- Extrait :
... Parmi les camarades de Nicolas Gabrowsky, nous découvrons la présence
de trois Arméniens: Mekertitch Manoutchariantz, A. K. Sohmavonian (Gabriel
Kaffianz N°59) et N. Matinian dont les noms sont, eux aussi,
liés à l'histoire du mouvement socialiste de leur pays. Nous reverrons
un peu plus loin le nom du premier, aux côtés de Wanda Wojnarowska et
de plusieurs autres étudiants très engagés, au bas de cette adresse
envoyée en 1888 aux étudiants de Russie à laquelle nous avons déjà fait
allusion.
Au semestre d'hiver 1885/86, pris par nous arbitrairement comme référence,
les étudiants arméniens à Genève formaient un minuscule groupe national.
Dés le semestre suivant, leur effectif grossissait légèrement pour compter,
en hiver 1887/88, une dizaine de membres: quatre étudiants en Sciences
- Pogos Afrikian N°60, Marie Tatossian N°61, Christophe
Ohanian N°62, Karapete Tschakmakhiantz N°63 (auditeur);
deux en Lettres - Simon Hohanian et Georges Karadjian (Kevork Garadjian
N°64); trois en Médecine: Mihran Bohadjian, Bedros Mahokian
et Mathéos Shah-Azizian N°65 (celui-ci, auditeur comme Tchakmakhiantz
et logeant à la même adresse que lui). Parmi eux se trouvent la plupart
des fondateurs du parti révolutionnaire arménien Hintchak, définitivement
constitué en août 1887 à Genève. Le nom de ce parti n'est d'ailleurs
que la traduction du mot russe Kolokol (la cloche), pour rappeler le
journal de Herzen dont la carrière s'était achevée 20 ans auparavant
à Genève N°66.
En fait, la fondation du premier parti socialiste d'Arménie remonte
à l'été 1886. C'est alors que deux étudiants arméniens de Paris: un
riche bourgeois de Tiflis - Avetis Nazarbekian - et sa fiancée Mariam
Vardanian N°67, ancienne membre d'un cercle révolutionnaire
de Saint-Pétersbourg, décident de créer un parti révolutionnaire arménien
et réussissent à convaincre quatre compatriotes, étudiants émigrés à
Genève, de s'associer à leur entreprise: Gabriel Kaffianz, Ruben Khan
Asadiantz N°68, Nicoli Matinian et Mekertitch Manoutcharian
N°69. Pour élargir le groupe, Gabriel Kaffianz se rend à
Montpellier, d'ou il ramène quatre nouvelles recrues Shah Azizian, Karadjian,
Ohanian et Afrikian. Cependant le groupe initiateur genevois se limitera
à six membres car, quelque temps seulement après l'arrivée du renfort
de Montpellier, une scission aux raisons peu claires éclate. Décision
est prise quand même de fonder un parti révolutionnaire de masse devant
couvrir toute l'Arménie turque et posséder des sections dans les différentes
communautés arméniennes de l'étranger.
Pour récolter des fonds en vue du lancement de son organe, le groupuscule
organise à Genève, fin 1886, une soirée caucasienne. Professeurs et
étudiants de l'Université y viennent nombreux et le bénéfice réalisé
permet de commencer les opérations. L. Nalbandian, historienne du mouvement
révolutionnaire arménien, précise que les six étudiants genevois formèrent
un comité de trois membres - Vardanian, Nazarbekian et Gharadjian -
pour rédiger le programme de ce qui deviendra le parti révolutionnaire
Hunchakian (Hintchak N°70). Les fondateurs réclament pour
l'immédiat l'indépendance de l'Arménie et comme but lointain la socialisation
de son économie; comme moyens, ils admettent la possibilité de différentes
méthodes allant de la propagande parlée ou écrite à l'emploi de la terreur.
A l'instar du groupe polonais Proletariat, le parti Hintchak était une
sorte de croisement idéologique entre le socialisme marxiste et le populisme
du type Narodnaja Volja Ses fondateurs étaient en rapport à Genève avec
Georges Plékhanov et Véra Zassoulitch mais également avec Proletariat
et les Russes de la tendance terroriste.
