RÉSUMÉS DES INTERVENTIONS
L'histoire trouée : négation
et témoignage 16-17-18-19 septembre 2002
Catherine COQUIO. MC en littérature comparée
à Paris IV : Négation et témoignage : retour et témoignage d'"Ulysse".
En liminaire du colloque je me contenterai de reprendre
quelques éléments de notre interrogation à partir d'un cas particulier.
En 1947, Paul Rassinier publie un témoignage de son temps de déportation
: Passage de la ligne. Du vrai à l'humain. Trois ans plus tard en 1950,
paraît Le Mensonge d'Ulysse. Regard sur la littérature concentrationnaire,
texte fondateur du négationnisme français : pénétré de "pacifisme intégral",
Rassinier y soumet les témoignages des camps nazis à une entreprise non
seulement de correction et de vérification (sur le modèle de Norton Cru
pour la Première guerre), mais de suspicion et de disqualification. La
négation du crime, quoiqu'inscrite ici au cœur du travail de mémoire,
se présente ainsi d'emblée comme une guerre contre le témoignage, plus
encore qu'une discussion d'archives et un défi au droit. Cette guerre,
déclarée au nom du "fait" contre "l'interprétation" - mais qui véhicule
une haine de la victime - s'installe logiquement dans l'imaginaire d'un
retour chez soi du déporté. Ce qui suppose que la déportation soit une
Odyssée - suite d'aventures devenue fabuleuse et frauduleuse au gré des
souvenirs personnels et des partialités politiques - alors même qu'elle
a été décrite, dans le témoignage de Rassinier lui-même, comme un "Enfer"
(Passage de la ligne, 1947).
En 1947, Primo Levi publie Si c'est un homme : témoignant d'un moment
de joie au camp dû au souvenir partagé et traduit de quelques vers de
Dante, il évoque le passage précis de l'Enfer où Ulysse fait naufrage.
Et on sait que quarante ans plus tard c'est la figure du naufragé, du
disparu, qu'il choisit paradoxalement pour penser le "témoin intégral"
(Les Naufragés et les rescapés). Si l'aventure infernale est un naufrage,
et si le témoignage vise l'intégralité, à quoi sert au rescapé de "mentir",
et que devient l'argument négateur de son "mensonge"? Qui est Ulysse,
et quel est son voyage? De quoi entend-il témoigner? On sait que parmi
les hantises des rescapés figurent l'impossibilité d'un quelconque retour
chez soi, la difficulté de faire entendre la réalité vécue à ceux qui
ne l'ont pas vécue, et, parfois, pour tenter de le faire malgré tout,
le souci de mettre en forme un récit - souci qui, réfléchi et efficace,
fait de certains témoins des écrivains.
Ainsi, par force, le témoignage doit entrer en guerre contre la négation
qui le précède et le suit, et l'écriture devenir une arme contre la destruction
de l'expérience. Mais pour que cette guerre, qui n'est pas forcément déclarée,
ait quelque chance d'aboutir (ce qui ne signifie en aucun cas que cesse
jamais l'entreprise de négation, mais que faiblisse une partie de ses
effets), il faut que le témoin parvienne à se tourner vers un autre destinataire
que le négateur : le tiers, qu'il lui faut "prendre à témoin" pour l'initier
à la réalité de la destruction vécue, sans pour autant avoir à lui administrer
une "preuve".
A qui s'adresse alors cet Ulysse-là? Cette substitution des destinataires
est-elle toujours possible? Ne suppose-t-elle pas que le crime nié ait
été d'abord affirmé, c'est-à-dire historiquement établi, et jugé? Après
quoi seulement l'histoire vécue peut être évoquée non plus comme crime,
mais comme catastrophe intime et anthropologique, trou dans l'histoire
individuelle et le tissu humain : ce dont refusent d'entendre parler les
négateurs, allergiques au malheur humain autant qu'à l'idée d'une rupture
historique ou d'un non-sens de l'histoire.
Mais que se passe-t-il lorsqu'Ulysse au retour
n'a rien pu raconter? Lorsque l'événement n'a pas encore émergé comme
tel, le cycle de sa connaissance et de sa reconnaissance n'étant pas achevé,
voire même n'ayant pas pu commencer - ce qui suppose d'autres modes de
négation et de déni, situés en deçà du discours juridique et du savoir
historique, et d'autant plus radicaux que plus diffus et méconnus peut-être
(exemple : les centaines de milliers de victimes de la répression de l'indépendance
camerounaise, absente des livres d'histoire en France et en Afrique);
ce qui suppose aussi que le témoignage ne soit pas parvenu à s'imposer
publiquement sous une forme écrite, ni littéraire ni historiographique;
ce qui suppose enfin que cette guerre du témoin et du négateur, si elle
peut avoir lieu, se déroule dans une relative invisibilité, ou dans l'indifférence
et la confusion, issue d'espaces communautaires croisés et éclatés, soustraits
à l'espace public ou discutés dans ses franges, mais porteurs d'enjeux
politiques violents (comme le sont toujours la négation du génocide rwandais,
ou la négation turque du génocide arménien qui va de pair avec la destruction
du peuple kurde).
Je pose à partir de là trois questions :
- cette guerre inégale du négateur et du témoin est-elle sans fin? Que
signifie son actualité?
- de quelle "vérité" (objective/subjective; factuelle/"humaine") parlent
les uns et les autres? Sur fond de quel désespoir ou de quel nihilisme?
- de quoi, dans cette guerre des "vérités", la littérature est-elle le
symptôme, l'espoir ou le leurre?
Enzo TRAVERSO, MC en sciences politiques à l'Université
d'Amiens : "Révision" et "révisionnismes".
Au bout d'un siècle d'existence, le mot "révisionnisme"
recouvre désormais des phénomènes complètement différents. Né lors d'une
controverse marxiste au sein de la social-démocratie allemande, à la fin
du XIXe siècle, il a ensuite été codifié par le stalinisme pour stigmatiser
toutes les hérésies opposées à l'idéologie officielle des Etats communistes.
Après la Deuxième Guerre mondiale, il été intégré dans l'historiographie
afin d'appréhender différentes ré-interprétations du passé. Il a été appliqué
tantôt aux historiens qui "révisaient" les lectures traditionnelles de
l'histoire en mettant fin à ses amnésies et à ses refoulements (c'est
le cas des nouveaux historiens d'Israël et du Japon), tantôt pour remettre
en perspective le passé dans un but apologétique, de réhabilitation du
fascisme ou de relativisation des crimes nazis (les historiens "révisionnistes"
en Italie et en Allemagne). La dernière métamorphose du concept tient
à son appropriation par les négationnistes qui nient l'existence des chambres
à gaz, ce qui rend extrêmement problématique l'usage de ce terme au sein
du débat historique (auquel la secte faurissonienne n'appartient évidemment
pas).
Beaucoup plus qu'à l'historiographie en tant que pratique scientifique,
où les "révisions" sont inévitables et naturelles, liées à l'élargissement
des sources et aux nouveaux questionnements qui surgissent à chaque époque,
le mot "révisionnisme" relève de l'usage public de l'histoire, où, dans
la plupart des cas, il désigne une nouvelle approche éthico-politique
dans l'analyse du passé. La question reste ouverte de la pertinence d'un
tel concept qui sous-tend l'existence d'une "orthodoxie", incompatible
avec toute liberté dans la recherche. Il vaudrait mieux appeler les négationnistes
de leur vrai nom de faussaires et de falsificateurs de l'histoire, et
bannir l'usage de ce mot au sein du débat historique.
Nadine FRESCO. Historienne, CNRS : Le négationnisme
français : généalogie et présentation
Maurice Bardèche, Paul Rassinier, Robert Faurisson,
Pierre Guillaume - c'est pour parler de leur entreprise de négation qu'a
été forgé à la fin du vingtième siècle le terme de négationnisme. On exposera
donc ici le parcours de ces Bardèche, Rassinier, Faurisson, Guillaume
et comment ils ont produit la version française d'une des dernières trouvailles
en date de l'antisémitisme, qui fait du génocide des juifs une invention
des juifs.
Yves TERNON. Historien : Le spectre du négationnisme.
Analyse du processus de négation des génocides du XXe siècle.
Le néologisme "négationnisme" eut pour fonction
initiale de se substituer à "révisionnisme" pour désigner la négation
de la Shoah en France. Cependant la pertinence de ce mot appelle à un
usage plus large, une extension de sens qui comporte un risque de banalisation.
Pour fixer les limites de ce spectre, il suffit de traiter du processus
de négation des génocides, ce qui renvoie certes à la question de la qualification
d'un crime comme génocide. La négation apparaît comme une composante des
génocides, présente à tous les temps du meurtre, et le négationnisme n'est
que l'organisation de cette négation en système de défense pour se soustraire
à une responsabilité. Pour soutenir cette analyse, une approche comparée
de la négation de cinq événements considérés comme des génocides ou pour
lesquels la qualification de génocide fait encore l'objet d'une controverse
est présentée : la Shoah, le génocide arménien, le génocide des Tutsi
du Rwanda, le génocide cambodgien et le génocide par la famine en Ukraine.
Cette comparaison démontre que, si la négation utilise les mêmes outils
dialectiques, elle diffère selon les buts que se proposent les négationnistes
et que chaque génocide est nié de façon singulière. On postule que le
négationnisme est un délit qui doit être examiné comme tel par le législateur
afin d'en sanctionner la pratique.
Henriette ASSEO. Professeur à l'EHESS - Centre
de recherches historiques : Le statut ambigu de génocide des Tsiganes
dans l’histoire et la mémoire.
Comme pour les Juifs, l’inscription du génocide
des Tsiganes dans la conscience européenne a été tardive. Mais plus encore
que pour les Juifs, son statut historiographique demeure ambigu :
- Par l’identification collective des victimes et la chronologie des opérations
de mort. La notion de " victimes raciales " a été reconnue tardivement
et appliquée avec réticence, tant le débat sur la nature véritable de
la persécution des asociaux en Allemagne et dans les territoires du Grand
Reich n’est pas clos.
- Le débat entre fonctionnalistes et intentionnalistes a contribué à fausser
les perspectives puisqu’il a été clairement établi qu ‘en dehors de l’Auschwitz
Erlass aucune décision générale d’extermination des Tsiganes ne fut prise
au sommet.
- Le développement récent des procès d’indemnisation n’a pas simplifié
la tâche des historiens. Le communautarisme l’a emporté dans la gestion
de l’ " argent du crime " et le modèle anglo-saxon du droit des victimes
a ouvert la boîte de Pandore de la course à la victimisation transhistorique.
Fort heureusement, les voies nouvelles de l’historiographie du génocide
offrent des perspectives de compréhension autrement plus respectueuses
de l’ampleur et de la nature singulière de l’extermination de chaque catégorie
des " ennemis du Reich ".
- Elle met en valeur, contrairement à la tentation faussement globalisante,
la validité des spécificités nationales et régionales. Ainsi les études
actuelles inscrivent bien les Tsiganes comme victimes familiales raciales
de l’entreprise nazie de remembrement de l’Europe.
- Elles permettent de montrer à quel point la territorialisation politique
de la question de la race a engagé conjointement toute l’Europe en guerre
selon des héritages nationaux et des initiatives spécifiques bien antérieures
à l’imposition militaire de l’Ordre nouveau : la Slovaquie, la France
l’Autriche, l’Italie sont autant d’exemples de la mise en œuvre de l’internement
familial comme solution nationale aux problèmes de la qualification sociale
et biologique des territoires européens. Ici, la continuité administrative
avec les années trente est stupéfiante et massive. Elle engage les histoires
comparées de la police criminelle, de l’hygiène sociale et de la genèse
du Wellfare State en Europe.
