- Article de Richard Liscia dans le Quotidien
du Médecin
- Les
plis du voile du 16 Décembre 2003
- Bernard Stasi est un homme politique qui inspire le respect : il
a toujours défendu des valeurs humanistes, il a conduit ses batailles
politiques en refusant le cynisme, et c'est un centriste passionné,
comme nous devrions tous l'être si nous étions capables de réprimer
nos passions et d'introduire enfin un peu de réalisme dans nos idées.
Bernard Stasi : un jugement de Salomon ? (AFP) M. Stasi a été nommé
à la tête d'une commission chargée par le chef de l'Etat de faire
des propositions sur la question du voile islamique, lequel, en vingt
ans, est devenu une affaire d'Etat et déclenche un immense foisonnement
d'opinions, depuis ceux qui ne croient pas aux menaces qu'on attribue
au voile jusqu'à ceux qui y voient un danger pour la République.
Prudence et respect
La commission présidée par M. Stasi aura fait de la prudence l'axe
de ses investigations et de ses conclusions : elle a noté une dérive
islamiste dans les cités, elle reconnaît le risque qu'il y a à tolérer
le voile ; mais par respect pour la communauté musulmane, elle fait
des suggestions sans doute destinées à contrebalancer sa suggestion
majeure : l'interdiction du voile.
Ce n'est pas rejoindre les positions de Philippe de Villiers que d'admettre
avec lui qu'on est en train de jeter le bébé avec l'eau du bain. Il
est donc temps de rappeler deux vérités essentielles :
1) Au moins 95 % des Français sont chrétiens ou d'ascendance chrétienne,
même si beaucoup d'entre eux prennent leurs distances avec leur religion,
même si un pourcentage non négligeable de Français se déclarent athées
ou agnostiques. Le port de la croix est donc consubstantiel à un pays
considéré comme la fille aînée de l'Eglise.
2) Le port de la kipa n'a jamais posé aucun problème : un très faible
pourcentage des 600 000 juifs (au maximum) de nationalité française
la portent et beaucoup de ceux qui ont une kipa ne la portent qu'en
privé ou à la synagogue et à l'école. Les agressions antisémites ont
conduit le grand rabbin Sitruk à suggérer aux enfants juifs religieux
de la remplacer par une casquette. Dans un article remarquable, un
chroniqueur du « Monde », Eric Fottorino, écrivait le 20 novembre
dernier, à propos des enfants juifs qui sortent de leur école et remplacent
distraitement leur kipa par une casquette : « Les voici ramenés
à des temps immémoriaux. A l'écho du pire. Les insultes. Les agressions.
Le feu criminel. Et maintenant le réflexe des juifs de cacher qu'ils
sont juifs, sans autre raison que leur appartenance à cette communauté.
»
Au secours des agresseurs
Sous ses traits les plus respectables, ceux de Bernard Stasi, la République,
sans le vouloir, vole au secours des agresseurs. La kipa a été d'abord
supprimée par la force, elle va être éliminée par la loi. Pourtant,
contrairement au voile, elle n'est pas un instrument du prosélytisme,
lequel est interdit par les textes sacrés : par définition, le peuple
élu ne convertit pas les autres peuples. Et si, dans un lointain passé,
il y a eu, en Afrique du Nord, en Afrique noire ou en Asie centrale,
des conversions massives de tribus, elles ont été spontanées, et non
pas demandées ou exigées par des juifs qui, au passage, n'ont jamais
conquis aucune terre, à part celle qu'ils ont reconquise et dont ceux
qui agressent nos enfants juifs leur contestent la propriété.
Les élèves ou étudiants porteurs de kipa en France, qui, dans les
établissements publics, doivent se compter sur les doigts, obtiennent
cependant satisfaction au sujet d'une revendication qu'ils n'ont jamais
présentée : ils auront droit, pour Kipour, à une journée chômée au
même titre que l'Aïd, qui devient férié pour les musulmans des écoles.
Comme, de son côté, Jean-Pierre Raffarin envisage de supprimer le
lundi de Pentecôte en tant que jour férié, la maladresse à l'égard
des catholiques est patente. Le jugement de Salomon de la commission
Stasi consiste simplement à enlever un petit quelque chose à deux
religions pour contenir le prosélytisme de la troisième.
Tout cela fait désordre, surtout dans un pays membre de l'Union européenne,
laquelle, rappelons-le ici pour lever toutes les hypocrisies, refuse
l'entrée de la Turquie parce qu'elle est musulmane et pas seulement,
comme on le dit, parce qu'elle ne respecte pas les droits de l'homme.
Le sort réservé à la Turquie est inique : si elle a commis un génocide,
ce n'est pas une raison pour lui interdire l'entrée dans l'Union,
dès lors que l'Allemagne en a commis un autre, infiniment plus vaste
et cruel, et qu'elle est le premier pilier de l'UE. Si la Turquie
est musulmane, c'est une chance unique d'encourager un islamisme modéré
plus tourné vers le commerce et le progrès que la sujétion des femmes
(première signification du voile) ou la barbarie. On a peur de l'islam
turc et on a peur aussi de l'islam français que l'on cherche à mettre
sur les rails de la laïcité en lui donnant des gages : ôte ton voile
et j'ôterai ma croix.
