• Hélène PIRALIAN. Ecrivain, psychanalyste.
    Rupture de généalogie et identité perdue : du lien bourreau-victime à partir de deux nouvelles récentes, turque et arménienne.

    Le génocide fait trou dans l'histoire en même temps que trou pour un sujet au lieu de son origine. Et, en disloquant en lui l'articulation du langage au corps, il l'expulse hors du champ de l'humain. Quant au déni qui accompagne tout génocide comme partie intégrante de celui-ci, il redouble cette expulsion puisqu'il impose au lieu et en lieu de l'origine un "n'ayant-jamais-existé". Ainsi pose-t-il une non-existence en lieu et place d'une existence, détruisant les repères identificatoires et les références subjectives des héritiers de ce génocide.

    Dès lors, comment peut s'établir ou se rétablir une filiation face à cette non-existence originaire? Ce n'est donc qu'à partir de cette disparition comme effondrement du fondement de l'humain, et lieu éminemment périlleux d'un possible ne-pas-être, que peuvent se poser, dans l'après d'un génocide, les questions qui ont trait à la resubjectivation (symbolique et charnelle) des sujets. En premier lieu celle qui touche la traversée de la scène du meurtre, qui vient prendre la place de la scène primitive comme scène traumatique, où seuls bourreaux et victimes ont place et sens.

    D'autre part, de ce lieu rendu impensable, quels sont les écritures possibles : entre les deux extrêmes d'un témoignage qui serait pur dire du temps traumatique, et d'une fiction qui se situerait du côté de l'ignorance, voire du déni. Là où le sens passerait par un sujet, mais à condition que celui-ci n'en sache rien - reprenant ainsi le déni génocidaire. Ecritures qui en ce cas ne seraient pas restauratrices pour le sujet, mais qui témoigneraient plutôt, chacune à leur manière, des points de butée dans lesquels laisse un génocide, c'est-à-dire la déliaison de ce qui noue le langage au corps. Au-delà de ces écritures, y a-t-il place pour une écriture qui, sans être elle-même restauratrice, rendrait compte d'un processus de restauration qui se situerait ailleurs que dans l'écriture? Et en ce cas, où se situerait cette restauration, et quel lien entretiendrait-elle avec l'écriture? Restauration qui ferait que soient rendues au sujet sa place dans l'ordre généalogique et son incarnation en un corps où langage et désir seraient à nouveau indéliables.

    Ces questions seront abordées à travers des textes récents de Kariné Khodikian (Je n'irai pas) et Demir Ozlù (Vodka; Hallucination à Berlin), l'un d'un écrivain arménien, l'autre d'un écrivain turc.
à compléter