- Les déclarations du Pape Benoît XVI à Ratisbonne, le 12 septembre 2006 ont suscité des contreverses, réactions et questionnement. Il faut dire que l'exemple historique choisi par Benoît XVI se rapporte en effet aux propos de l'Empereur byzantin Michel le Paléologue qui était en guerre avec les nations turques : les Ottomans qui occupaient les Balkans depuis près d'un siècle, les seldjoukides depuis trois siècles en Anatolie et les déferlentes turcomanes toutes imminentes de Tamerlan qui menaçaient déja toute le région. Il ne s'agissait pas aussi d'expansion religieuse et culturelle comme au temps des premiers siècles du Califat arabe. Il s'agissait surtout de conquête comme celle de l'Amérique précolombienne par les Espagnols encore sous influence de l'Inquisition de son époque. C'est ainsi qu'on pourrait retrouver les propos tenus par l'empereur byzantin chez l'Empereur des Incas. En effet dans ces conditions, ce dernier pourrait porter à son tour un jugement négatif pas seulement sur le catholicisme mais s'en prendre ainsi à tout sur le christiannisme. On peut comprendre à juste titre ainsi l'émotion causée dans le monde musulman par le choix d'un tel texte -même si on a comprit qu'il ne reflette pas la pensée du pape.
Par la suite, le Vatican dans une déclaration officielle à propos du choix de ce texte, a precisé que le pape Benoit XVI "l'a seulement utilisé comme une occasion pour développer, dans un contexte universitaire et selon ce qui apparaît après une lecture complète et attentive du texte, certaines réflexions sur le thème du rapport entre religion et violence en général et conclure à un refus clair et radical de la motivation religieuse de la violence, de quelque côté qu'elle provienne."
Mais s'il est question de "développer certaines réflexions sur le thème du rapport entre religion et violence en général et de conclure à un refus clair et radical de la motivation religieuse de la violence, de quelque côté qu'elle provienne", alors, on pourrait se demander pourquoi Benoit XVI n'a-t-il pas choisi l'exemple très pointu d'une situation violente très critique, celle de la Traite négrière et de l'esclavage ? Et si l'on veut chercher une autre situation très violente où le christianisme et l'islam sont impliquées, pourquoi Benoit XVI n'a pas choisi le cas du Génocide arménien de 1915 ? La violence est intrinsèque à un génocide et elle se manifeste que d'un seul côté, celle du bourreau. L'étude appronfondie de cette violence est beaucoup plus importante et appropriée que celle instrumentalisée de part et d'autre dans un conflit militaire. Dans un génocide, ce ne sont pas des crimes de guerres qui ont lieu, ce sont des crimes prémédités contre l'Humanité. C'est pourquoi, on doit y trouver un refus encore plus clair et radical de la motivation religieuse pour une telle violence.
Ce questionnement sur un tel non-choix de Benoit XVI s'est vu renforcer par la suite avec son voyage en Turquie. Le Pape l'a présenté comme un voyage pastoral et non politique. Il faut rappeler que la Turquie a une politique officielle d'un négationnisme d'Etat qui met un budget au service de cette politique -tout en instrumentalisant son administration et sa diplomatie à cette fin. Le silence du Pape sur le Génocide arménien de 1915 et son négationnisme lors de son voyage en Turquie a été assourdissant pour les descendants de rescapés de 1915. Cette omission contraste avec l'attitude de Sa Sainteté Karékine II Catholicos de tous les Arméniens -chef spirituel de la petite Eglise apostolique arménienne- qui avait fait état de 1915 avec courage lors d'une conférence de presse à Stanbul quelques mois au paravant lors de son voyage pastoral en Turquie. Le silence de Benoit XVI ne peut que résonner dans l'Inconscient collectif du Moyen-Orient et aussi de l'Humanité : car il ne s'agit pas d'un simple crime local ou régional, mais d'un crime contre l'Humanité de un million et demi de victimes innocentes.