De Genève, les Hintchak enverront des émissaires à Constantinople et
dans de nombreux villages de Turquie pour organiser l'action de leur
compatriotes. Ce parti restera actif jusqu'en 1896, date à laquelle
il est profondément affaibli par une crise interne. A cette époque un
autre parti, la Fédération révolutionnaire arménienne Daschnakzoutioun
dont le centre est à Genève, l'a remplacé auprès des masses.
- Notes :
N°59 Louise Nalbandian, The
Armenian Revolutionary movement; the Development of Armenian Political
Parties through the nineteen Century, University of California Press,
Berkeley, 1963, indique que Gabriel Kafian [Kaffianz, Kaffiantz] se
nommait aussi Shemavon [Schemavon]. Nous ne trouvons ni l'un ni l'autre
nom dans les listes de l'Université mais bel et bien un Schmavonian
[Schmavon], dont les dates de séjour correspondant à cclles de Kaffianz.
Ce doit être le même, car les transcriptions diffèrent souvent d'une
source à l'autre pour les noms arméniens, surtout en ce qui concerne
les terminaisons. Kaffianz était lié aux révolutionnaires polonais.
En 1889, il sera expulsé de Suisse pour l'affaire des bombes de Zurich
en même temps qu'Alexandre Debski, Felix Daszynski, Marie Gunzburg,
J. E. Kassiusch. Cf. Mysyrowicz, Agents secrets, art. cité, où nous
l'avons indiqué par erreur comme Polonais). Fin avril 1888, il avait
été arrêté en Allemagne alors qu'il tentait de faire passer clandestinement
de la littérature interdite en Russie. Précédemment, le 21 avril 1887,
il avait été expulsé de Genève pour une obscure dispute avec un opticien.
N°60 Pogos Afrikian, étudiant né en 1863, originaire d'Arménie
(AEG, recensement); signataire d'un appel aux étudiants russes en 1888
avec Wojnarowska, etc., voir plus loin.
N°61 Marie Tatossiantz, née en 1870, épouse d'Alexandre Aboviantz
(AEG, recensement).
N°62 L. NALBANDIAN, op. cit., indique seulement à son propos
qu'il venait de Montpellier. Nous n'avons rencontré qu'une seule fois
son nom: en bas d'un témoignage de gratitude présenté le 3 novembre
1893 à l'anarchiste russe Nicolas Joukowsky pour son 60e anniversaire.
Parmi les 61 signataires nous y trouvons, outre Christophe Ohanian,
celles des Arméniens suivants: Anna Atabekiantz, Alexandre Atabekiantz
, Léon Aladjalian, A. Lalayantz, Michel Gaspariantz, M. Vartanian, Gabriel
Bachatrian, Paul Melikian.
N°63 K. Tchakmakhianz, co-signataire de l'appel de 1888 (voir
plus loin), co-fondateur de l' Hintchak.
N°64 Kévork Gharadjian (Georges Karadjian) (Archomède), étudiant
russe né en 1862 (AEG recensement), soupçonné d'être "nihilistes par
la police française en 1889. Selon ANAHIDE TER MINASSIAN, Le Mouvement
révolutionnaire arménien, 1890-1903, Cahiers du monde russe et soviétique,
XIV, 4, octobre-décembre. 1963, ce membre du groupe initiateur du Hintchak
s'est rapidement séparé de ses camarades pour des raisons obscures.
En 1887, il traduit le Manifeste du parti communiste en arménien mais
sa traduction s'étant perdue, elle ne vit pas le jour. En 1897, il milite
à Tiflis et entre au P.O.S.D.R.; il se fait connaître pour sa participation
à la révolution de 1905 et a peut-être fait partie du Comité social-démocrate
de Tiflis dont Staline était membre en novembre 1901.
N°65 TER MINASSIAN et NALBANDIAN, op cit., indiquent seulement
à son propos qu'il fut un des fondateurs du parti Hintchak. Quelques
recoupements dans les archives permettent de soulever un petit coin
de voile à son sujet. Tout d'abord ses lectures à la Bibliothèque publique
et Universitaire de Genève témoignent d'un travail de réflexion idéologique
certain: aidé d'un dictionnaire français-arménien, Shah Aziziantz lit
le 12 nov. 1886 Ricardo, Morus, Malthus; en décembre, Spinoza et Proudhon;
en février, Louis Blanc et Michelet, puis du Garibaldi; en février et
mai 1888, il demande régulièrement en lecture le Révolté (par exemple
les 2, 3, 4 et 14 mai), la collection de 1'Egalité (15, 16, 17, 23,
25 mai), le Précurseur (22 juin 1888); en janvier 1889, il lit Spencer
et Froebel, etc.... Mais surtout, nous voyons le nom d'Azizian cité
à propos de l'expulsion d'un étudiant russe, Théodore Schestakoff. Il
faut que nous en disions quelques mots car l'affaire est instructive.
