appelés "Arménie" comme c'est le cas :
    - de la Mandchourie qui est peuplée à peine de 5% de Mandchous
    - de Hawaïi où il y a 25 % de vrais Hawaïens
    - de la Grande-Bretagne où il n'y a pas de "Bretons" en Angleterre
    - de la Macédoine peuplée de slaves qui ne sont pas les anciens Macédoniens de l'Antiquité.

    Si par exemple, les dénominations "Mexique" & "Pérou" sont autochtones améridiennes d'avant la conquête espagnole, ces deux cas pourrraient également être donnés en exemple de la continuité historique : une continuité non plus fracturée mais retrouvée et qui s'inscrira dans la transmission humaine enfin rétablie...

  • Nil Agopoff
    Paris le 11 Juillet 2003