- Comme il y a eu métissage hispanisant
dans les pays d'Amérique latine après la conquête
espagnole de l'Amérique précolombienne, il y a eu une
turquification après la conquête ottomane. Cette turquification
d'une partie des populations autochtones n'est
pas seulement due aussi aux oppressions locales ottomanes,
mais aussi à une turquification organisée par le pouvoir
central : une turquification en Anatolie et dans les Balkans alimentée
en masse chaque année par une levée forcée d'enfants
des villages chrétiens -"par la grâce du Sultan"
et ceci durant trois siècles.
- Ce processus historique peu connu "d'impôt
sur le sang" qui consiste en rapts d'enfants a été
institutionalisé sous le nom de devchirmé ottoman.
Ce mécanisme étatique de l'Empire ottoman est souvent
occulté ou écarté par les études historiographiques
dans les pays des Balkans, de Géorgie ou d'Arménie comme
étant trop traumatisant. Par contre le devchirmé
est présenté dans l'historiographie turque d'aujourd'hui
comme une institution islamique honorable ou de promotion sociale
.
- Ce "melting pot" par broyage ethnique
au cours des siècles explique certains traits physiques du
peuple turc d'aujourd'hui qui ne sont plus ceux des peuples d'origine
du Turkestan en Asie centrale. Ainsi, le devchirmé qui
fait couler du sang arménien, grec ou slave dans les veines
turques, représente une partie commune très importante
des Mémoires et des Inconcients collectifs des peuples concernés.
- On peut comprendre à partir de là
qu'une personne turque, surtout si elle a une personnalité
peu stable et peu ouverte, peut avoir des difficultés ou des
inhibitions à admettre consciemment (ou inconsciemment), l'idée
du génocide des Arméniens en 1915 -sans oublier les
massacres organisés par le Sultan Abdul-Hamid.
- Sachant qu'un génocide est intemporel
et maintient le temps au moment du crime absolu jusqu'à sa
reconnaissance officielle par l'Etat héritier :
- ne pas reconnaitre le génocide de 1915 pour un sujet turc
reviendrait dans le symbolique à ce que le génocide
continue en sa part héritée de ses racines arméniennes
- et en ce cas, le reconnaitre serait
arrêter un auto-génocide.
- Les Arméniens étant également
prisonniers de cette structure génocidaire que perpétue
le déni turc et le silence complice de beaucoup d'autres Etats,
il nous semble important :
- pour sortir de ce double enfermement génocidaire, où
chacun est enfermé dans sa solitude
- et n'ayant rien à attendre de l'Etat turc surtout dans la
conjoncture mondiale actuelle,
il nous semble en effet important de
dialoguer avec les démocrates turcs.
- En ce sens, le devchirmé, au
delà de l'amputation ethnique qu'il a fait subir au cours des
siècles aux populations arméniennes de l'Empire ottoman,
crée un trait d'union : un lien physiologique et de mémoire
que nous ne pouvons plus ignorer aujourd'hui.
- Nil Agopoff
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