J'ai adopté le cèdre du Liban
par Khal Torabully

 

Arbre de Beyrouth agrippé au cratère
Où la bombe fissura les ruines et les pierres,
Broyant les roses du Liban, je te nomme prière,
Témoin des décombres de cette triste Terre.
*
A nouveau l'étoile du peuple élu
A élu domicile dans ton ombre suppliciée.
Ce soir, les explosions des cieux perdus
Secoueront le croissant fertile et dru.
*
Terre des druzes, terre des maronites,
Champs de sunnites et des chiites,
Ton cèdre a penché sa tête devant l'épée
Qui périra par le glaive ensanglanté.
*
J'aime le Liban dit l'enfant perdu,
Suppliant la nuée de nuages orphelins.
La goutte d'eau a renoncé à naître rosée
Arbre de Beyrouth, le silence s'est renversé.
*
Je pleure pour le Liban dit l'enfant égaré,
Mon été s'est appauvri au seuil de la mort.
Mes mains ont campé devant le péril imminent,
L'envahisseur tout-puissant sur la flaque de mon sang.
*
Liban aimé, dit l'innocent, j'ai adopté ton cèdre arraché
Par le semeur des maux ; j'ai confié mon avenir à la Bekaa.
La Palestine s'est élargie en génocide et le Liban en holocauste,
Le vent s'est tranché sur la faux des damnés.
*
L'amour de ma terre s'est emparé de tes racines,
Le cèdre centenaire s'est confié à l'olivier.
L'enfant triste court dans ton jardin oublié,
Les monstres conjuguent le verbe sécuriser pour tuer les jardiniers.
*
J'ai adopté le cèdre, ô pays libanais,
Répondit l'olivier, et je serai le garant de ta paix !
O Liban, ton arbre sera mon rocher devant les bouchers,
Nulle complicité, nulle lâcheté pour les fossoyeurs de l'humanité !
*

Khal Torabully

publié le 26/07/2006 sur Africultures

LETTRE A LA FEMME LIBANAISE

  • Préambule, courriel envoyé à Evelyne Accad et Amira Issa :
    Ma soeur,
    Aujourd'hui, une étudiante rencontrée à Tripoli m'a écrit pour me donner les résultats de ses examens, Elle s'appelle Marwa, et elle s'inquiétait de ses notes, et me demandais de prier pour elle pour la deuxième session. Miracle de la vie, non, miracle de courage, non ?
    Persister à oeuvrer pour la connaissance quand tout est à feu et à sang. Inutile de te dire combien ce courage féminin m'a bouleversé. Elle est tout le symbole du Liban auquel nous devons nous raccrocher, désormais.
    Son acte puissant, admirable entre tous, m'a inspiré ces propos.

  • Ma soeur...
    Nos coeurs saignent devant ce carnage.
    Mais nous resterons debout, car la barbarie qui triomphe se retournera contre elle-même. Je suis amoureux de la création, et je sais que la patience viendra à bout de l'ogre et de ses alliés.

    Ma soeur libanaise...
    Vous, femmes du Liban êtes d'une espèce précieuse, rare, admirable.
    C'est vous qui gardez l'humanité en éveil en moi, alors que j'avais cru la perdre au seuil de la bibliothèque de Bagdad, incendiée par les barbares.

    Vous avez la force exemplaire de la vie, et le désir inextinguible de pousser les ruines pour la récupératon du passé dans l'élan de l'avenir. Vous releverez le Liban pour nous, car en vous se concentre le peu d'humanité qui reste en ce monde des marchands et des fous sanguinaires. Je ne doute pas un seul instant de votre génie.

    Restez pour nous ces exemples frissonants de l'abnégation, du courage, de la lutte, du temps à traverser, afin que l'espoir soit encore présent en ce monde régressif.

    Vous avez cette lourde responsabilité, et nulle au monde ne peut mieux la porter que vous. Je vous quémande cette oeuvre vitale, car dans ma souffrance, vous êtes ma consolation. Je sais, pour vous avoir connues, que vous aimez le savoir. Mieux, la connaissance, sans cloison de quelque sorte.

    Vous êtes amoureuses du livre. Vous respirez la poésie essentielle.
    Vous écrivez, vous lisez, vous analysez. Et vous transmettez la beauté au coeur même des souffrances de la géopolitique froide, inexpugnable.

    Vous savez garder la grâce dans l'anéantissement passager.
    Vous êtes pilier de Baalbeck, dôme de Tripoli, sang de Cana.
    Vous êtes le Liban.

    L'élan fort de la tendresse humaine.
    Vous êtes nos mères, nos soeurs, nos compagnes quand le pays est dévasté par les lâchetés assassines.
    Vous êtes notre dignité.

    Je ne dirai pas, par respect pour vos mères et vos ancêtres, que la lutte vient de commencer. Non, elle se poursuit, car vous avez traversé des siècles entre boucliers et agressions, entre meurtres et passions.

    C'est à vous de garder l'unité de ce pays, ne vous laissez pas diviser.
    Vous êtes notre conscience fine, et vous empêcherez que l'assassin profite de vos faiblesses politiques.

    Vous êtes debout, et le monde authentique, ou ce qu'il en reste, vous admire.
    Nous sommes avec vous, et c'est cela notre pâle participation à cette tâche à accomplir.

    Je te sais proche de tes soeurs, Marwa. Tu es Evelyne, Amira, Ezza.
    Tu es une profonde lueur d'espoir dans cette nuit atroce.
    Berce le Liban, il a besoin de tes bras.

    Pensée encore debout devant l'indicible.
    Pour le Liban,
    Pour toi.

    Khal Torabully
    Publié sur le site ADIC le samedi 5 aout 2006