- L’appropriation du savoir sur le génocide a suscité dans les familles
tsiganes la volonté de témoigner selon des modalités très instructives
pour qui veut bien se pencher sur ces témoignages. Ils offrent un matériau
exceptionnel pour la compréhension du phénomène essentiel qui conduisit
à la catastrophe de notre siècle : la démocratisation, non pas interrompue
mais corrompue par la convergence entre la dépacification voulue par les
élites et la crise des systèmes populaires anciens de gestion des tolérances
de voisinage. Ainsi la comparaison européenne inscrit le génocide des
Tsiganes dans une dynamique de dépacification sociale contradictoire des
" années trente " que les historiens, influencés par les notions de "
culture de guerre " et la surpolitisation des historiographies du fascisme,
devraient examiner de plus près.
Renaud DULONG, Sociologue. Directeur de recherches
au CNRS-EHESS. Centre d'étude des mouvements sociaux (CEMS): Critique
du négationnisme et épistémologie de la démarche historiographique.
Nous savons que les négationnistes ne sont pas
des historiens comme les autres, que les événements qu'ils mettent en
doute ne sont pas choisis au hasard de l'histoire, que leur idéologie
détermine leurs conclusions, et asservit leurs arguments. Mais puisque
certains d'entre eux ont prétendu " être plus rigoureux ", " raconter
au plus près des sources ", il peut être intéressant de mettre en parenthèses
la composante éthico-politique de leur combat contre la vérité, et d'évaluer
ces revendications par une critique serrée de leurs textes, de démontrer
comment elles représentent un masque efficace au parti pris.
De façon plus générale, la critique épistémologique du négationnisme interpelle
en même temps la démarche historiographique. D'abord elle exige qu'on
explicite les conditions de légitimité du doute par rapport aux faits
et aux interprétations livrés par nos traditions historiques. La Loi Gayssot
supplée l'incapacité de l'Université à imposer une éthique de la recherche,
elle laisse entier le problème dont celle-ci choisit ses thèmes : les
critères qui rendent pertinente telle ou telle question ont-ils un fondement
épistémologique ? Le phénomène négationniste n'impose-t-il pas d'examiner
la fonction du doute dans le développement même de l'historiographie,
d' expliciter les raisons qui sous-tendent l'acceptation ou le rejet d'ouvrir
un chantier ?
A un autre plan, les négationnistes questionnent une alternative décisive
dans l'étude de l'histoire récente ; ils disqualifient globalement le
témoignage des rescapés des camps. Ils ne sont pas les seuls à écarter
les sources orales : une tradition d'analyse historique s'est affirmée
qui prétend écrire l'histoire en s'appuyant exclusivement sur les traces,
les documents, les photos, les plans, etc. Cette orientation méthodologique,
qui met explicitement en doute la fiabilité des témoignages, a démontré
sa fécondité (Cordier) et dispose même de ses garants épistémologiques
(Kosellek). Un tel parti pris pose des problèmes externes : la reconstitution
des faits peut-elle se passer complètement des témoignages ? Les sources
documentaires - au moins certains comptes-rendus et descriptions - ne
représentent-elles pas une modalité de témoigner ? Le témoin vivant n'a-t-il
pas in fine son mot à dire sur la validité des résultats de l'analyse
?
Au-delà de ces interrogations portant sur la faisabilité d'une histoire
entièrement construite sur des données préconstituées, on peut ouvrir
un questionnement interne sur une telle démarche d'analyse, questionnement
qui peut s'appliquer à un travail empirique, pourvu que l'auteur ait fourni
la totalité des étapes jalonnant sa recherche : sélection des documents,
interprétation des textes en fonction du contexte, argumentation... Le
premier réquisit d'un tel style de travail historiographique consiste
d'ailleurs à rendre transparente la démarche. Ma contribution proposera
une telle évaluation interne de l'analyse des faits historiques sur la
base de preuves matérielles. J'utiliserai les débats sur l'utilisation
des sources documentaires qui ont eu pour cadre le procès intenté par
David Irving à Deborah Lipstadt, et dont Robert Evans, expert de la défense,
a rendu compte dans un ouvrage récent (Richard J. EVANS : Lying about
Hitler. History, Holocaust, and the David Irving Trial. New York, Basic
Book, 2001).
Le choix d'analyser les faits à partir des seuls documents nécessite un
accord des professionnels dans la sélection des matériaux pertinents et
dans la compréhension de leur sens objectif. Bien entendu la dimension
herméneutique de l'historiographique autorise une marge de dissension
dans l 'interprétation du matériel empirique, mais cette liberté doit
se concilier avec un accord sur les critères d'un respect de la vérité
de ce matériel. La prétention d'aboutir à des résultats " plus scientifiques
" en tablant sur les seules sources documentaires ne peut se soutenir
que si un collègue peut refaire le parcours du chercheur et en discuter
les étapes. Or la supervision de l'analyse de traces des communications
entre les chefs nazis, comme un télex ou une note sténo de conversation
téléphonique, peuvent-elles être le fait de n'importe qui ? Ne nécessitent-elles
pas une compétence spéciale à lire et à critiquer ce type de document
? Un profane peut-il avoir une attitude critique en lisant les démonstration
d'un Irving ? Et finalement, est-ce qu'un magistrat pénal peut arbitrer
le débat entre des historiographes qui divergent dans le sens qu'ils donnent
au même texte ?
Un examen détaillé de ces questions, à partir des pages que consacre Evans
à cet aspect du procès, confirme l'engagement idéologique d'Irving démontré
par ailleurs au cours du procès par ses déclarations publiques et son
affiliation aux réseaux négationnistes. L'intérêt du détour par le rapport
d 'Irving à ses sources est de donner une mesure de l'objectivité du matériau
documentaire, de faire apparaître les obstacles que peut rencontrer tout
historiographe dans l'assemblage et l'analyse d'un corpus, de mettre en
évidence les pièges qui guettent professionnels et profanes dans la compréhension
des textes, et finalement d'exposer les difficultés de démontrer l'irrespect
des sources dans la reconstitution des faits. Une critique épistémologique
du travail historiographique peut contribuer à démasquer le manque de
professionnalisme des auteurs négationnistes. Mais elle ne peut y parvenir
qu'en mettant au jour les procédures permettant de distinguer une erreur
dans la saisie des sources d'une simple divergence sur leur interprétation.
Yann THOMAS. Philosophe du droit, Directeur
d'Etudes à l'EHESS : Vérité, parole et droit. Réflexion sur la loi
Gayssot.
Je propose une réflexion juridique sur le rapport
entre vérité, parole et droit, à partir de la loi Gayssot. Il me semble
que cette loi ne fige pas la vérité historique dans une quelconque légalité,
comme on le lui a reproché, mais qu'elle ne se saisit de la vérité qu'indirectement,
par le détour de l'offense - offense fort subtile, qui revient à annoncer
à la victime d'un meurtre la bonne nouvelle de sa berlue. Cela oblige
à analyser la négation comme un acte (un acte qui continue d'ailleurs
l'acte même qu'il nie, puisque la négation du meurtre était ici, dès l'origine,
la modalité même du meurtre). Personnellement, je suis très favorable
à cette loi, et je trouve surtout qu'elle est efficace : elle agit sur
un registre sur lequel aucun historien ne peut le faire, la question n'étant
pas ici celle du mensonge et de la vérité, mais celle de l'interdit et
de sa transgression par le détour fallacieux d'une parole : la négation
est ici à mon sens une "fraude à la loi" - ce qui fait qu'une loi est
nécessaire pour l'établir (et non pour la constater) comme négation.
Marc NICHANIAN. Professeur à l'Université de
Columbia, Institut d'Etudes Orientales : Négation et témoignage : la
question de l'archive (Agamben. Derrida).
1) En février 1917, Zabel Essayan publie le premier
témoignage qui nous soit parvenu de l'enfer de la Déportation. Elle retranscrit
les paroles d'un rescapé et les fait précéder d'une courte préface où
elle annonce que - la littérature, c'est fini! Même si elle écrira encore
beaucoup de littérature après cela. "Imprégnée de la tâche qui m'est échue
en partage, j'ai considéré qu'il aurait été sacrilège de transformer en
sujet littéraire les souffrances dans lesquelles un peuple entier a agonisé".
En 1931 Hagop Oshagan, alors à Chypre, en pleine rédaction du roman Les
Rescapés (ou Le Reste), où il voulait "approcher de la Catastrophe", déclare
dans un entretien qu'il ne sait pas s'il pourra écrire la dernière partie,
celle qui devait traiter de la Déportation, parce que... C'est moi qui
traduit: parce qu'il n'a pas sous la main les archives nécessaires et
qu'il est donc obligé de se limiter au roman. Le roman comme pis-aller.
La Catastrophe exige autre chose que de la littérature. Arrêt de mort
de la littérature. C'est le témoignage qui prime. Mais est-ce vraiment
cela? Ces écrivains, les plus grands du siècle parmi les Arméniens, se
font les secrétaires de l'archive, sous le coup de la structure particulière
de l'événement, qui transforme en fait le témoignage en discours de preuve.
Il y a ici, à différents niveaux, une puissance de l'archive, activée
par l'événement catastrophique; mais aussi, et du même coup, une puissance
de l'archive qui rend possible ce que nous appellerons donc désormais
la volonté génocidaire en tant que celle. C'est cette puissance de l'archive
que je veux tirer au clair.
2) En 1991, lors d'un colloque qui se tenait à
UCLA et qui a été publié depuis sous le titre de The Limits of Representation,
Carlo Ginzburg monte une attaque en règle (sous l'impulsion de S.Friedländer)
contre Hayden White, dans un article qui porte le titre de "Only One Witness".
Le problème est le suivant: emporté par sa critique "relativiste" du discours
historique ou historiographique, H.White en était venu à faire dépendre,
semble-t-il, la "réalité" de l'événement de la puissance des interprétations
qui en traitent. En somme, la vérité ou la réalité de l'événement devenait
purement et simplement une question de pouvoir. La question est donc:
jusqu'où peut-on pousser cet argument? In fine, Ginsburg cite Renato Serra
et sa mise en question de la relation entre le fait et le document ("Every
testimony is only a testimony of itself"). Et pourtant ... "reality ...
exists". C'est une prise de position anti-relativiste, capable de citer
Lyotard ("With Auschwitz, something new has happened in history, which
is that the fact, the testimonies... all this has been destroyed as much
as possible...") et de douter de ce qu'il cite. Jusqu'à démontrer que
toute position "relativiste" est fasciste en son essence. Le problème
est que H.White se défend mal contre cette attaque montée contre lui par
un tribunal ad hoc d'historiens. Il faut donc tout recommencer en mettant
de côté cette notion de relativisme. Comment le fait se constitue-t-il
pour vous en tant que fait? Qui pose le fait? Qui est le gardien du fait?
L'histoire? Le droit? (On sait à quel point cette question a empoisonné
les débats lors de l'affaire Veinstein). Histoire, droit, à chaque fois
c'est une question d'archive. Derrida a développé cette question en plusieurs
endroits en explorant les ressources de l'archive. Je veux voir comment
il mène exactement cette exploration.
3) Agamben utilise le concept d'archive à d'autres
fins (dans son livre Remnants of Auschwitz, qui porte en anglais comme
sous-titre "The Witness and the Archive"). Son idée est de refonder une
philosophie du sujet qui prenne en compte la plus extrême déréliction
de l'homme dans l'expérience (est-ce une expérience?) du "Musulman" dans
les camps nazis. Ce qui n'explique pas que c'est la notion même de fait
(et donc de vérité? et donc de réalité?) qui est littéralement détruite
dans les camps, au coeur de la mise en oeuvre de la volonté génocidaire
(mais alors, continuera-t-on à l'appeler "génocidaire"?) Comment va-t-on
rendre compte de la destruction du fait? Et donc de la facticité du fait?
Car c'est elle qui est en jeu. Et avec elle l'humanité de l'homme. Destruction
du fait comme destruction de l'archive? Comment l'historien pourrait-il
rendre compte de ce fait qu'est la destruction du fait? Comment pourrait-il
rendre compte de la destruction de l'archive comme Événement?
