Les liens historiques
et culturels entre Arméniens et Arabes
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- Pr Nicolaï Hovhanissian, département
arabe de l'Institut des études orientales d'Erevan.
Présentation de l'Institut - aujourd'hui le Pr N. Hovhannissian est directeur de l'Institut des Etudes orientales qui fait partie de l'Académie des Sciences de l'Arménie
- Krounk, Erévan (Arménie)
- 1984- XII - pp19-21
- Les relations arméno-arabes plongent leurs racines
dans les profondeurs des siècles. Appartenant à un même milieu géographique,
le Proche-Orient, ces deux peuples antiques, porteurs d'une haute culture,
ont depuis des temps immémoriaux, entretenu des rapports politiques,
économiques, intellectuels et culturels, d'autant plus étroits, que
par un concours de circonstances politiques, ils ont fait partie, à
diverses époques historiques, des mêmes groupements d'États. En 84-86
avant notre ère, la Syrie, le Liban (la Phénicie), la Palestine et la
Mésopotamie ont fait partie du puissant État arménien de Tigrane le
Grand.
- Plus tard, aux VII°-IX° siècles, c'est l'Arménie
qui fera partie du califat arabe. Tous ces facteurs objectifs ont contribué
à la connaissance réciproque des Arméniens et des Arabes, à l'interpénétration
de leurs cultures.
- Les faits historiques attestent que le Moyen
Âge, les penseurs et les chroniqueurs arabes témoignent un vif intérêt
pour les travaux des chroniqueurs arméniens, pour la pensée et la mythologie
du peuple arménien, s'efforçant par le truchement de la langue arabe,
de les mettre à la portée de leurs compatriotes. La traduction dès le
Moyen Âge de l'Histoire des Arméniens de notre chroniqueur du V° siècle,
Agathange, en est la preuve.
- L'illustre chroniqueur arabe du X° siècle, Mas'udi,
dans son oeuvre scientifique et historique "Sables aurifères et gisements
de pierres précieuses", a inséré la légende "Ara et Sémiramis" enregistrée
dès le V° siècle par le patriarche de nos historiens, Movsès Khorénatsi.
- Mentionnons encore le vif intérêt que manifeste
Kosta Ibn Luca pour les études scientifiques du grand savant, mathématicien
et astronome arménien du VII° siècle, Anania Chirakatsi.
- Les Arméniens ont témoigné un vif intérêt pour
la poésie arabe du Moyen-Age, un des joyaux du patrimoine littéraire
de l'humanité.
- Les contacts arméno-arabes ont été particulièrement
fructueux dans le domaine de la médecine. La science médicale arménienne
et arabe du Moyen-Âge avait atteint un haut niveau de développement.
Les recherches de Mekhitar Hératsi (XII° siècle), Grigoris (XIII° siècle)
et Amirdovlat Amassiatsi (XV° siècle) avaient répandu le nom de leurs
auteurs hors des frontières nationales les portant à la connaissance
des peuples voisins, dont les Arabes. Il faut tout particulièrement
mentionner le haut développement de la médecine en Arméno-Cilicie (XI°-XIV°siècles)
où, médecins arméniens et arabes exerçaient côte à côte.
- Le XII° siècle nous a légué les noms de deux
sommités médicales: l'Arménien Mekhitar Hératsi et le Syrien Abu Saïd.
Ce dernier entretenait des rapports étroits avec les intellectuels arméniens,
en particulier avec Nersès Chnorhali et Nersès Lambronatsi.
- L'original de l'oeuvre largement répandu en
Arménie médiévale, "L'Anatomie de l'homme" d'Abu Saïd ayant été perdu,
son ancienne traduction arménienne qui nous est parvenue, a valeur d'original.
- Une nouvelle étape dans les relations arméno-arabes
commença avec le retrait de l'Arménie du califat et le rétablissement
de sa souveraineté en 885.