T. Schestakoff, né en 1866, ancien étudiant à l'Université de Kazan,
arrive en 1888 à Genève pour faire sa médecine. Se trouvant sans papiers
du fait du refus du gouvernement russe de lui renouveler son passeport,
il obtient une carte provisoire de proscrit et fait l'objet d'une enquête.
Le rapport indique: "les renseignements [sur son compte] ne sont pas
mauvais . . . cependant il fréquente - assidûment les nihilistes en
résidence à Genève, est constamment à eux [sic], fréquente leurs réunions;
il y a deux ans, il partageait le logement d'un étudiant, Shah Asisian,
qui s'est suicidé depuis; c'est lui qui a enlevé les papiers avant que
la police vienne faire les constatations. En novembre 1889, ayant été
recensé par le soussigné, il donnait comme lieu d'origine Moscou (au
lieu de Tomsk qu'il indique cette fois) et était déjà sans papiers (rapport
de Kohlenberger 24 juin 1891). L'expulsion est provisoirement ajournée.
Mais un nouveau rapport indique à son sujet: "En 1889, le 5 novembre,
il est signalé pour avoir prêté un passeport à un anarchiste des plus
militants, le nommé Shah Asisian, également étudiant et sujet russe,
pour qu'il puisse se rendre à Paris où il est connu comme anarchiste
très militant - depuis s'est suicidé" L'expulsion est alors confirmée,
malgré les dénégations de l'intéressé (AEG, expulsions).
N°66 Cf. Louise NALBANDIAN, op. cit., et A. T. MINASSIAN,
art. cit.
N°67 Avetis Nazarbekian, né en 1864, était le neveu d'un
des plus riches Arméniens de Tiflis. Il épousa Marie Wartanoff [Mariam
Vardanian, Maro Vartabedian] dont il eut un fils en 1888. C'est lui
qui prononcera en 1890 le discours du Premier mai à Genève, au nom des
étudiants russes. La police politique genevoise indiquait le 20 mai
1890 à Berne qu'après l'affaire des bombes de Zurich, il avait logé
Kaffianz chez lui; elle notait encore: "Nazarbekian reçoit une volumineuse
correspondance et a souvent chez lui des réunions d'étudiants russes.
Les réunions commencent toujours dans la soirée et durent souvent jusqu'à
une heure très avancée de la nuit. (Archives fédérales, Berne). LOUISE
NALBANDIAN indique que sa femme, Mariam (Maro) Vardanian [Marie Wartanoff
sur les fiches de recensement genevois et Maro Vartabedian dans l'article
précité de A. T. MINASSIAN] était la tête pensante du groupe. Voir également
plus loin.
N°68 Rouben Khanazadian (Khanazad), né en 1863 est une personnalité
indissociable de l'ensemble du mouvement révolutionnaire arménien ,
indique A. T. MINASSIAN (art. cité); il fut le premier du groupe à quitter
Genève en été 1889 pour le Yerkir en passant par Paris où se tient le
ler congrès de l'Internationale et où il expose le programme de son
parti; il a laissé des Mémoires (ib., note 42). Il doit être identique
à Khan-Ariadani, soupçonné en 1889 par le commissaire spécial de Bellegarde
d'être "nihiliste".
N°69 Il existe ici une divergence entre la liste des 6 fondateurs
donnée par Nalbandian, op.cit, et celle de A. T. Minassian. Le premier
auteur indique que N. Matinian fut rapidement obligé de rentrer au pays,
ce qui expliquerait son absence des listes d'étudiants à Genève; le
second auteur évoque M. Manuelian, dont nous n'avons pas retrouvé trace
à Genève.
N°70 Le nom de ce parti connaît de multiples transcriptions:
Huntchakian, Hintchak, Hunchag, etc....
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