Jean-Louis PANNÉ. Historien : La Grande Famine
en Ukraine
Je n'ai pas prévu d'aborder l'histoire de la famine
en tant que telle mais plutôt de traiter la question de la connaissance
qu'on en eut sur le moment et par la suite, afin de tenter d'analyser
la constitution d'un négationnisme. Je pense le faire à partir de trois
séquences :
1. Les années 1932-1933. Comment il fut rendu compte publiquement de cette
famine (à partir de la presse francophone) et comment l'information fut
diffusée dans les instances diplomatiques de certains États. En contrepoint,
je compte parler de la stratégie discursive des autorités soviétiques
au travers de la Correspondance internationale et de certains romans sur
la collectivisation (Cholokhov, Panférov). L'idée de départ est de montrer
comment un négationnisme se construit synchroniquement au processus de
génocide en cours et comment un négationnisme " subtil ", " décalé ",
finit par s'imposer.
2. Le procès Kravchenko en 1949. Dans le livre du transfuge un chapitre
entier est consacré à la famine. La question est de savoir s'il a été
vraiment lu et comment il a été apprécié. Mêmes questions pour le procès
lui-même : quelle place fut-il réservée à la famine? Il s'agit de mettre
en évidence quelques éléments de ce traitement pour comprendre pourquoi
la Grande Famine disparut de l'horizon pour des décennies.
3. Enfin, j'essaierai d'aborder la question du retour difficile dans les
consciences de cette famine à partir des témoignages ou romans parus en
France (Vassil Barka, Miron Dolot) et la persistance d'un phénomène négationniste
à son sujet.
Saleh ABDEL JAWAD. Historien et Professeur de
sciences politiques à l'Université de Birzeit, Ramallah : La négation
des témoignages palestiniens dans l'historiographie israélienne.
La guerre de 1948 a eu des effets dévastateurs
sur la société palestinienne, qui se sont traduits par l'effacement du
récit palestinien; la plupart des villes palestiniennes furent occupées
et ethniquement purifiées de leur population arabe, alors que les villages
furent détruits. La diasporarisation des Palestiniens sous différents
régimes, en plus de la perte de leurs archives et sources écrites, n'a
pas facilité la tâche d'écrire leur passé. L'historiographie arabe - y
compris palestinienne - concernant 1948 etait surtout destinée a un 'nous'
et avait pour objectif de justifier la défaite en délégitimant les autres
régimes arabes et en imputant la responsabilité à des forces extérieures.
Par ailleurs, le récit palestinien souffrait de nombreuses lacunes et
omissions, ce qui a permis a l'historiographie israélienne de dominer
le récit de la guerre et a réussi à produire des mythes efficaces qui
ont dominé l'historiographie de la guerre. Cependant, depuis une décennie,
un groupe d'historiens palestiniens a compris l'importance des témoins
pour reconstruire leur histoire, surtout qu'il s'agit d'une société arabe
avec une tradition orale. Ces travaux ont entamé l'hégémonie de l'historiographie
israélienne qui, pour se défendre, et afin de perpétuer sa domination,
a refusé de reconnaître la scientificité de cette méthodologie en la qualifiant
d'exagérante, partielle et partiale. En outre nous essaierons de dresser
un bilan critique de ces travaux en les situant dans l'historiographie
arabe en général.
***
Federica SOSSI. Professeur de philosophie à
l'Université de Bergame : Témoigner l'invisible
A partir de la considération de Primo Levi, qui
parle de la "source suspecte" (fonte sospetta) de la mémoire, ainsi que
des considérations de plusieurs auteurs qui, comme par exemple Annette
Wieviorka ou Georges Bensoussan, s'interrogent sur le danger d'un trop
de mémoire et de témoignages de la Shoah, j’essaie d'éclairer la spécificité
de la Shoah à travers la catégorie d'"invisible". Différentes catégories
d'invisibilité peuvent être identifiées: celle du témoin extérieur, qui
voit et qui demande à ne plus voir; le témoin extérieur qui est envoyé
voir l'intérieur du camp par le monde extérieur et qui ne voit pas (Rossel,
dans le film de Lanzmann, Un vivant qui passe); le témoin intérieur, vrai
témoin, selon Levi, qui ne l'est que dans la mesure où il ne peut plus
voir (exercer son regard). Ma communication met en rapport ces différentes
invisibilités. C'est ainsi l'espace "au dehors" des camps, espace hors
l'espace, espace a-politique, qui devient le paradigme de cette invisibilité,
tandis que les habitants du camp deviennent à leur tour des êtres immatériels,
invisibles de ce fait. Cela nous dit-il aussi quelque chose sur les espaces
hors l'espace de notre contemporanéité?
Georges PETIT, écrivain (déporté à Buchenwald,
Langenstein) : Point de vue d'un ancien déporté sur l'image des camps
nazis.
1/ La fin des camps nazis, exemple de Langenstein
L'évacuation Les invalides abandonnés
2/ La mortalité à Langenstein Importante à la fin de l'hiver 44-45
3/ La déportation résistance française et la déportation juive L'affaire
de la plaque posée en 1998 La dynamique victimisation--concurrence--négation
4/ Le déni du goulag par la déportation-résistance NOTA :
J'apporterai des informations en 1/, 2/ et 3/ 3/ et 4/ ouvriront des échanges
Pierre PACHET. MC en Littérature française à
Paris VII : Indifférence, fabulation et négation: les franges de la
parole publique.
A propos de quelques exemples contemporains ou
plus anciens (dix-neuvième siècle), je propose d'observer certains aspects
d'un monde où les paroles autorisées, ou qui font autorité, comme les
paroles véridiques, sont encerclées, dévalorisées ou submergées par la
prolifération des dires. Du type d'attention que requiert une telle situation.
Véronique NAHOUM-GRAPPE. Sociologue, anthropologue.
Chargée de recherches au CNRS : Trous de mémoire et haine politique,
ou comment ne pas se souvenir de ce que l'on n'a pas même perçu ?
Le mot "déni" suppose l'existence d'un objet à
dénier, et implique le mouvement d'une exclusion minimum, voire même le
geste , ténu mais complexe, de la "forclusion". Mais certains cas, nous
semble-t-il, se situent en amont de ces mécanismes qui supposent au moins
une tentative d'effacement : ce sont les cas où nul trait, pas de dessin,
aucune phrase ne furent inscrits en temps réel en face de la pelote brouillée
des faits : il nous semble que cet espace blanc comme horizon de réception
réel des tragédies politiques contemporaines, pourtant connues peu ou
prou, constitue un mode de plus en plus fréquent de leur perception collective.
Il est difficile de décrire ce que nulle enquête calibrée, nul questionnaire
fermé ne peut étayer. Par conséquent, on ne peut ici que proposer une
hypothèse de lecture pour penser la haine politique dans nos sociétés
en amont du conflit des interprétations, lorsque des déphasages et des
chiasmes implicites produisent le cadre de ce qui est pensable, et donc
aussi, dans le même mouvement, l'ensemble hors cadre de ce qui n'aura
même pas besoin d'être dénié.
Claude MOUCHARD. Professeur de littérature française
à l'Université de Paris VIII : Poésie et témoignage (un exemple japonais)
Je prendrai divers exemples, dont celui de la poétesse
japonaise Takarabe. Dans son œuvre, il est question des exactions en Mandchourie,
des massacres de Nankin et des violences en Corée, autant d'événements
qui ont donné lieu à un négationnisme au Japon.
Jean-Louis DEOTTE. Professeur de philosophie
à Paris VIII : Les paradoxes de l'événement d'une disparition. L'Argentine
et la photographie.
On ne peut dire qu'il y a eu événement que si,
en face d'un référent d'une phrase dénotative, on peut placer un nom propre,
une date, un lieu. Donc, en fait, des noms (de personne, dans une chronologie,
sur une carte, etc.). Il faut connecter ces noms avec des déictiques :
ici, là-bas, hier, maintenant, demain, etc. Ce n'est qu'à ces conditions
(et d'autres : la phrase doit être correctement formée, logique..) qu'une
existence peut être avérée. Dans le cas d'une disparition, les déictiques
sont invalidés (rien ne correspond à : "hier", "aujourd'hui", ou "ici",
là-bas") pour un quelconque locuteur. Bien plus, les noms sont sans référent,
sauf celui du disparu. On peut simplement dire quand et où tel témoin
a vu pour la dernière fois telle personne. Mais par définition, on ne
peut rien dire de ce qui lui est advenu, si elle est morte ou vivante.
Si la disparition est un acte, cet acte n'a pas d'actualité, il reste
potentiel. Pour qu'un événement ait lieu, il lui faut un lieu et une date.
Donc, la disparition serait cet événement paradoxal : n'ayant pas eu lieu.
De fait, la disparition qui a eu lieu sans lieu est vraiment une disparition
parce qu'elle dure toujours. Les tribunaux utilisent le terme de "séquestration
prolongée" : séquestration sans fin. Mais à la différence de la métaphysique
aristotélicienne, cette potentialité n'a pas de finalité : une mise en
forme.
C'est la raison pour laquelle l'esthétique est en général impuissante.
Quand des artistes "travaillent" le thème de la disparition, comme au
Chili et en Argentine, dans des expositions de résistance, ils ne peuvent
que multiplier les techniques de l'art comme s'il s'agissait de dissoudre
toutes les mises en forme pratiquées en Occident. Seule la photographie
résiste et permet la résistance politique parce qu'elle seule en appelle
au nom. (Voir les volumes collectifs L'Epoque de la disparition, 2000,
La Mort dissoute, 2000, et la revue Lignes, mai 2002 n°8.)
Carole DORNIER. Professeur de littérature française
à l'Université de Caen : Littérarité et impact du témoignage : les
procédés du récit dans la communication de l'expérience de la violence.
La prédominance des modèles juridique et historique
du témoignage a tendance à occulter le fait que la manifestation de la
vérité n'est pas la seule fonction du témoignage, ou que cette idée de
manifestation est plus complexe qu'il n'y paraît. Les tentatives de négation
de certaines violences politiques et religieuses contre des individus
et des groupes, comme celles auxquelles nous ferons référence (répression
contre les Protestants après 1685 ; massacres de septembre et Terreur)
ont pu être mises en échec par la diffusion de témoignages. Mais ce qui
fait qu'aujourd'hui nous pouvons, à côté de l'accréditation des faits
par la communauté historienne dont le discours fait autorité, garder en
mémoire ce que fut cette violence, la juger et la condamner comme violence,
est due à cette qualité de certains de ces témoignages à rendre sensible
et présente l'expérience qu'ils racontent. Cette qualité peut être définie
comme littéraire. A une définition générique ("littérature de témoignage")
qui relève d'un effet de réception, on substituera la notion de littérarité
du témoignage. Comme récit , le témoignage pose le problème soulevé par
Hayden White de la littérarité de tout récit historique. La narration
historique comporte une part de fiction dans la mesure où l'histoire n'entend
pas seulement faire savoir, mais aussi faire comprendre et faire sentir.
C'est dans ces dimensions impliquant le visible (ce que pouvait voir le
témoin) et l'affectif (ce qu'il pouvait ressentir) qu'interviennent les
procédés littéraires. La littérarité du témoignage suppose des compétences
en matière d'écriture, ce qui a pu expliquer le recours à des écrivains
médiateurs pour en assurer la réception et en augmenter l'impact, ou le
succès des narrateurs témoins disposant de ces compétences. La fonction
de cette esthétique du témoignage serait de faire partager au lecteur
le caractère exceptionnel de l'événement, de rendre présentes les scènes
vécues, de provoquer l'empathie et de recréer le passé. L'art du récit
apparaît comme un moyen important de favoriser la réception du témoignage
et de toucher les destinataires. Dans cette mesure il jouerait un rôle
de premier plan contre l'oubli. La littérarité du témoignage déplace ainsi
la question de la vérité des faits, telle qu'elle est posée dans la notion
de preuve en droit et en histoire : suffit-il qu'un événement soit avéré
pour que sa relation atteigne un public et transmette l'appel au jugement
qu'elle contient?
