Il y a deux mois c’était le 97ème anniversaire de ce que les Arméniens appellent « La Grande Catastrophe » ou le nettoyage ethnique en 1915, des Arméniens ottomans d’Anatolie, leur patrie historique. Ceux qui commémoraient la tragédie comprenaient quelques Turcs, de même que le groupe qui s’était réuni à la Place Taksim d’Istanbul.
Avec le slogan : « Réunissons-nous avec l’espoir commun provenant d’une peine commune », il y avait là un groupe de militants libéraux qui défiaient à la fois l’inimitié anti-arménienne des nationalistes turcs , et les partisans aux préjugés anti-turcs de la Diaspora arménienne. Et le plus remarquable, il y avait parmi eux non seulement des libéraux laïques qui avaient toujours été à l‘avant-garde du ‘révisionnisme’ sur la ‘question arménienne’ mais aussi quelques personnalités islamiques.
L’une de ces personnes était Hilal Kaplan, une jeune dame voilée, qui était diplômée de sociologie, et a écrit des articles influents dans « Yéni Shafak » un quotidien islamiste courant. Elle se joignit à la commémoration de Taksim, mais appela également des amis musulmans à en faire autant dans une pièce importante qu’elle avait écrite la veille.
Intitulée « 1915, comme mouvement de dé-Islamisation », la pièce de Kaplan définissait le nettoyage ethnique des Arméniens ottomans comme une partie attaquée du nationalisme turc laïque contre l’Islam. L’Islam, rappela-t-elle, était la raison même pour laquelle les Arméniens avaient toujours vécu en sécurité sous la loi ottomane pendant des siècles, car la loi islamique avait défini les Chrétiens comme « Peuple du Livre », avec des droits inaliénables. C’est pourquoi en 1915 quand le gouvernement « Jeune- Turc » nationaliste décida d’expulser presque tous les Arméniens en Syrie, quelques dirigeants d’opinion islamique, tel que le fameux Mufti Boghazliyan, Abdullahzade Effendi, brava les ordres d’Istanbul et essaya de protéger les Arméniens.
Le ‘turquisme’ des ‘Jeunes-Turcs’ rappela Kaplan, désirait ardemment, non pas une nation plurielle de plusieurs croyances et ethnicités, mais une patrie turque exclusive. Cela menait non seulement à la destruction des Arméniens, mais à d’autres tragédies de la période républicaine, telles que le nettoyage ethnique d’autres groupes chrétiens ou les massacres kurdes du Dersim.
Dans sa pièce, Kaplan appelait aussi tous les Turcs musulmans conservateurs à reviser leur respect
pour « nos ancêtres ». « Inutile de demander, écrit-elle, si vos ancêtres sont ceux qui ont formé et protégé la structure [ottomane] ‘multi-religieuse’, ou ceux qui l’ont brutalement broyée. »
En fait, la pièce de Kaplan n’était qu’un exemple de cette nouvelle rhétorique qui est en train d’émerger au sein d’une nouvelle génération d’intellectuels islamiques libéraux. Ils voient le nettoyage ethnique des Arméniens ottomans, de même que l’oppression à laquelle les non-musulmans de Turquie ont été confrontés au siècle dernier, comme une abomination contre les valeurs islamiques,
Et ils défendent ce qu’on pourrait surnommer le ‘néo-ottomanisme’, qui est fondamentalement un appel pour une Turquie pluraliste, de nombreuses religions et ethnicités.
Naturellement, la vérité historique de cette controverse peut être débattue. Ce qui est peut-être plus important, toutefois, ce sont ses promesses politiques. Car l’une des raisons pour laquelle le pluralisme libéral ne s’est pas épanoui dans la Turquie des temps modernes, est que ses sympathisants sont restés un groupe d’élite de libéraux laïques occidentalisés, qui ont eu souvent les meilleures intentions, mais ont aussi manqué de connexions culturelles avec le Turc moyen.
Néanmoins, les libéraux islamiques, tels que Hilal Kaplan, parlent au sein des valeurs islamiques qui sont emmagasinées dans d’importants secteurs de la société turque. Et c’est pourquoi leur message est plus prometteur pour la construction d’une Turquie plus démocratique, auto-critique, et je dirais, plus
vertueuse.
Traduction L.K. d’un article de hurriyetdailynews.com/armenian-ethnic-cleaning as de-Islamization