L’impunité génère
injustice et violence par Sa
Sainteté Aram Ier
- Le XXe siècle fut le siècle des génocides dont
la liste est d’une longueur déprimante : Arméniens, juifs, Cambodgiens,
Kurdes, Tutsis, Croates, musulmans, Albanais. La communauté internationale
fut toujours lente à réagir et souvent, tout simplement, elle les ignora.
L’histoire est éloquente en ce sens. Le peuple arménien fut victime
du premier génocide du XXe siècle. Durant la Première Guerre mondiale,
un million et demi d’Arméniens périrent dans le cadre d’un programme
d’extermination minutieusement conçu et systématiquement exécuté par
le gouvernement turc-ottoman. De par leur expérience existentielle,
les Arméniens connaissent bien les lourdes conséquences d’un génocide.
- 1. Vers la prévention de nouveaux crimes
contre l’humanité
Aujourd’hui, les conflits ethniques déchirent de nombreuses sociétés
; la haine se durcit et s’érige en idéologie, tandis que la violence
s’exprime sous ses aspects et ses formes les plus horribles. Seule la
communauté internationale est capable de prévenir efficacement de nouveaux
crimes contre l’humanité. Mais son intervention ne sera effective que
si elle agit, immédiatement et avec force, là où de nouvelles situations
génèrent des actes d’atrocité. Dans son intervention, elle sera mue
par les valeurs morales et humaines et non par les intérêts géopolitiques
et stratégiques. L’Organisation des Nations unies a fait d’importants
progrès dans ses tentatives pour prévenir les génocides. En 1948, elle
a ratifié la Convention sur le génocide suivie de la Déclaration des
droits de l’homme. En 1998, 120 États ont établi la Cour internationale
de justice de La Haye. Mais cette cour s’intéresse au crime qui a été
commis et non à celui qu’il faut prévenir. La communauté internationale
doit aller plus loin dans ses engagements que ces procédures juridiques.
Elle doit imposer sa volonté politique ; elle doit mettre en place des
systèmes de préalerte et développer la prise de conscience publique,
l’éducation et le dialogue. Selon le cas, elle doit appliquer des sanctions
diplomatiques ou économiques et, éventuellement, dans des situations
extrêmes et lorsque tout autre moyen a échoué, recourir à l’intervention
directe
- 2. La mémoire du génocide : source
vivante de vérité
Les individus, de même que les nations, vivent avec leur mémoire, et
la mémoire vit à travers eux. La mémoire fait le lien entre le présent
et le passé ; elle conditionne le futur, assure la continuité et affirme
l’identité. La mémoire c’est l’histoire même ; et les nations se forment
autour de leur mémoire commune qui perpétue leur existence, maintient
leur cohésion et leur donne le sentiment d’appartenance. La mémoire
est une source vivante de vérité ; elle interpelle préjudices et informations
incomplètes et développe la prise de conscience. Hitler a bien compris
cet enchaînement. Il savait que les mémoires sont courtes lorsqu’il
demanda : Qui aujourd’hui se souvient des massacres des Arméniens ?
De nos jours certains pays, pour des raisons politiques, ne se « souviennent
» pas du génocide des Arméniens et d’autres parlent de « prétendu génocide
», cependant que le peuple arménien vit la mémoire du génocide dans
sa vie quotidienne. La mémoire doit être partagée avec les autres non
point comme expression de haine et d’intolérance mais comme interpellation,
comme défi à avancer vers le repentir, le dialogue et le pardon.
- 3. La reconnaissance du génocide :
un pas vers la justice
La vérité préservée par la mémoire doit être dite. « Et l’on n’allume
pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire
où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5,15). Lorsque
la vérité n’est pas reconnue, c’est le déni qui s’installe. Toute personne
ou communauté ainsi que tout gouvernement qui refuse de reconnaître
et d’assumer la responsabilité pour des actes de génocide est coupable
de crime contre l’humanité. L’acceptation de la vérité et de la responsabilité
d’un génocide demande beaucoup de courage. La personne, la communauté
ou le gouvernement doit entreprendre une relecture de son histoire.