Krikor BELEDIAN. Ecrivain. Maître de conférences
à l'Inalco : Le retour de la Catastrophe.
Il s'agit d'étudier la mise en place d'un "principe
esthétique" au moment décisif où écrivains et poètes rescapés ou témoins
de la Catastrophe de 1915 effectuent leur retour au poème, au récit, à
l'autobiographie ou au témoignage. Acquiescement ou mise en question des
formes, le principe esthétique est ce à quoi ils se heurtent et ce qui
se révèle comme incontournable à la structuration d'un soi altéré. Le
dire est un être en tant que faire un langage qui donne corps au corps.
Ce principe esthétique n'aurait rien d'esthétisant, mais serait pure sobriété,
à égale distance de la lamentation traditionnelle et de la tragédie sacrificielle.
Aurélia KALISKY, doctorante en Littérature comparée
à l'Université de Paris III : Refus de témoigner, ou chronique d'une
métamorphose : du témoin à l'écrivain (Ruth Klüger, Imre Kertész).
Nous interrogerons les œuvres de deux rescapés
de la Shoah, Imre Kertész et Ruth Klüger, qui ont posé avec acuité les
problèmes liés l'écriture du témoignage littéraire : sa temporalité propre,
et son rôle dans l'émergence du génocide comme "événement" ; son appartenance
problématique à la littérature; sa réception qui, située dans le cadre
souvent étroit d'une demande sociale et culturelle du témoignage, laisse
une part de l'expérience en souffrance, celle qui contient peut-être la
"vérité" du témoin, et qui confère au témoignage littéraire sa valeur
cognitive propre. Ce sera l'occasion pour nous de mettre en évidence et
de comprendre le double refus, souvent violent, qui se cache derrière
l'acte de témoignage : refus d'abord de toute littérature et culture consacrées,
impliquant une remise en question de la littérature par le témoignage
et une réflexion sur la littérature et la culture "après Auschwitz", le
témoignage se constituant comme "schisme littéraire" (C. Coquio), et devenant
genre à part entière; refus ensuite de s'inscrire, après avoir fait de
l'expérience un matériau littéraire, dans un horizon d'attente ambigu
du témoignage qui ferait du témoin "la putain" de son expérience (R. Antelme).
Entre la problématique de "la culture après Auschwitz" et celle d'"Auschwitz
comme culture" (I. Kertész) s'inscrit le témoignage. À l'heure d'une l'"ère
du témoin" (A. Wieviorka) qui ne fait que s'amorcer compte tenu de la
répétition des crimes d'Etat à caractère génocidaire, les phénomènes conjoints
de l'avènement du témoin et de la surdité paradoxale à son témoignage
en son caractère subversif et schismatique, sont peut-être le symptôme
d'un phénomène suspect de sublimation culturelle. Il se pourrait que la
réception du témoignage et l'inscription de la mémoire du génocide dans
le champ culturel se fassent sous le signe d'un inévitable malentendu.
En réponse à ce malentendu, le rescapé devenu témoin amorce sa métamorphose
: celle qui le fait survivre en écrivant, et continuer d'écrire au-delà
du témoignage, faisant de lui un écrivain avant d'être un témoin. Refusant
d'être réduit au témoin, il peut même se soustraire au témoignage, ou
dire qu'il le fait dorénavant. Quelles sont les significations du "refus
de témoigner" (R. Klüger), signe paradoxal de cette "ère du témoin", et
de quoi est-il le symptôme ? Et s'il est symptôme d'une sublimation culturelle
du témoignage de la Shoah, en quoi ce symptôme même peut-il avoir une
valeur ? Ce refus, signe ultime de l'autonomisation d'un corpus littéraire
et spéculatif dans la mémoire de la Shoah, pose aussi la question des
conditions d'un tel phénomène, aboutissement d'un long processus de constitution
du génocide en "événement".
Le témoin devenu écrivain pose ainsi l'existence d'une possible antinomie
entre le texte littéraire et le texte de témoignage, et au-delà, en lui-même,
d'un éventuel clivage entre le témoin et l'écrivain. Ce qui suppose un
rapport nouveau (peut-être forcément "coupable" ?) avec l'événement et
l'expérience, devenus matériaux littéraires. Le témoin, au-delà de sa
survie, continue à pouvoir et vouloir vivre en s'inscrivant dans la langue
et les mots. Il refuse par conséquent l'assimilation de son existence
à sa survie, l'écriture étant vie possible après le témoignage, et la
question d'un éventuel salut ou sauvetage par l'écriture restant son affaire
"outrancièrement individuelle" (Kertész). On se demandera alors si cette
antinomie entre littérature et témoignage existe, quel sens elle peut
avoir, et comment définir à partir d'elle les contradictions internes
à la littérature testimoniale. Quels sont par exemple les modalités et
enjeux de la poétisation et de la mise en fiction du témoignage ? Comment
définir le texte littéraire du rescapé devenu écrivain qui refuse d'être
réduit au témoin ?
Frosa PEJOSKA, Inalco : L'écriture comme
cénotaphe.
Selon Danilo Kis, dans les années 70, malgré la
publication de L’archipel du Goulag de Soljenitsyne, les intellectuels
français refusèrent d’admettre la réalité des camps de concentration soviétiques.
On refusa de lire ce livre que l’on qualifia de " fruit d’un sabotage
idéologique et d’un complot de droite ".
De 1973 à 1976, Kis enseigne le serbo-croate à Strasbourg puis à Bordeaux.
Là, concernant les camps soviétiques, il s’affronte à l’ignorance monolithique
et au fanatisme idéologique des jeunes ainsi qu’aux préjugés agressifs
des intellectuels excessivement intolérants qui n’admettent aucune objection
partant de conceptions manichéennes : l’Est est le paradis, l’Ouest est
l’enfer. Kis en déduit que la seule chose qui peut quelque peu ébranler
ces certitudes, ce sont des histoires fortes. Aussi s’est-il vu contraint
de développer ses arguments sous forme d’anecdotes et d’histoires à partir
de Soljenitsyne, Steiner, Guinzbourg, Nadejda Mandelstam, Medvedev, etc.
" Ces anecdotes étaient la seule forme de discussion acceptable pour eux,
c’est-à-dire qu’ils écoutaient, à défaut de comprendre. "
Cela donnera naissance à son œuvre Un tombeau pour Boris Davidovitch.
Sept chapitres d’une même histoire, éditée en 1976, en serbo-croate, à
Belgrade puis à Zagreb. Ce n’est donc pas à un public français que fut
destinée cette œuvre (elle ne sera traduite qu’en 1979). Ce qui laisse
penser que Kis s’attaque au négationnisme en général et non au négationnisme
des intellectuels français comme il tend à le justifier dans ses interviews.
Cette œuvre lui vaudra un procès (de septembre 76 à mars 77) en Yougoslavie.
Il se chargera seul de sa défense et gagnera. Cependant, quelques années
après, il quittera définitivement la Yougoslavie pour la France.
Pour masquer son caractère politique, la polémique autour du Tombeau pour
Boris Davidovitch portera sur le plan littéraire : Kis sera accusé de
" plagiat ". La forme littéraire utilisée par Kis se prête à ce détournement.
A travers Le tombeau pour Boris Davidovitch, Kis ne cherchait pas à convaincre,
ni à débattre, ni à transmettre un message idéologique, sinon il aurait
écrit des essais ou des articles de presse : " L’essentiel pour moi était
de trouver, dans le domaine qui est le mien, la fiction, l’imaginaire,
l’aboutissement d’une obsession personnelle et d’une polémique sous-jacente
avec le monde de la pensée totalitaire. Je considérais en outre comme
un devoir moral, après avoir parlé dans certains de mes livres de la terreur
nazie, d’aborder, sous forme littéraire, cet autre phénomène crucial de
notre siècle qui a donné les camps de concentration soviétiques. "
Chez Kis, les univers totalitaires ne sont pas dissociés. La négation,
mais d’une toute autre nature, est déjà présente dans sa trilogie Le Cirque
de famille dont le thème est la disparition des êtres dans le processus
génocidaire. Là ce sont les Juifs, ses semblables, sa parenté, qui nient
en ne voyant pas ou en ne voulant pas voir la réalité funeste à venir,
pourtant présente autour d’eux, dans la presse, etc. Face à cette négation
(ce refus de se voir comme victime de l’événement catastrophique à venir
et déjà présent), se dresse la lucidité du père. Lucidité isolée qui revêt
dès lors la forme de la névrose de la peur.
La disparition, obsession dans l’œuvre de Kis, " phénomène crucial du
XXe siècle " est ce qui lie les œuvres les unes aux autres. Boris Davidovitch
et Eduar Sam disparaissent tous deux, tous deux sont victimes d’univers
totalitaires. Kis dira : " Mes livres sont, d’une certaine façon, des
cénotaphes, des tombeaux érigés à leur mémoire.
" Il nous intéresse de poser le lien entre négation et création ; négation
et disparition, pour questionner l’écriture comme cénotaphe.
Eric MARTY, Professeur de littérature française
à Paris VII : Jean Genet à Chatila
Le 19 septembre 1982, Jean Genet pénètre dans Chatila
après les tueries qui viennent de s'y produire. Il est l'un des premiers
témoins du massacre et le premier témoin occidental. Ce témoignage se
traduira tout d'abord par la publication de "Quatre heures à Chatila"
puis il apparaîtra dans Le Captif amoureux, s'inscrivant d'ailleurs dans
la série d'interventions politiques en faveur de la Cause palestinienne.
Nous interrogerons ces témoignages à partir de deux questions radicales.
La première, qui est essentielle, est la suivante : Y a-t-il une logique
métaphysique et historiale à ce que celui qui fit l'apologie d'Oradour
sur Glanes (Pompes funèbres) ait eu ce rôle de témoin par rapport à un
événement qui dans la mythologie tiers-mondiste a été présenté comme l'Oradour
israélien ; la deuxième question - violente - qui naît de la première
se formule ainsi : si Oradour aux yeux de Genet était un acte poétique,
en quoi Chatila ne l'est pas, qu'est-ce qui fait qu'au fond pour Genet,
Chatila n'est pas du côté du "Mal" ? Dès lors quelle est la vérité de
Chatila ? de là nous nous interrogerons sur la pertinence de la lecture
de l'événement par Genet. Quelle vérité Genet dit-il sur Chatila? Est-ce
celle que le discours politique progressiste a tenté d'utiliser ses propres
fins?
On dira qu'avec Genet nous sommes en droit d'interroger un événement dans
sa totalité.
Romuald FONKOUA, MC en littérature comparée
à Université de Cergy-Pontoise : Dans les blancs de l'histoire officielle
: la littérature en Afrique au XXe siècle.
Longtemps, les écrivains africains de langue française
et anglaise ont porté leur attention à la colonisation européenne pour
rendre compte de leur vision de l'histoire. La littérature est ainsi vite
apparue comme le lieu de manifestation d'une résistance à la domination
de l'Occident ; le lieu de production d'un contre-discours européen. Tout
s'est passé comme si cette littérature, politique à l'évidence, ne se
préoccupait que de l'histoire ancienne. À partir de la lecture d'un certain
nombre de textes d'auteurs connus (M. Beti, W. Soyinka, A. Brink) et méconnus
(M.C. Dati, N. Nyangoma), on se propose d'étudier les procédés littéraires
de la relation de l'histoire immédiate dans cette situation de concurrence
de discours qu'entretient la littérature avec d'autres sphères de production
de l'idéologie en Afrique; de montrer comment le discours de la littérature
légitime en les rectifiant les différentes approches de l'histoire. Lire
la littérature dans les blancs de l'histoire officielle c'est considérer
la littérature doublement : comme une pratique marginale et comme une
pratique légitimante. Marginale, la littérature porte sur des sujets niés
dans l'histoire immédiate des pays concernés (Cameroun, Burundi, Nigéria)
: les guerres internes, les conflits "honteux". Légitimante, écrire une
littérature dans les blancs de l'histoire, c'est aussi écrire dans les
blancs d'une mémoire collective.