- Le calife al-Mut'amid, un des premiers à reconnaître
l'indépendance de l'État arménien, envoya, en signe de respect, une
couronne au roi Bagratide des Arméniens, Achot 1er. D'activés relations
politiques et diplomatiques s'établirent entre les deux États voisins,
qui se maintinrent jusqu'à la chute de la dynastie des Bagratides an
1045.
- Les chroniqueurs arabes parlent avec d'Ali Ibn
Yahia al-Armani, personnalité politique et militaire d'origine arménienne
du IX° siècle, qui s'était illustré lors des campagnes contre les Byzantins.
Il avait occupé le poste de gouverneur d'Arminia, qui réunissait l'Arménie,
la Géorgie, l'Albanie du Caucase et le Darbande. L'amiral Husun al-Dine
Lullu, d'origine arménienne, était un des capitaines les plus en vue
des forces navales arabes. Quant à Fostat Vahram, on le considère comme
un des fondateurs du Caire.
- Les Arméniens jouissaient d'une situation exceptionnelle
en Egypte durant le règne des califes fatimides (960-1171). Mentionnons,
parmi les plus célèbres, Baghr al-Djamal qui occupa successivement les
postes de la garnison de Damas, de gouverneur militaire de la province
d'Akka et de chef de l'amirauté égyptienne.
- Une autre personnalité éminente, ayant occupé
des postes de haute responsabilité était le prince Vahram Pahlavouni
(Bahram aïl-Armani), vizir tout puissant du calife Hafiz (1130-1149).
Il portait le titre de "Taj al-Daula" (couronne de l'État).
- Le cours naturel des relations amicales entre
Arméniens et Arabes fut interrompu à la suite des invasions désastreuses
des Seidjoukides, des Mongols et des Turcs, qui anéantirent les centres
culturels, détruisirent ou massacrèrent les représentants de la science
et de la culture des pays arabes et de l'Arménie.
- Au XVI° siècle, l'Empire ottoman conquit presque
tout le monde arabe, et au XVII° siècle, l'Arménie occidentale.
- Les nombreuses invasions dévastatrices et la
conjoncture politique précaire, provoquèrent l'exode des Arméniens vers
divers pays, y compris les pays arabes. C'est ainsi que, dès le bas
Moyen-Âge, des communautés arméniennes se constituent en Egypte, en
Syrie, au Liban, en Palestine, qui, malgré les fluctuations de leurs
effectifs, parviennent à maintenir leur existence jusqu'à nos jours.
- Les colonies arméniennes jouent un rôle exceptionnel
dans le développement des relations amicales arméno-aràbes. Elles sont
un des maillons reliant les peuples arabes et arméniens.
- Dès le Moyen-Age, dans nombre de villes telles
que Le Caire, Alep, Bagdad, Beyrouth et d'autres, les Arméniens avaient
leurs propres quartiers résidentiels et leurs propres établissement
nationaux: hôpitaux, écoles, scriptoria. Plusieurs manuscrits de grande
valeur virent le jour dans ces derniers.
- A la noble attitude du peuple arabe, les Arméniens
ont répondu en apportant leur contribution au développement de la vie
économique et culturelle de leurs pays d'adoption.
- Au Moyen-Age, les Arméniens ont joué un rôle
important dans le développement des métiers dans les pays arabes, en
particulier dans le domaine de la métallurgie, l'armurerie, la maçonnerie,
le tissage, la couture, la tannerie, l'orfèvrerie, la ferronnerie.
- Les Arméniens et les Arabes se considéraient
comme des alliés naturels. Leurs luttes contre la tyrannie ottomane
prennent des allures plus organisées et plus générales dans la deuxième
moitié du XIX° et au début du XX° siècles.
- C'est l'époque du réveil arabe – "la Nahda".
L'animation de la vie sociale et politique, l'exaltation de la lutte
de libération des Arabes furent joyeusement accueillies par les peuples
non turcs de l'Empire ottoman y compris les Arméniens, qui assimilaient
cette lutte à leur combat contre l'ennemi commun – la tyrannie ottomane.
