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Discours prononcé le 7 mai 1903 à Rome par Anatole France
- réunion de l'association de la presse pour l'Arménie et la Macédoine -
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              Mesdames et Messieurs,

Si j'ai l'honneur de me trouver ici parmi vous, si j'ai été appelé à joindre, dans cette salle de votre association, aux journalistes de Rome, c'est comme rédacteur de Pro Arménia, pauvre défenseur d'une grande cause, très petit journal fondé à Paris, par Pierre Quillard, avec le concours de Francis de Pressensé, de Jean Jaurès et de Clémenceau. Et mon premier devoir, qu’il m'est doux d'accomplir, est de saluer mes confrères de la Ville éternelle.

Laissez-moi vous dire ensuite, Messieurs, combien j'aime l'Italie et de quel respect Rome me pénètre. Dans les heures  trop brèves qu'il m’est permis d'y passer, j'y goûte des joies incomparables. La vie y coule pleine, tranquille, profonde, et s'y plonge magnifiquement dans un passé très grand. Comment ne pas se rappeler, à l'hombre de vos ruines de brique et de marbre, couronnées d'oliviers, les siècles où l'immense majesté de la paix romaine enveloppait la terre, et comment ne pas voir avec sympathie la renaissance de Rome et la prospérité croissante de l'Italie délivrée ? De quelque contrée qu'on vienne et quelque langue qu'on parle, comment, parmi les vestiges du Forum romain, ne pas s'essayer à murmurer d'un accent dont vous pardonnerez la rudesse, cette parole de votre antique historien : Roma pulcherrima rerum ?

En contemplant les monuments de votre antiquité, un Français ne se sont pas étranger chez vous : il retrouve les restes de la grande aïeule des nations latines ; si l'on parcourt vos rues et vos places illustres, à tout moment on rencontre les vestiges de gloire et de puissance. Mais de tous ses souvenirs, le plus admirable peut-être, et celui, du moins, qu'il convient le mieux de rappeler ici, c'est le geste pacifique par lequel votre Marc-Aurèle, du haut du Capitole, apaise les Barbares.

C'est un peu le geste, Messieurs, que vous êtes venus faire ici. Sans doute vous ne pouvez pas, comme l'empereur philosophe, en étendant le bras, tranquilliser l'univers. Mais enfin vous êtes venus travailler dans cette salle selon vos forces, qui ne sont pas petites, puisque ce sont les forces de l'esprit, à l'affermissement de la paix européenne, car il ne s'agit pas seulement ici de la macédoine déchirée et de l'Arménie martyre. Il s'agit de l'union morale et du concert intellectuel de l'Europe civilisée. Le directeur de votre école d'anthropologie, l'illustre professeur Sergi, vient de vous dire, dans le plus noble langage, comment la cause des Arméniens est portée devant toutes les capitales de l'Europe. Elle a été portée cet hiver a Paris. Dans mon pays, partagé à cette heure entre deux partis qui se livrent un combat sans merci, les adversaires les plus résolus se sont réunis pour prendre en main la cause arménienne.

Loris Mélikoff que vous voyez ici les avait convoqués, l'Arménien Loris Mélikoff qui soutient son grand nom toute la force de son grand coeur. Dans une assemblée immense, MM. Lerolle et Cochin, les citoyens Jaurès et Pressensé, côte à côte, ont protesté contre les assassinats commis par le sultan exterminateur à la face de l'Europe honteusement silencieuse, et réclamé l'entière exécution du traité de Berlin.

Cette union des gens de coeur pour l'accomplissement d'une oeuvre nécessaire et généreuse se fera aussi facilement chez vous, Messieurs, qu'elle s'est faite en France. Tout ce que Rome contient de noble se réunira dans une même pensée humaine et pacifique ; les hommes éminents dans la politique est dans la presse que je vois assemblés ici en sont le même présage certain.

Et ce n'est pas pour former de vains souhaits, pour jeter d'inutiles plaintes. Ce que vous réclamerez, comme nous l'avons réclamé, et précis, légal, pratique. C'est la pleine exécution du traité de Berlin. Ce traité institue la tutelle de l'Europe sur l'empire ottoman. Est-il possible que l'Europe dise sultan rouge : Tue, pourvu que tu payes ? Est-il possible que l'Europe tutrice et, par conséquent, responsable, qui se jugent suffisamment armé par les traités pour faire rentrer à coup de canon des créances en souffrance à Constantinople, s'estime impuissante devant l'égorgement de trois cent mille sujets du sultan ? La question financière intéresse seule les Européens, diront les monstrueux égoïstes qui se croient sages.

Messieurs, c'est une question économique et financière que l'égorgement de tout un peuple.

En obtenant la pleine exécution du traité de Berlin, en même temps que vous rendrez la vie à l'Arménie assassinée, vous procurerez aux Etats européens, et particulièrement à l'Italie, des avantages économiques certains, puisque dans la Turquie soumise au contrôle européen, le commerce pourra se développer librement.

L'opinion est une grande force. C'est en notre temps, dans une partie de l'Europe, la plus grande force des forces. Par un effort de l'opinion publique italienne unie à l'opinion publique des autres peuples civilisés, on peut espérer que se fondera le droit international comme fut fondé, voilà un siècle, le droit civil.

Je m'arrête. M. Barzilai saura définir devant vous avec une haute autorité l'oeuvre à laquelle vous êtes conviés. Pour moi, si votre bienveillance permet à votre hôte d'un jour de vous ouvrir son coeur, rien ne sera plus doux que de voir la pensée italienne unie à la pensée française dans une oeuvre de sagesse et humanité.
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à compléter
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