***
Michel DEGUY. Ecrivain : L'incroyable. Remarques
sur le témoignage.
Où en sommes-nous? D'une part tout est témoignage.
Le témoin a relayé (relégué?) l'engagé. Après le temps de l'engagement
(Sartre), celui du témoignage (P. Levi). D'autre part, "tout ce qu'on
dit est faux" (Alain). Comment entendre cette variante d'Epiménide? La
défiance ne tient pas tant à l'existence du faux témoin, qu'on peut confondre,
mais à la fausseté du vrai témoin ("la fausseté de l'amour même", disait
Apollinaire).
Qu'est-ce qui fait obstruction? Qu'est ce qui "fausse tout"? On tentera
un "dénombrement". Par exemple : si le témoin est celui qui prend-à-témoin,
comment se fait-il ("c'est le fait") que celui-ci, le pris à témoin, le
second témoin, se dérobe (comme le raconte aussi, ou "déjà", l'Evangile)?
"Qui témoignera pour le témoin?" demande Celan.
Si le témoin est celui qui a vu le monstre de près (P. Levi), et puisque
nous savons que nous devons voir le monstre de plus près encore, il s'agit
d'identifier Méduse : quel est le monstrueux (2002)? Le voir de la littérature,
son faire-voir et son faire-croire, sont-ils excédés, épuisés, pas-à-la
mesure de cette fin des temps? L'écriture émoussée accablée par l'ironique
télévisuel, qui lui-même etc...
Nicole LORAUX. Anthropologue et historienne.
Directrice d'Etudes à l'EHESS : Le brouillé dissimule un rêve (la question
féminine en Grèce et la Shoah).
Je prendrai comme exemples du brouillé la catégorie
déjà brouillée de femmes et de Juif. La tragédie Les Bacchantes d'Euripide
(Vème siècle av. J-C), les pressentiments parmi les Allemands concernant
les juifs destinés à devenir autant de "disparus" (XXème siècle). Qu'est-ce
qui est commun entre ces deux exemples si différents, pris parmi les plus
éloignés ?
Frédéric WORMS. Philosophe. Université de Lille
: La négation comme violation du témoignage
On soutiendra ici que la négation des témoignages
sur les crimes contre l’humanité nous révèle la véritable portée de ces
témoignages, tout en reproduisant ou en reconduisant à leur égard ces
crimes ou ces violations mêmes, et précisément pour cette raison.
Ce qui est nié en effet (et par là même révélé) dans la " négation " de
tels témoignages, c’est leur prétention à être le témoignage individuel
(comme tout témoignage) et même toujours individuel à l’extrême (par l’intensité
de l’épreuve ne serait-ce que du spectacle du crime comme crime - car
on n’appelle pas témoin celui qui voit le crime sans le voir comme crime)
- d’un acte cependant non pas individuel, ou pas seulement individuel
(une violation), mais d’un acte collectif, d’un acte dont est perçue d’emblée
la dimension collective et même impersonnelle, la violation ou le crime
de masse. Le paradoxe de ces témoignages, révélé par leur négation même,
semble en effet les rendre intenables : ils ne sont ni des témoignages
individuels sur des violations individuelles (" ils ont fait ceci à un
tel, moi ou un autre "), ni des constatations objectives ou historiques
sur des violations collectives (" tant de victimes de telle manière "),
mais une expérience individuelle d’une violation collective (" ils ont
fait ceci à un tel et un tel en visant le groupe, la masse, de manière
impersonnelle et anonyme -et j’ai vu ou senti cela "). Mais en niant qu’un
tel témoignage soit possible, car telle est selon nous l’essence du "
négationnisme ", celui-ci en révèle aussi la nécessité et la vérité :
la singularité des témoignages sur ces crimes est là, et pas ailleurs.
Le crime contre l’humanité serait historiquement avéré sans eux, l’horreur
des violations individuelles serait déjà insoutenable comme telle, mais
le témoignage sur ces crimes comme tels est au croisement des deux; de
lui dépend donc le sentiment individuel et empirique du crime objectif,
collectif et historique. C’est lui que la négation nie, c’est lui qu’elle
révèle.
En le niant, elle reconduit donc aussi à l’égard des témoignages le crime
dont ils témoignent : négation de masse (peu importe le nombre des témoins,
au contraire), mais négation précise du témoignage vivant comme tel (non
pas du contenu factuel du témoignage, ni du document sur le crime), qui
est en elle-même un crime.
C’est pourquoi on ne peut y répondre que de deux façons, qu’aucune connaissance
historique ou procès juridique, quoique nécessaire, ne peut remplacer
: par le recueil des récits individuels en nombre, par l’écriture la plus
littérairement pure de l’individuel et de l’impersonnel (et du point où
ils se rejoignent) comme en témoignent les grands récits de déportation
individuelle, comme en ont témoigné auparavant les grandes œuvres tragiques.
Mais au-delà de cette réponse - dont les grands exemples, quoique rares,
sont d’autant plus irremplaçables - reste le problème philosophique :
quel est le sens de ce témoignage paradoxal, le plus paradoxal de tous,
entre deux violations précises, celles dont il est le témoin (dans un
écart constitutif avec la victime, fût-ce dans une même personne), celles
dont il est l’objet? Tout se passe comme si le crime contre l’humanité
était voué à se redoubler en négation de ce qui en est le témoignage,
mais aussi comme si cette négation, comme violation du témoignage, nous
révélait précisément en retour de quelle violation précise le témoignage
témoigne, exigeant ainsi à la fois une étude de la notion de violation
en général, et de la double singularité qui l’affecte ici.
Jean BESSIERE, Professeur de littérature comparée,
Université Sorbonne Nouvelle Paris III : Reconstitutions littéraires
de l'histoire trouée - les Amériques : DeLillo, Glissant, Roberto Bolaño
Le paradoxe de l'histoire trouée est qu'elle participe
de l'évidence de l'histoire et du su. Au-delà de la constitution du témoignage,
les récits littéraires contemporains illustrent ce paradoxe - pour les
Etats-Unis et pour cet exemple d'histoire trouée que constitue l'assassinat
de John Fitzgerald Kennedy, on lira DeLillo ; pour les Antilles et pour
le paradoxe d'une mémoire de l'esclavage qui n'exclut pas que l'histoire
de l'esclavage soit une histoire trouée, on lira Glissant ; pour le Chili
de la dictature et ses disparus qui font une histoire radicalement trouée,
on lira Roberto Balaño. Ces écrivains s'attachent donc à ce qui a été
manifestement public, et dont la négation ou l'occultation juridique ne
défait pas ce caractère public. Ils jouent du statut de fiction, qu'ont
leurs récits, pour noter et passer ce paradoxe en confirmant la mémoire
publique et en assignant le sujet, auquel est attaché ce paradoxe, dans
le temps et dans l'histoire - il faut dire une assignation libre puisque
ces fictions sont en grande partie inventées. Cette assignation libre
est le dessin d'une mémoire publique libre, et non plus paradoxalement
contestée. On en vient à un autre paradoxe : celui de la fiction comme
moyen de la consolidation de la mémoire publique de l'histoire. Il faut
simplement comprendre, par ce paradoxe, que l'histoire est donnée pour
ce qui est seulement relatif à la mémoire - la mémoire est tenue pour
inévitable.
Jean-Pierre KAREGEYE. Université de Berkeley,
Californie : Rwanda : corporéité et témoignage.
1.Problématique de la validité du témoignage rwandais.
Par corporéité, j’entends la possibilité qu’a le corps de se dire/se donner
dans une situation donnée. Le corps de la victime du génocide dépouillé
de parole se pose comme " témoin intégral " d’un événement au sens grec
de martis. Aussi sous l’influence du catholicisme, certaines victimes
du génocide sont dangereusement fichées comme martyrs chrétiens. Cette
perception " chrétienne ", rappelant l’idée d’offrande dans le discours
du bourreau (Imana yarabatanze, Dieu vous a livrés), culpabiliserait les
rescapés qui ont lutté contre le destin et condamnerait les victimes qui
ont refusé de marcher passivement vers le lieu de la mort (voir Dieu nous
parle au Rwanda, Limete, Ed. Saint-Paul, 1996 et G. Agamben, Ce qui reste
d’Auschwitz. L’archive et le témoin, Paris, Payot et Rivages, 1999, pp.
31-42). La victime comme " témoin intégral " ou comme " martyr " est un
témoin qui ne peut pas témoigner. Logiquement, Théoneste Bagosora s’appuie
sur l’impossibilité de témoigner de l’intérieur de la mort pour nier le
génocide : " que ceux que j’ai tués viennent témoigner."
Le génocide raconté sur fond de guerre n’est pas identique à la réalité
vécue. La césure entre le dit et le vécu relève sans doute de la relation
forcée entre le génocide et ses " causes " d’une part et, d’autre part,
de l’interférence de la conscience du sujet- victime ou bourreau- entre
l’apparaître et l’objet à percevoir. L’objet est confusément visible.
Il se constitue à partir de fragments disséminés dans des mémoires de
violence entrecroisées ou parallèles pour éluder les signes du génocide
de 1994. Le cri du corps du rescapé n’est qu’un récit dramatique parmi
tant d’autres. Le récit autobiographique du rescapé une fois recousu,
loin d’exposer le drame traversé, se voit dévier vers le discours juridique,
à charge, d’un tiers sans preuves. En sus, il est accusé de diabolique,
au sens étymologique, face au discours religieux sur l’unité.
Le discours du rescapé rwandais est élaboré à partie des emprunts. Il
est reçu comme mauvaise copie du récit de l’holocauste à travers la médiation
d’une langue étrangère, les concepts et les méthodes d’approche. Les points
d’ancrage et les lieux des débats sont subordonnés à ce qui a été dit
et écrit sur l’Holocauste. La " Shoah rwandaise " devient un événement
tragique sans toute la charge sémantique du mot génocide. La validité
du témoignage rwandais n’est pas à déterminer à travers un " décollage
conceptuel " et une grille de lecture autonome. Cependant, le décorticage,
par exemple, des termes " itsembabwoko", " uwacyitsekwicumu " et le rapport
qui lie le drame au corps du rescapé rwandais permettent de viser et d’articuler
le sens du génocide à partir d’un langage immanent et particulier mais
sans cesse en dialogue avec d’autres langues semblables. Malgré les embûches
dressées sur le chemin du témoignage, le corps du rescapé ne cède pas.
Il se pose en relique de tous ceux qui ont traversé le génocide. Le rescapé
est son corps propre. Connaître son corps, c’est rendre témoignage dans
la mesure où la réalité du corps s’identifie à toutes les réalités qui
l’ont traversé. Un corps qui a survécu devient un corps qui parle: " ukize
inguba arayiganira".
2. Le corps qui parle.
Le corps du rescapé ne peut pas ne pas témoigner. Il est inscrit comme
témoin d’un drame qu’il a traversé et vécu. Non pas en martyr ou en témoin
à charge, mais en témoin, dans le sens de superstes, dont le drame se
déroule dans le contour du corps. Le témoignage devient le drame d’un
" corps qui parle " (Merleau-Ponty) Ainsi, le génocide raconté dévoile
le corps comme épiphanie ou représentation du génocide. Un corps qui se
métamorphose en microcosme en figurant la vie d’un peuple exterminé- ou
presque. Le corps se retrouve sujet à la fois destinataire et destinateur.
Le narrateur s’identifie à son corps propre. Il se raconte, se comprend
en exposant le drame de son corps qui est celui de toutes les victimes.