Seul un tel processus d’autoévaluation, d’autocritique et d’autopurification
peut permettre de cerner la vérité. Certains génocides du XXe siècle
ont été reconnus ; d’autres sont toujours niés. Lorsqu’ils sont reconnus,
des communautés ou des nations en conflit se dirigent vers le dialogue
et la réconciliation. Mais pour que justice soit faite et que réussisse
la réconciliation, la confession est indispensable, car elle est la
condition sine qua non du pardon.
4. L’impunité : un génocide continu
Dans le cas où un génocide est nié, justice ne peut être faite qu’à
travers une approche punitive. Selon de nombreux juristes, les systèmes
criminels et les procédures juridiques actuels tiennent compte du criminel
plutôt que de la victime. Or, la justice véritable ne peut régner que
si les droits de la victime sont également reconnus. La justice restitutive
est un développement nouveau dans le système criminel. Elle ouvre de
nouvelles perspectives tant du point de vue de la prévention que des
sanctions. C’est un système axé sur la victime ; le but éventuel qu’elle
poursuit est de rétablir le dialogue entre le bourreau et la victime
afin de les réconcilier. La commission « Vérité et réconciliation »
d’Afrique du Sud est un exemple concret de ce processus. La justice
restitutive doit aussi comporter une dimension de rétribution. La justice
restitutive assure la cicatrisation, la guérison, en créant un espace
pour le dialogue ; la rétribution rend possible la réconciliation. Pour
qu’il y ait une justice véritable, il est indispensable qu’aient lieu
réparation, restitution et compensation des victimes. L’impunité génère
l’injustice qui, à son tour, donne naissance à des actes de vengeances,
créant ainsi un cercle interminable de violences. Les criminels doivent
rendre compte de leurs actions à l’humanité. De nombreux criminels n’ont
pas encore comparu devant la justice ; or cette impunité signifie les
amnistier de facto. S’il est possible d’amener à la justice des individus
criminels, pourquoi serait-il impossible d’y amener des gouvernements
et des nations ? La Conférence internationale, qui s’est tenue les 22
et 23 de ce mois au catholicossat arménien de Cilicie sous le haut patronage
du président de la République libanaise, a tenté d’explorer et d’analyser
les différentes dimensions et répercussions de l’impunité. Certains
génocides du XXe siècle furent reconnus et il y eut rétribution. Par
exemple, au Rwanda la justice rétributive est en train de s’établir
grâce aux efforts conjugués des Nations unies, du gouvernement et du
peuple rwandais. Cependant, le génocide arménien reste impuni. Une justice
restitutive serait un modèle aussi bien dans le cas du génocide arménien
que dans le cas d’autres crimes contre l’humanité qui attendent d’être
résolus. Durant les cinquante-six dernières années, les Nations unies
ont tenté d’appliquer la Déclaration des droits de l’homme en adoptant
décisions et conventions relatives à des secteurs spécifiques des droits
humains, y compris le génocide. Malheureusement, ces tentatives n’ont
pas empêché des millions de personnes d’être victimes d’atrocités, de
répressions et de génocide.
L’humanité ne doit pas oublier les leçons douloureuses que nous apprennent
les génocides du XXe siècle ; elle doit utiliser ces connaissances pour
bâtir un monde où règne une paix juste, un monde où les mémoires sont
réconciliées. La mondialisation interpelle les nations, les religions
et les cultures, les engageant à établir entre elles un dialogue constructif.
Reconnaissant la vérité et nous acceptant les uns les autres, nous devons
dépasser le stade de la confrontation afin d’atteindre celui de la réconciliation.
La négation et le déni ne peuvent ni promouvoir le dialogue, ni restaurer
la justice, ni bâtir la paix, ni accomplir la réconciliation. Au cours
du XXe siècle, l’humanité a payé très cher la politique du silence face
au génocide. Elle ne doit pas rester silencieuse au XXIe siècle. C’est
là la leçon douloureuse que nous portons en nous. C’est là aussi le
grand défi que nous devons relever ensemble.
- Source : page
arménienne de Libanvision
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