- SUJET : "Le chemin de fer de Bagdad" dans la série des émissions "Les mercredis de l'histoire" : Mercredi 3 janvier 2007, 20h40 - Documentaire en deux parties de Roland May ARTE/SWR, Allemagne/France/Turquie, 2006, 2x52mn
http://www.arte.tv/fr/histoire-societe/les-mercredis-de-l-histoire/262280.html
- Monsieur Jérôme Clément, Président de ARTE
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jérôme_Clément - http://www.arte-tv.com/home/homeFr.html
- Monsieur le Président,
Le 28 février 2004, un piquet de protestation avait été organisé devant votre siège social à Issy les Moulineaux par le CCAF (Conseil de Coordination des Organisations Arméniennes de France) dénonçant l’occultation systématique du génocide arménien de ses programmes et débats relatifs à la Turquie suite à une émission "Théma" du 6 janvier 2004 consacrée à la Turquie et à son Histoire.[*1]
Encore une fois vous vous faites complice de l'omission intentionnée du Génocide arménien que l'on retrouve dans le documentaire "Le chemin de fer de Bagdad" réalisé par Roland May. En effet, ce documentaire retrace cette histoire qui se déroule en Syrie et en Iraq, deux pays où les Arméniens furent déportés, parqués dans des camps de concentration puis exterminés aux confins du désert,[*2] Ce cauchemar fait partie de la mémoire collective des pays arabes de cette région.[*3]
De plus, ce documentaire cherche à accentuer cette omission en disant que les ouvriers qui travaillaient à la ligne de chemin de fer, faisaient partie de la mosaïque des peuples de l'Empire ottoman et étaient aussi "des prisonniers de guerre, des bagnards..." Ces travailleurs forcés étaient surtout :
- des soldats arméniens de l'Armée ottomane qui avaient été mobilisés suite à la déclaration de guerre : ces soldats furent désarmés et affectés par l'administration militaire à ces travaux pour être fusillés par la suite en petits groupes après l'accomplissement de leurs corvées
- et aussi
des civils arméniens déportés dont le transport avait été organisé par l'administration ferroviaire.
En outre, il faut rappeler qu'il ne restait plus de "bagnards". En effet, les prisonniers de droit commun avaient été libérés des prisons. Ils furent recrutés comme gendarmes dans "l'Organisation spéciale" mise en place par le gouvernement jeune-turc pour exécuter les basses oeuvres de son programme criminel, un programme qui fera un million et demi de victimes innocentes.[*4]
Monsieur le Président, nous savons que la Turquie est candidate à l'Union européenne. Nous sommes au fait qu'il y a une habitude politico-médiatique eurocentriste d'occulter son négationnisme d'Etat en mettant en avant -comme un écran- la "laïcité" non-islamique de ce pays. Cependant, derrière cet écran "laïc" maintenu par une islamophobie savamment entretenue, il y a en fait un laïcisme musulman de l'idéologie kémaliste, une idéologie nationaliste qui dénie le crime imprescriptible de 1915. Dans cette conjoncture, il y a évacuation de toute spiritualité démocratique, éthique ou religieuse, banalisant ainsi une occultation habituelle du négationnisme de l'Etat turc -et véhiculée par certains milieux politico-médiatiques en Europe.
Alors dans ces conditions, on peut vous poser la question suivante Monsieur le Président -sachant d'autant plus que ARTE est une chaîne de diffusion franco-allemande : cette situation
serait-elle toujours en application si nous avions une Allemagne actuelle nationaliste qui ne reconnaitrait pas les crimes nazis ? une Allemagne qui consacrerait un budget d'Etat afin de faire réécrire l'Histoire ? Non seulement pour faire occulter ses crimes nazis, mais aussi pour sa complicité dans le Génocide arménien de 1915 ?[*5] Nous aurions affaire ainsi à un Etat qui violerait les droits de l'Homme, ne manquant pas de faire pression économique et diplomatique en cherchant à se donner une bonne image de marque, malgré ses révisionnismes flagrants ou rampants, comme si de rien n'était...
Ou mieux encore, comme si l'on essayait de renverser les rôles par un fond de musique symphonique comme cela est le cas dans le documentaire en question : en présentant avec nostalgie cet Empire ottoman corrompu comme un pays persécuté et courageux ? En évoquant avec attendrissement les trop nombreux soldats turcs tués pendant la guerre, le commentateur ne parle pas des victimes arabes au cours de toutes ces années d'asservissement, d'oppression et de répression. Et que dire des Assyro-chaldéens et des Grecs pontiques qui ont été eux aussi exterminés pendant ces années sous prétexe de l'état de guerre ? Serait-on amené à penser que votre émission présentée ainsi, a pour visée d'escamoter les exactions et les persécutions qui ont été perpétrées sur ces différents peuples colonisés et opprimés par l'Empire ottoman ? Faut-il rappeler que le gouvernement jeune-turc a mis en place en 1916 une famine organisée au Liban qui a fait près de 500.000 victimes.[*6]
Le réalisateur Roland May n'a pas pris en compte l'historiographie concernant rôle néfaste et destructeur du chemin de fer de Bagdad dans la déportation des Arméniens et leur travail forcé le long de la ligne en construction.[*7] Depuis 2004, il existe pourtant une vidéo d'une durée d'une heure sur la thématique de la complicité allemande dans le Génocide de 1915 : Germany and the Secret Genocide.[*8] Avec ce film maintenant sur le Web, conçu et réalisé aux Etats Unis avec des témoignages vécus et la collaboration d'historiens allemands, vous verrez combien la réalité historique est toute autre que la version asceptisée que votre émission cherche à diffuser.
Monsieur le Président, s'en tenir à votre documentaire ARTE/SWR, c'est ne pas permettre aux Turcs de France et d'Europe de faire leur travail de mémoire comme le peuple allemand a réussi à le faire. Nous vous invitons sincèrement à faire passer prochainement sur votre chaîne cette vidéo Germany and the Secret Genocide qui est de haute qualité historiographique[*9] et à réparer ainsi la désinformation opérée mercredi dernier. Ne pas le faire serait vouloir construire encore une fois une non-existence du Génocide arménien de 1915, une non-existence confirmant un apartheid de la Mémoire au service d'un eurocentrisme en deux poids deux mesures.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de nos sentiments distingués.
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