Mais dans certains récits des rescapés, le corps blessé et malade du sujet
est perçu comme un en soi (corps étranger) inséré dans l’univers des choses.
Le corps se pose comme opposant du sujet-narrateur en quête de la survie.
Le corps témoigne de l’extérieur dans la mesure où le rescapé pense vivre
une nouvelle vie dans un corps qui n’est plus le sien et habité par le
génocide : " le corps ne m’appartient plus " (Mukagasana) . Le corps du
rescapé devient un corps-fantôme dont il veut se défaire.
L’univers spatio-temporel est marqué par le corps. Dans les témoignages,
tout -ou presque- se joue, se déplace et se décide à l’intérieur du corps.
Ainsi le corps de la victime quitte le domaine privé pour s’exposer comme
espace public. Un espace qui résulte d’un monde perçu et imaginé selon
les perspectives du corps qui circonscrit les limites de l’univers du
récit. Murambi, Nyamirambo et l’Eglise de Nyamata ne fonctionnent pas
comme des camps. Ils existent comme accidents dépendant des ‘mouvements’
opérés par le corps de la victime. Le corps accompagne ou marque les modalités
temporelles du récit. Le temps de la narration ultérieure ou /et intercalée
est déterminé par le drame du corps de la victime.
Je propose d’articuler ma réflexion autour des témoignages écrits par
des rescapés parmi lesquels les trois livres de Yolande Mukagasana publiés
à Paris aux éditions Robert Laffont (La mort ne veut pas de moi, 1987,
N’aie pas peur de savoir, 2000 et Les blessures du silence, 2001).
Yolande GOVINDAMA. Maître de conférences à Paris
5. Psychanalyste : Déni de l'esclavage et sa fonction au niveau de
la dynamique psychique et dans le lien social.
Il s'agit de mettre en évidence, à travers les
vignettes cliniques des patients issus des départements d'outre-mer (Antilles,
La Réunion), la fonction du déni comme un fondement de l'identité du sujet
et qui assure la survie psychique. Ce même déni contribue à déplacer le
rôle de l'ennemi dans la construction du lien social.
Hélène PIRALIAN. Ecrivain, psychanalyste : Rupture
de généalogie et identité perdue : du lien bourreau-victime à partir de
deux nouvelles récentes, turque et arménienne.
Le génocide fait trou dans l'histoire en même temps
que trou pour un sujet au lieu de son origine. Et, en disloquant en lui
l'articulation du langage au corps, il l'expulse hors du champ de l'humain.
Quant au déni qui accompagne tout génocide comme partie intégrante de
celui-ci, il redouble cette expulsion puisqu'il impose au lieu et en lieu
de l'origine un "n'ayant-jamais-existé". Ainsi pose-t-il une non-existence
en lieu et place d'une existence, détruisant les repères identificatoires
et les références subjectives des héritiers de ce génocide.
Dès lors, comment peut s'établir ou se rétablir une filiation face à cette
non-existence originaire? Ce n'est donc qu'à partir de cette disparition
comme effondrement du fondement de l'humain, et lieu éminemment périlleux
d'un possible ne-pas-être, que peuvent se poser, dans l'après d'un génocide,
les questions qui ont trait à la resubjectivation (symbolique et charnelle)
des sujets. En premier lieu celle qui touche la traversée de la scène
du meurtre, qui vient prendre la place de la scène primitive comme scène
traumatique, où seuls bourreaux et victimes ont place et sens.
D'autre part, de ce lieu rendu impensable, quels sont les écritures possibles
: entre les deux extrêmes d'un témoignage qui serait pur dire du temps
traumatique, et d'une fiction qui se situerait du côté de l'ignorance,
voire du déni. Là où le sens passerait par un sujet, mais à condition
que celui-ci n'en sache rien - reprenant ainsi le déni génocidaire. Ecritures
qui en ce cas ne seraient pas restauratrices pour le sujet, mais qui témoigneraient
plutôt, chacune à leur manière, des points de butée dans lesquels laisse
un génocide, c'est-à-dire la déliaison de ce qui noue le langage au corps.
Au-delà de ces écritures, y a-t-il place pour une écriture qui, sans être
elle-même restauratrice, rendrait compte d'un processus de restauration
qui se situerait ailleurs que dans l'écriture? Et en ce cas, où se situerait
cette restauration, et quel lien entretiendrait-elle avec l'écriture?
Restauration qui ferait que soient rendues au sujet sa place dans l'ordre
généalogique et son incarnation en un corps où langage et désir seraient
à nouveau indéliables.
Ces questions seront abordées à travers des textes récents de Kariné Khodikian
(Je n'irai pas) et Demir Ozlù (Vodka; Hallucination à Berlin), l'un d'un
écrivain arménien, l'autre d'un écrivain turc.
Janine ALTOUNIAN. Ecrivain, traductrice : L’importance
du dedans/dehors pour le démantèlement de l’emprise du déni.
L’exposé cherchera à montrer comment, dans les
situations psychiques ou politiques assujetties au déni ? déni d’existence
du sujet ou d’un groupe humain rendu " invisible " - il est nécessaire
qu’existe, au moins, une délimitation entre un dehors et un dedans ( des
frontières territoriales, des opinions consensuelles et dominantes, des
pouvoirs institués…), car c’est l’introduction du dehors dans la langue
et la culture du dedans qui sera susceptible de démanteler l’homogénéité
des alliances dénégatrices de l’exclusion et de la " misère du monde ".
Leur emprise dénégatrice ne peut en effet être subvertie que s’il y a
possibilité, pour les exclus, d’apprendre la langue et la culture des
inclus et de conflictualiser, grâce à leurs différences irréductibles,
les mouvements transférentiels réciproques des uns sur les autres.
Martine HOVANESSIAN Anthropologue URMIS-CNRS,
Paris VII : Fonction anthropologique du témoignage et de l'histoire
orale : traversées des lieux de l'exil et désappartenance. Être témoin
de la survie.
Dans la continuité de travaux portant sur l'observation
puis l'analyse des "cadres sociaux de la mémoire " élaborés par les exilés
arméniens des années 1920, nous travaillons dans une perspective anthropologique
sur une tentative de rendre compte de la charge que représente pour les
descendants ou les générations suivantes de s'inscrire pleinement dans
le sillage d'une histoire collective de la dépossession, de l'effondrement
, de la désarticulation et du déni .
La méthode biographique des récits de vie recueillis auprès d'adultes
nés en France pour la plupart dans l'entre-deux-guerres, dont certains
de leurs parents ont été des orphelins m’a permis de poser les bases d’une
"phénoménologie de la survivance". Nous parlerons des enjeux de cette
survivance à travers les exigences que le sujet impose au rythme même
de sa narration, même si les histoires orales sur l'exil ou le génocide
se déroulent sans objectif de démonstration. Nous développerons en ce
sens la notion de temps identitaire en montrant que ces contraintes sont
autant de balises qui encerclent "le puits sans fond" sur lequel le récit
s'engage et engage le sujet qui parle à se confronter aux limites possibles
du "dire" et de "son dire". Retour du récit sur le sujet, bruissements,
chuchotements, pleurs, arrêts, silences, cris, importance du détail et
de l'anecdote sont autant de marques d'une sobriété contrôlée qui tracent
un temps possible de retrouvailles entre soi et les autres vivants, entre
soi et soi, entre soi et les disparus, entre mémoire sociale et statut
du sujet, entre soi et l'idée de destin analysée par Renaud Dulong dans
son livre sur le témoignage.
La dimension subjective de cette anthropologie narrative non seulement
n'est pas un frein à notre entreprise mais se trouve sollicitée afin d'analyser
le passage de l'expérience traumatique dont certains ont dit que la caractéristique
est précisément de ne pas pouvoir s'inscrire et s'élaborer dans l'espace
intra-psychique, de rester en perpétuel défaut d'énoncé", et/où "le sujet
est confronté à un bloc imaginaire inconnu" .
Nous insisterons à travers ces témoignages sur la notion de désappartenance
et de réappartenance développées par Philippe Bouchereau (l'Intranquille).
Nous décrirons dans cette perspective, les conditions de production de
ces récits oraux qui à travers un dispositif singulier dessinent un lieu
possible du soi dans un espace collectif réhabilité et donnant lieu à
l'apparition de thèmes récurrents (la condition d'orphelin, les générations,
le travail à l'usine, les lieux de passage et d'ancrage, les noms de lieux,
la référence à la communauté et au lien collectif, la discrimination à
l'école ) comme autant d'éléments sociaux, socio-structurels qui viendraient
attester d'un principe de réalité et signifier que ce qui a eu lieu a
bien eu lieu. En effet, à certains moments imprévisibles, là où la parole
de la survivance surgit, le récit pourrait vaciller et interrompre l'échange.
En ce sens, les notions de mémoire sélective, d'amnésie de mémoire, de
refoulé sont tout à fait insuffisantes pour rendre compte de cette plongée
ou proximité avec l'intraduisible du "ressouvenir".
Un projet s'est progressivement noué dans une relation de confiance entre
les acteurs-narrateurs qui consiste avec leur collaboration , à commenter
ces histoires de vies sans que cela ne se contente d'une juxtaposition
de monologues. Le privilège explicatif que nous accordons à notre démarche
consiste à "faire du lien" entre ces polyphonies narratives, travaillées
dans la perspective d'une confrontation du "dit" d'un seul à la discussion
de plusieurs, brisant l'allure rectiligne du récit anthropologique .
Nous insisterons sur le thème de la réparation qui traverse les histoires
orales (donner à entendre les voix des autres) Dans cette perspective,
nous parlerons du projet de passage à l'écriture, à la mise en forme d'une
écriture des exils, de ces fragments des corps en souffrance, faisant
entrevoir un "horizon non barré". La fonction de l'écriture comme possibilité
de réinscription du champ symbolique, comme acte politique, comme " détermination
historique de l'agir" (Dulong).
Bernard LEMPERT, anthropologue et psychologue
: Le vote et le crime.
Les crimes contre l'humanité et les violences génocidaires
sont considérés comme les actes les plus terribles qui puissent être commis.
Condamnés par le droit international, ils font l'objet de l'opprobre général.
L'éthique les réprouve et les rejette avec un sentiment d'horreur. Pourtant,
ils n'occupent pas une place proportionnelle à cette indignation et à
ce refus lors des campagnes électorales par lesquelles sont désignés les
représentants politiques, c'est-à-dire les personnes et les forces les
mieux à même de s'opposer, sur le théâtre du monde, aux pratiques de destruction.
On peut même dire que ces préoccupations fondamentales du point de vue
éthique et du point de vue juridique sont quasi absentes du débat politique
lors des consultations, comme si les élus n'avaient pas à se considérer,
sur ces sujets, responsables devant leurs électeurs. C'est ainsi que,
dans de nombreuses démocraties, le vote s'inscrit dans un véritable processus
d'évitement par rapport à la conscience du crime - et c'est en cela que
le vote participe indirectement du crime.
Luiza TOSCANE, militante : Du statut de la
victime dans les ONG : une expérience tunisienne.
Eléments de réflexion à partir d'une expérience
menée sur plusieurs années dans une ONG de défense des droits de l'homme
(CRLDHTunisie). Quel est le statut de la victime et partant de son témoignage
dans ce type de structure ? La victime de crimes contre l'humanité, le
ou la rescapée, ou encore la tierce personne (témoin) sont la source de
toute information, donc de l'activité de la structure. Pourtant cette
dernière s'autonomise à tel point que la victime n'y est plus conviée
qu'à des rares exceptions, essentiellement pour servir de "preuve à l'appui",
dans un combat qui se mène largement sans elle. La dissociation entre
son témoignage, appelé à rester, et la victime, bannie de l'ONG, a de
lourdes conséquences, parmi lesquelles : dilution ou fragmentation du
témoignage, atomisation ou satellisation des victimes par rapport à une
structure qui n'est pas la leur. Danger de substitutisme, voire de manipulation,
etc Il conviendra de s'interroger sur la méfiance que les militants vouent
aux victimes.