En sorte que la participation active des Arméniens à la Nahda amorcée
au Liban, en Syrie et en Egypte ne fut pas le fait d'un simple hasard.
- Plusieurs témoignages et documents officiels
attestent que les forces patriotiques arabes, à leur tour, soutenaient
la lutte de libération des Arméniens et leurs revendications nationales.
- Ainsi à la veille de la Première Guerre Mondiale,
se précisaient déjà les objectifs et les terrains de coopération entre
Arabes et Arméniens.
- Les Jeunes-Turcs et plus spécialement le triumvirat
Enver-Talaat-Cemal, les futurs bourreaux des Arméniens et des Arabes,
se rendaient parfaitement compte du danger que cela présentait pour
l'Empire ottoman. Mettant à profit l'aubaine que leur offrait la Première
Guerre mondiale, ils décidèrent de trancher la question nationale par
les massacres, choisissant en guise de premières victimes les Arméniens
et les Arabes. L'historien égyptien bien connu, Amir Saïd, parlant de
cette question dans son livre "Les Insurrections arabes au XX° siècle"
exprime cette opinion tout à fait pertinente: "Ils (les dirigeants jeunes-turcs-
N.H.) décidèrent que le moment était venu de mettre un terme aux deux
puissants mouvements nationaux : celui des nationalistes arabes en Syrie,
en Iraq et au Hedjaz, et celui des Arméniens en Anatolie orientale."
- Ayant exterminé la plupart des Arméniens, la
direction des Jeunes-Turcs ordonna de déporter les survivants vers les
déserts arabes, dans l'espoir que ces malheureux seraient engloutis
par les sables du désert, et qu'en leur qualité de chrétiens, ils trouvaient
auprès des Arabes musulmans un accueil hostile. Mais leurs espoirs ne
furent pas réalisés. Ces mêmes années furent cauchemardesques pour les
Arabes.
- A Beyrouth, à Alep et à Damas, dans les années
1915-1916, les bourreaux ottomans firent pendre des centaines de dirigeants
du mouvement de libération arabe. Les exécutions, la terreur, l'arbitraire
et la famine faisaient rage dans le monde arabe. Des dizaines de milliers
de familles arabes furent refoulées vers les déserts. Les leaders jeunes-turcs
appliquaient aux Arabes leur riche expérience acquise lors des massacres
des Arméniens.
- En dépit de leur condition critique, les Arabes
tendirent aux Arméniens sans défense une main charitable. Les gouverneurs
arabes de maintes régions refusèrent de suivre l'ordre du gouvernement
turc leur enjoignant d'exterminer les Arméniens. Le gouverneur de Deir
ez-Zor, Ali Souad, d'origine arabe, non seulement refusa d'exterminer
les Arméniens réfugiés dans sa province, mais encore il fit construire
un orphelinat pour l'accueil de mille jeunes Arméniens, les y installa
et subvint à leurs besoins. Pour cet acte noble et humain, le gouverneur
arabe fut relevé de ses fonctions.
- Quand le gouverneur de Mossoul reçut l'ordre
du gouvernement turc d'exterminer les Arméniens de sa province, il convoqua
les dignitaires arabes de son entourage. Ceux-ci s'opposèrent catégoriquement
à ce plan, en invoquant "que leur conscience ne pouvait admettre que
le peuple arabe verse le sang arménien". Grâce à cette décision, une
partie des Arméniens réfugiés à Mossoul parvint à échapper à l'anéantissement.
On peut trouver de nombreux exemples identiques.
- Selon des estimations approximatives le nombre
des Arméniens habitant dans les pays arabes atteint, aujourd'hui un
demi million.
- Le peuple arménien reconnaissant, a toujours
été prêt à payer sa dette de gratitude aux Arabes, défendant leur indépendance
politique, contribuant à leur progrès économiques, scientifiques et
culturels. Les liens fraternels arméno-arabes se consolidèrent plus
encore à l'occasion de leur lutte commune contre les occupants étrangers,
au nom de l'indépendance politique des pays arabes.
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