Un tel mutisme de la part du Vatican, est-elle à mettre sur le compte d'une affaire que Rome considère comme classée ? ...or rien n'est classé. Il s'agit d'un crime imprescriptible et il n'y a pas eu reconnaissance de l'Etat héritier de l'Etat bourreau qui avait déclaré le Djihad en 1914. Seule une telle reconnaissance par la Turquie d'aujourd'hui servira d'enterrement symbolique de ces un million et demi des victimes innocentes. Ces êtres humains ont été déportés, persécutés et exterminés au confin du désert arabe : des personnes de tout age deshumanisées, mortes dans l'anonymat, sans cérémonie religieuse, sans laisser de traces... Est-il possible que cela ait pu échapper au pape Benoit XVI qui pourtant, est allemand ? Que dirait l'ancien cardinal Raiztinger si l'Allemagne actuelle nationaliste ne reconnaissait pas les crimes nazis ? une Allemagne qui consacrerait un budget d'Etat afin de faire réécrire l'Histoire ? Non seulement pour faire occulter les crimes nazis, mais aussi les différentes complicités de l'ancien Empire allemand dans le Génocide arménien de 1915 ?
En faisant une telle transposition avec une éventuelle situation allemande post-nazie, on arrive à percevoir et voir ce qu'il en est hors du cadre du "dialogue islamo-chrétien" présenté comme tel suite à la conjoncture internationale. Or il s'agit avec la Turquie surtout de relations économiques dans le cadre de la globalisation et de relations politico-stratégiques dans le cadre d'un Moyen-Orient musulman agité. Nous savons que la Turquie est candidate à l'Union européenne et qu'il n'est pas exclu de lui donner même un rôle d'Etat-harki dans la région. Par eurocentrisme, on occulte son négationnisme d'Etat en mettant en avant -comme un écran- la "laïcité" non-islamique de ce pays. Cependant, derrière cet écran "laïc" maintenu par une islamophobie savamment entretenue, il y a en fait un laïcisme musulman de l'idéologie kémaliste, une idéologie nationaliste qui dénie le crime de 1915.
Dans une telle conjoncture, il y a évacuation de spiritualité démocratique, éthique ou religieuse, banalisant ainsi une occultation habituelle du négationnisme de l'Etat turc. Véhiculée jusqu'à maintenant par certains milieux politico-médiatiques en Europe, cette occultation parait maintenant s'installer officiellement au Vatican après le voyage de Benoit XVI en Turquie. Pour un chrétien d'Orient dont la tradition au dialogue islamo-chrétien remonte aux premiers temps de l'islam, ce voyage papal semble avoir été fait surtout dans le cadre d'un dialogue entre un catholicisme romain-germaniste et le laïcisme turco-kémaliste. Pour un descendant de rescapé du génocide arménien de 1915, croyant, attaché à son Eglise apostolique, conscient des ravages que fait perdurer le déni de génocide dans l'Inconscient collectif, sachant qu'il faudra beaucoup travailler pour que les réalités géo-politiques puissent changer un jour.
C'est pourquoi, il est important de ne pas perdre espoir et de se sentir compris et accepté dans sa foi. Le dialogue islamo-chrétien qui a existé entre les Arméniens et les Arabes pendant des siècles en est un exemple. C'est ainsi dans le cadre d'un tel dialogue authentique, le Gardien des Lieux Saints de La Mecque a émis un firman en 1917, condamnant fermement les déportations et les massacres organisés par le Gouvernement jeune-turc et demandant que l'on vienne en aide aux rescapés arméniens. Ainsi, devant l'incapacité des Etats à régler les problèmes cruciaux, on peut se demander comment une telle condamnation du Génocide arménien par les institutions islamiques -restée inachevée- peut apporter sa contribution aujourd'hui à la Justice et à la Paix .
- Nil Agopoff
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