***
Albert HERSZKOWICZ. Médecin : L'antisémitisme
en Europe: survivance du passé ou danger à venir?
Cinquante ans après le génocide des juifs d'Europe,
il ne semble pas que s'y profile l'horizon d'une disparition de l'antisémitisme.
La dynamique est même plutôt inverse. L'extrême droite dite populiste
bénéficie de succès électoraux imprévus. Sa thématique xénophobe intègre
le plus souvent une composante antisémite rattachée à l'histoire de la
2ème guerre mondiale et des formes plus ou moins explicites de négationnisme
(Autriche, France, Roumanie, Hongrie..) En Allemagne la polémique s'approfondit
après le premier choc provoqué par l'écrivain Martin Walser en 1998 qualifiant
le génocide de "massue morale" pesant sur la société. Parallèlement se
développent des actes antijuifs liés au contexte de l'affrontement au
Moyen-Orient. Au travers de la situation dans différents pays européens
seront questionnées l'actualité et la forme d'un combat contre l'antisémitisme.
Louis BAGILISHYA, Membre de l’association Communauté
Rwandaise de France : Discours de la négation, dénis et politiques.
La négation du crime et l’étouffement de la voix
du témoin sont au cœur du projet génocidaire. Pour le génocidaire rwandais,
qui n’est ni la victime d’une folie collective, ni un simple exécutant
dans un cycle de violences ataviques, il s'agit, bien sûr, d’effacer les
marques du crime sans nom. Mais, il s’agit aussi de continuer le génocide.
Le discours de la négation sera ce langage métaphorique qui réveille la
souffrance indicible du rescapé, et de toute personne apparentée à la
population tutsie. A propos du génocide contre les Tutsis et l’extermination
des Hutus opposants à la politique de l’État criminel rwandais en avril,
mai, juin 1994, visiter, et revisiter les discours de la négation de l’Évènement,
c’est entrer dans des zones troubles aux frontières poreuses : la zone
de l’effacement de l’histoire d’une culture politique prégénocidaire ;
la zone du révisionnisme qui déplace à la périphérie de l’histoire l'Évènement-génocide
; la zone des formes et des mots du déni qui “concède” le génocide comme
réalité historique mais dénie le sens de l'Évènement-génocide... Nous
allons visiter, et revisiter ces zones en traversant différentes publications,
essais politiques, livres d’histoire, recueil de témoignages. Notre cheminement
va nous amener à repérer la négation, le révisionnisme, et le déni comme
terrain d'investissement pour délégitimer ou combattre politiquement l’actuel
État rwandais.
Le génocide contre les Tutsis et l'histoire politique dans la région des
Grands-lacs africains ont aussi été investis par des discours aux racines
idéologiques différentes, mais aux tonalités entremêlées: c'est le discours
sur “un Monde confronté à l’implosion des États-nations pour un Nouvel
ordre dont les Tutsis seraient le bras armé en Afrique”; c'est le discours
qui dissout l’Évènement-génocide dans les conflits d’un Monde désenchanté
qui, après la fin de la Guerre froide, va connaître l'ère des “conflits
entre communautés culturelles”. Ce sont également ces discours que nous
allons visiter.
Réactions de Louis BAGILISHYA à l'argumentaire
du colloque
1 - Pourquoi ne pas l'intituler : "L'Histoire
trouée : Négation, Révisionnismes, Déni et Témoignage"...
Je pense que le révisionnisme mérite un "détour". L'incessant sursaut
des expressions et des tentations révisionnistes mérite d'être analysé.
La Négation est intrinsèque à la logique du projet génocidaire. Le phénomène
est relativement bien cerné. Par contre, le révisionnisme du Génocide
ou des Actes génocidaires peut revêtir des formes plus diffuses, perverses...Il
y a des Constructions révisionnistes, des Discours conscients. Il y a
aussi des Discours révisionnistes "inconscients" entretenus autour de
l'actualité politique des États (Israël/Palestine;Rwanda/Congo)...Actuellement,
il n'est pas facile de parler de la Shoah ou de "Rwanda 94"- Itsembabwoko
des Tutsis (le génocide contre la population Tutsie) sans "prendre en
pleine figure" : "et la politique de Sharon !" ou "et la politique de
Kigali au Kivu !"... Ces discours vont susciter une attirance-fascination
pour les "scoops" qui - révisent- les chiffres, proposent des comparatifs
-oppositions des Souffrances. L'arithmétique des victimes va remplacer
le Sens, la singularité, l'exceptionnalité de l'Évènement génocide...le
révisionnisme peut se développer aussi là ou la Mémoire historique est
prise en otage par le politique du Moment...
2 - Les discours du Déni, les maux du Déni
Le Déni est l'expression la plus perverse de l'anéantissement de l'Autre
qui est rescapé(e) ou membre d'une Communauté victime d'un Génocide. Il
y a dans les manifestations et expressions du Déni une invitation à l'abdication
de la pensée, une invitation à la destruction du Sens. La destruction
du Sens, surtout dans notre "Société du spectacle" est au coeur d'un travail
de sédimentation pour faire de "Rwanda 94" un événement parmi d'autres
tragédies qu'a connues l'Afrique ; d'où l'urgence de penser ce qui est
évoqué p.3 du texte de l'argumentaire : "Qu'est-ce qui est dénié ou nié
exactement ? le fait , l'événement, le Sens, (...) la négation comme travail
symbolique de la subjectivation, avec en son coeur la destruction du travail
de deuil, empêchant la mort de constituer un horizon du Sens". Ce passage
est pour moi très important, très parlant. D'où ma sensibilité au langage
mortifère, aux mots qui font mal, aux mots qui réveillent la blessure
dans la souffrance, et aux maux du Déni. J'avais évoqué ces aspects lors
du séminaire sur le Déni (28/03/2001). Dans le document de Canal+sur "l'ultragauche,
l'extrême droite et le révisionnisme" (Lundi6 mai, 22 h 40), le peintre
Oler dit comment son père rescapé des camps nazis est mort de désespoir
avec le réveil du révisionnisme... Je connais des rwandais (e)s dont les
"larmes coulent dans le ventre" en butant, çà et là, sur les mots du mépris
ordinaire, les mots du langage meurtrier tels que "Gouvernement sortis
des fosses communes", "le génocide-fonds de commerce" etc... Sur le Déni,
une autre piste de réflexion qui me paraît importante : "les formes du
Déni et le politique aujourd'hui" Comment penser le fait que les tenants
d'un nouveau courant, appelons-le : "néo-nationalisto/ souverainisto/
anti-américaniste" ont été dans le Déni sur la purification ethnique au
Kosovo ? Comment penser le fait que le Déni se vulgarise avec le désenchantement
de l'après-guerre froide et de "la fin de l'Histoire"... surtout dans
cette "banlieue" du Monde qu'est l'Afrique ? Conséquence de ces Constructions
qui poussent à la cécité : "Milosevic est la victime de l'Otan ! la purification
dans le Kosovo est la conséquence des bombardements de l'Otan !". Conséquences
de ces discours : "Rwanda 94" n'a pas de Sens en Soi, l'Évènement n'est
pas "lisible" bien que visible. L'extermination systématique de 1 million
d'africain(e)s ne serait que la conséquence tragique de "l'implosion des
États et des États-Nations dans un contexte d'une Mondialisation pilotée
par des intérêts financiers privés ...
4 - Formes du témoignage :
Tout est dit. Les questions posées autour de Littérature/Témoignages/Mémoire/Connaissances
méritent d'occuper au moins une journée et demie. Peut-on ajouter une
réflexion sur la passage à l'Acte d'écrire... Le Génocide instille comme
une injonction intérieure qui serait : "Toi rescapé(e) tu dois écrire
! ", Même dans les cultures à dominante orale où la parole -publique-
a été jusqu'à présent captée par l'Homme. J'observe un besoin et un désir,
d'écrire chez Spéciosa Mukayiranga (journée de La Villette), et chez Yolande
Mukagasana qui, comme elle le dit souvent, ne peux plus se passer d'écrire.
Par ailleurs, dans la relation Génocide/Transmission/passage à l'Acte
d'écrire, je me pose une question : la naissance du témoignage écrit eût-elle
été possible au Rwanda si le projet génocidaire avait totalement aboutit
? Que nous apprend l'Arménie, la littérature, la Catastrophe, Avril 1915
? Pourquoi au Rwanda, 1959/60,1963-64, les périodes du début de l' exil
et des actes génocidaires n'ont pas donné lieu à des témoignages écrits
? Pourquoi ces événements "n'existent pas" dans les poèmes de J.B Mutabaruka
(premier rwandais publié à Paris en 1964-65) par exemple ? Et puis, peut-être
pourrait-on revenir sur les conditions de production-circulation, et surtout
réception, des témoignages/écrits africains face à la violence politique.
Sans revenir uniquement sur le phénomène "Dans le Nu de la vie" et le
trouble de lecteurs rwandais et rwandophones autour de ce livre, je pense
également à un livre événement comme celui de I. Naidoo "Dans les bagnes
de l'Apartheid" (Méssidor/1985) qui ne connut pas l' accueil que ce livre
méritait...Heureusement qu'il y a eu le livre de G. Slovo...
Jean-Franklin NARODETZKI, psychanalyste : Le
traitement de la réalité. De la Bosnie à la Palestine.
I ? PREALABLE EPISTEMOLOGIQUE
a) Contre l’import-export conceptuel. Transplantés de la théorie de la
psyché dans le champ social-historique, les concepts freudiens produisent
une intelligibilité illusoire et réductionniste. Ce que disant, j’ai conscience
de m’inscrire en faux contre la pertinence illimitée revendiquée par Freud
dans Psychologie des masses [et non des " foules "] et analyse du moi
: " ... la psychologie individuelle est aussi, d’emblée et simultanément,
une psychologie sociale ". Le " symbolique " fourré partout ne résout
pas le problème. b) D’où la nécessité de s’entendre sur les mots - déni-désaveu,
réalité, négation/dénégation - si l’on veut, pour rendre compte de la
façon dont est traitée la destruction exercée à l’encontre d’un ensemble
humain, continuer de les employer sans trop offenser la rigueur intellectuelle.
II ? SPECIFICITE DE L’OPERATION MEDIATIQUE (LATO
SENSU)
Si mes souvenirs sont bons, dans la forme marchandise, Marx voyait jouer
l’identité par équivalence. Tel est aussi le sort, pourrait-on avancer,
que subissent les éléments historiques (pour éviter la trop assertorique
en même temps qu’imprécise notion de " fait ") quand ils passent par la
moulinette cathodique ou plumitive. Un génocide y équivaut aux escroqueries
de Bernard Tapie ou à la récolte du plus gros chou-fleur de l’année. Baudrillard,
quand il était encore Baudrillard, écrivait là-dessus des choses intéressantes.
III ? TRAITEMENT DU GENOCIDE SERBO-CROATE DE LA
POPULATION BOSNIAQUE
Je me dispenserai, pour la première fois dans une intervention publique
orale ou écrite, de rappeler, comme on dit, les faits. D’abord parce que,
si je continue à répéter ce que j’affirme depuis 1993, je ne m’exposerai
plus aux convocations du ministère de l’Intérieur, mais à une réputation
de gâteux, ce qui est beaucoup plus grave ; ensuite et surtout, parce
que ceux qui ne savent pas encore ce qui a été commis en Bosnie ne le
savent pas parce qu’ils n’en veulent rien savoir. Ce qui peut s’analyser
; non faire l’objet d’une discussion. Je ne rappellerai que les procédés
d’annulation ou de falsification mis en œuvre au moment même et jusqu’à
présent (au besoin de façon naïve, par des gens " bien informés " et /
ou de " bonne volonté ") afin de rendre inintelligible ce qui se produisait
sous nos yeux : rhétorique négative, " impuissance " occidentale, thématique
ethniciste, " complexité ", processus sans sujet ni stratégie … L’inexistence
de toute stratégie parcourt comme un fil rouge comptes rendus des événements
et commentaires de la politique occidentale.