M. Stasi et le pape
Les idées de la commission Stasi entrent en contradiction avec d'autres
idées, par exemple celle du pape, qui voudrait que la constitution
européenne se réclame de la chrétienté. Personne n'est obligé de tenir
compte des avis du pape. Mais alors pourquoi le nouvel académicien
qu'est Valéry Giscard d'Estaing est-il opposé à l'entrée de la Turquie
? N'est-ce pas, au fond, parce qu'elle est musulmane ? Et si, dans
le fond de leur coeur, nos dirgeants revendiquent leurs racines chrétiennes
au point d'être de l'avis du pape sans oser le dire, pourquoi empêcheraient-ils
le port, « ostensible » ou non, de la croix ?
Jacques Chirac dira demain l'option qu'il aura faite, ce qu'il prend
et ce qu'il rejette des propositions de la commission Stasi. Permettez-nous,
Monsieur le président, de vous rappeler que c'est le voile qui nous
dérange, pas la religion musulmane. Vous qui allez volontiers à l'église,
vous dont l'épouse a rendu visite au pape, ne devez avoir aucune honte
à rappeler qu'il existe en France une religion dominante ; une autre
qui n'a jamais posé problème jusqu'à ce que Vichy fasse son propre
syndrome d'intolérance ; et dont on ne reparle aujourd'hui que parce
qu'elle est victime du fanatisme et de ce qu'il fait bien appeler
le racisme ; une troisième, enfin, qui regroupe quelques millions
de Français et résidents en France et qui commence, tout simplement,
à être subvertie par une poignée d'extrémistes que financent des pays
étrangers.
Votre rôle, Monsieur le président, est de les protéger toutes les
trois : la première contre toute atteinte à son intégrité ; la deuxième
contre les agités de la troisième ; et la troisième contre les mêmes.
- Richard LISCIA, 16 Décembre 2003.
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- Réponse de Richard Liscia "A
nos lecteurs d'origine arménienne" du 9 Janvier
2004
À nos lecteurs d'origine arménienne
Trois médecins, dont le Dr Léon Artinian, président de l'Union médicale
arménienne de France, ont réagi avec vigueur à notre article daté
du 16 décembre 2003 et intitulé « Les plis du voile ».
Le Dr Artinian et les deux autres lecteurs nous reprochent explicitement
la phrase où il était écrit que si la Turquie « a commis un génocide,
ce n'est pas une raison pour lui interdire l'entrée dans l'Union (européenne)
dès lors que l'Allemagne, qui en a commis un autre infiniment plus
vaste et plus cruel, est le premier pilier de l'Ue ».
Nous nous empressons de dire, comme nous l'avons fait auprès d'un
des deux autres lecteurs qui nous adressé une lettre fort courtoise,
que nous regrettons d'avoir froissé la sensibilité de nos lecteurs
d'origine arménienne et que nous nous garderons, à l'avenir, de le
faire. Notre propos du 16 décembre ne concernait cependant ni la Turquie,
ni les Arméniens, ni les génocides mais la prédominance de la religion
catholique en France. Laquelle explique que l'Union européenne traîne
des pieds pour négocier l'adhésion de la Turquie musulmane.
Le Dr Artinian nous accuse d'une « méconnaissance de l'Histoire et
de l'actualité » parce que nous n'avons pas mentionné la non-reconnaissance
du génocide par la Turquie, alors que l'Allemagne a reconnu le sien.
Nous ne sommes pas ignorants à ce point-là ; l'article portait sur
le voile, de sorte que nous avons omis d'écrire ce qui nous semble
une évidence, à savoir que la Turquie ne peut pas espérer entrer dans
l'Union si elle ne reconnaît pas solennellement le génocide arménien
; car l'Ue, elle, l'a reconnu. Nous ajouterons : nous aussi. Nous
mentionnons ce génocide en toutes lettres dans l'article incriminé
et dans des articles précédents, ce pour quoi nos critiques ne nous
accordent aucun crédit.
Quant à « établir une échelle de cruauté dans les génocides », le
Dr Artinian voudra bien nous pardonner, mais si une vie vaut une vie,
six millions de vies valent fatalement plus qu'un million et demi
de vies. Il y a une différence de degré à admettre, pas une différence
de nature. Mais, encore une fois, tel n'était pas notre propos et
nous regrettons d'être amenés, pour notre défense, à établir cette
comptabilité. Le génocide arménien est tout aussi révoltant que les
autres. Tout ce que nous souhaitions dire ici, c'est que nous regrettons
notre maladresse apparente, que nous prions nos lecteurs d'origine
arménienne de bien vouloir nous excuser, mais aussi que, sous l'empire
de leur extrême sensibilité, ils ont cru déceler une ignorance là
où il n'y avait qu'un raccourci.
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