IV ? TRAITEMENT DE L’OPPRESSION ISRAELIENNE DE LA POPULATION PALESTINIENNE
Rien de tel, jusqu’ici, dans le discours dominant sur la seconde Intifada.
Les interprétations du conflit peuvent être discutables, stupides, erronées,
mensongères ; jamais elles ne véhiculent l’évanouissement des protagonistes,
le refus de les nommer, l’effacement des agents par des ectoplasmes producteurs
d’événements automatiques (La Haine, La Guerre, Le Manque de volonté politique,
etc.). Je ne retrouve pas l’acharnement à méconnaître qu’a suscité la
destruction de la Bosnie. Cette aisance à désigner (des responsabilités,
des causalités historiques ou des objectifs politiques) est l’une des
différences séparant les deux traitements, et il n’est pas incongru de
se demander à quoi elle est due. Le récit achoppe pourtant, quoique d’une
autre façon, sur la question de la stratégie : non pas déniée mais sans
cesse questionnée, celle de Sharon demeure opaque. L’incarcération identitaire
(" Arabes " contre " Juifs ") inspire aussi la présentation des violences.
L’antagonisme ne s’y réduit pas, comme dans le cas bosniaque, à l’existence
de prétendues " ethnies " échappées au joug bénéfique de Tito, qui suffisait
à expliquer pourquoi le sang coulait. Elle contribue néanmoins à nourrir
une autophilie de masse que les pratiques du gouvernement israélien sont
faites pour garantir, par-delà ses frontières, chez les Juifs comme chez
les Arabes. Ce qu’on nous donne à voir d’une rage colonisatrice est aussi
le mode d’apparaître de l’auto-destruction.
Nils ANDERSSON. Editeur : Le témoignage dans
le travail d'histoire, l'exemple algérien.
Quand l'accès aux archives d'État reste entravé,
voire interdit, ou lorsque les documents accessibles aux historiens sont
expurgés, quel rôle peut être assigné, pour mener le travail d'histoire,
aux témoignages de victimes et aux écrits de témoins publiés dans le cours
des événements ? Prenons pour référence la guerre d'Algérie : dès les
premières semaines du conflit il était possible de savoir que se commettait
l'indicible et sa dénonciation s'est poursuivie, réplique à la négation,
jusqu'à la fin des hostilités.
Ces documents constituent de véritables "archives citoyennes", non à l'encontre
d'un génocide mais s'élevant contre la violence politique et les crimes
de guerre. Si l'on pose la question du crédit à accorder au témoignage,
quel est-il dans le cas de ces "archives citoyennes" ? Le grand nombre
de sévices révélés dans des livres, des revues et des journaux, entre
1954 et 1962 jamais infirmés, plaident pour la véracité.
Ces récits constituent en effet des milliers de pages faisant état de
centaines de cas de torture, d'enfermement, de ratonnades, etc. Les noms
des victimes, les lieux où les actes furent commis (prisons, camps de
regroupement, centres de torture, etc) sont précisés. Y figurent également
les noms des tortionnaires, de leurs responsables hiérarchiques, mais
aussi les noms de ceux qui ont porté secours aux suppliciés.
Cette masse de données permet de vérifier les allégations et de procéder
à des recoupements. Autre élément à porter au crédit de ces témoignages
: si la dénonciation émane le plus souvent de la population victime des
sévices, lors de la guerre d'Algérie, ce sont des Français, bénéficiant
d'un accès à la parole refusé aux Algériens, qui ont publié les récits
des victimes ou témoigné de ce qu'ils avaient vu. D'où la qualification
d'"archives citoyennes".
Face aux accusations de propagande contre leur pays dont les auteurs ou
éditeurs de ces documents se voyaient l'objet, il était nécessaire, toute
fausse imputation permettant de contester les sévices les plus avérés
et de jeter le discrédit sur leur personne, de faire montre, dans ce travail
de dénonciation, de sérieux et de rigueur et de veiller à ne pas être
instrumentalisé ou manipulé. La crédibilité des témoignages s'en trouvait
ainsi renforcée et c'est pourquoi, bien que soumise aux saisies ou aux
poursuites judiciaires, leur publication a permis de lézarder le silence
imposé par le pouvoir et le discours colonial dominant jusqu'à influencer
sur le cours de la guerre. À ce titre, "La Question" d'Henri Alleg a joué
un rôle semblable à celui de cette photo d'enfants, brûlés au napalm,
fuyant sur une route, pendant la guerre du Vietnam. Cette influence, aujourd'hui
sous-estimée, des témoins et des témoignages, lors du conflit algérien,
doit être rappelée.
Quarante ans après ces événements, la pensée négationniste est absente
du débat, certains acteurs assumant même pleinement les faits. Toutefois,
s'insinue par le biais d'une relativisation de la gravité des exactions
(en se limitant aux actes de torture), d'un refus de leur caractère systématique
et d'une banalisation des méthodes utilisées, une volonté de déni.
Or, cette négation de crimes de guerre revient à nier les victimes algériennes
ayant subi ces sévices mais amène également à ignorer le traumatisme infligé
à une génération de jeunes Français, témoins et parfois acteurs à leur
corps défendant. Au sortir du conflit, les uns comme les autres se sont
murés dans le silence du torturé, du condamné à mort, du témoin de sévices
qui cherche à effacer l'abomination de sa mémoire ou comprend que son
entourage - il faut tourner la page - ne veut ni l'écouter ni ne l'entendre.
Il en est résulté une occultation de l'histoire proche, occultation qui
ressort du débat engagé depuis deux ans sur la torture où des faits connus
et dénoncés au cours de la guerre (un exemple récent, Le Pen tortionnaire)
peuvent être présentés comme des "révélations". Le refus du pouvoir d'ouvrir
les archives d'État sur cette époque relève de ce déni et en fait même
un agent de celui-ci. La sécurité nationale ne peut plus être invoquée,
mais, raison essentielle, les courants politiques qui composent le pouvoir
se refusent encore à assumer leur responsabilité dans la politique suivie
et les moyens utilisés lors de cette guerre.
Cette attitude est facilitée, voire confortée, par le fait qu'une part
importante de la population se refuse à l'acte de mémoire. Face à ce constat,
les "archives citoyennes" peuvent être considérées comme un instrument
qui permet d'interpeller l'État afin qu'il réponde des faits dénoncés
ou, s'il y a lieu, les récuse. Cela pour répondre à l'interrogation de
Pierre Vidal-Naquet formulée au terme des huit années de guerre : " Comment
fixer le rôle dans l'État futur de la magistrature ou de l'armée ou de
la police si nous ne savons pas d'abord comment l'État, en tant que tel,
s'est comporté devant les problèmes posés par la répression de l'insurrection
algérienne, comment il a été informé par ceux dont c'était la mission
de l'informer, comment il a réagi en présence de ces informations, comment
il a informé à son tour les citoyens ?
Le témoignage, devenu ainsi objet d'histoire plus qu'acte de justice,
peut servir à établir la chaîne des responsabilités dans les prises de
décisions, à connaître les mécanismes du recours à la violence politique.
Il peut aider à répondre à cette interrogation de Sartre : Est-ce l'occasion
qui décide seule et selon l'occasion, n'importe qui, n'importe quand,
peut devenir victime ou bourreau ? Enfin, et ce n'est pas le moins important,
il permet de connaître les raisons et les motifs de ceux qui ont refusé
l'engrenage de la violence d'État.
Sadek SELLAM, historien : Dissimulation et
témoignage dans la crise algérienne.
A partir de 1993, le ministère français de l'Intérieur
a eu le monopole du dossier algérien aux dépens de celui des Affaires
Etrangères si bien que les premières mesures de répression prises contre
les islamistes, ou supposés tels, relevaient de la procédure d'urgence
absolue qui exclut tout recours auprès de l'instance judiciaire. Lorsque
le tribunal de Paris, transféré à la prison de Fleury-Mérogis, a eu à
juger d'autres prévenus "islamistes", ses décisions étaient encore marquées
par les conséquences de cette primauté de la raison d'Etat (au nom de
laquelle il refusa les témoignages des époux Thévenot, ces anciens agents
consulaires qui étaient prêts à déclarer sous serment avoir fait l'objet
d'un simulacre d'"enlèvement" que la presse dite indépendante d'Alger,
ainsi que les médias français attribuèrent allègrement aux "islamistes").
Et lorsque le site Internet du MAOL (Mouvement Algérien des Officiers
Libres), animé par des dissidents des services de renseignement, il s'est
trouvé des commentateurs parmi ceux qui saluèrent en 1992 "le coup d'Etat
du soulagement" pour accuser ces anciens officiers d'"islamisme", afin
de limiter la portée de leurs révélations. La justice a repris une partie
de ses droits quand la Cour de Cassation a ordonné le versement des réparations
à une bonne partie des prévenus qui ont bénéficié d'un non-lieu après
avoir été détenus préventivement pendant plus de 3 ans pour "islamisme"
réel ou supposé.
Le procès en diffamation intenté par l'ancien ministre de la Défense,
le général-major K. Nezzar, contre le sous-lieutenant Souadia, non pas
pour les accusations contre l'armée régulière contenus dans son livre
La Sale Guerre, mais en raison de ses déclarations à la 5° chaîne, a permis
à de nombreux témoins de rendre moins confuse la controverse opposant
les partisans de l'arrêt du processus électoral de 1992 à leurs adversaires
"éradicateurs".
Il s'agit d'apprécier la validité des différents arguments produits par
les uns et les autres pour imputer à l'adversaire la responsabilité des
massacres commis contre les civils, dans le cadre d'une stratégie de l'horreur
et de la terreur. La persistance du déni de responsabilité des bureaucrates
des droits de l'homme et des anciens ministres des gouvernements de l'état
d'urgence témoignant en faveur de l'ancien homme fort de 1992 avec une
argumentation non actualisée et vieille de onze ans tient-elle face aux
révélations des officiers algériens dissidents et des journalistes français
peu suspects de sympathie pour les islamistes? L'appel aux témoignages,
par la partie civile, de femmes algériennes aux foyers encore meurtries
par l'assassinat de leurs enfants par les controversés GIA suffit-il à
compenser, par une indéniable charge émotionnelle, l'insuffisance d'une
argumentation battue en brèche?
De façon générale, il s'agit d'évaluer les répercussions de ce début de
la fin du monopole sur l'Algérie des services de renseignement et de la
recherche para-universitaire, favorisée par cette judiciarisation a priori
anodine, sur les travaux destinées à qualifier avec exactitude les crimes
politiques commis en Algérie contre les populations civiles depuis 1992.
Et d'esquisser un parallèle avec les tentatives de dissimulation des horreurs
de la "pacification" des années 1954-1962. Tentatives dont la vanité a
été attestée lors des révélations accablantes pour la gauche colonialiste
faites par un Aussaresses, que des historiens socialisants tentent encore
de démentir.
François-Xavier VERSHAVE, président de Survie
: Criminalité économique et crimes contre l'humanité en Afrique : une
synergie occultée.
Il s'agit d'illustrer comment, en Afrique, une
criminalité économique exponentielle débouche sur la volonté du maintien
au pouvoir à n'importe quel prix : le prix ignoble est, souvent, l'instrumentalisation
de l'ethnisme par des régimes à bout de course. Le feu est allumé, qui
conduit au génocide (Rwanda) ou aux crimes contre l'humanité (Congo-Brazzaville,
Tchad, peut-être demain la Côte d'Ivoire). Le lien avec la criminalité
économique est occulté car il s'agit de conserver à celle-ci un caractère
bénin, de criminalité en col blanc. Et puis, l'Occidental y est plus nettement
impliqué.
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