Pro Armenia
Les arménophiles français (1878-1923)
- Entre le traité de Berlin, en 1878, qui exige des garanties pour la sécurité des populations arméniennes de l’Empire ottoman, et celui de Lausanne, en 1923, qui cède aux exigences de Mustafa Kemal, les massacres de 1894-1896 suscitent en France un grand mouvement d’opinion, les « arménophiles ». Au moment précis où l’affaire Dreyfus engage le combat contre l’antisémitisme et pour les droits de l’homme, ces défenseurs des Arméniens contribuent à définir les idéaux humanitaires de la démocratie.
- Les premières dénonciations sont des initiatives individuelles, comme celles de Séverine, journaliste libertaire et féministe, disciple de Jules Vallès, ou du Révérend Père Félix Charmetant, directeur de l’Oeuvre d’Orient. Tandis que les arménophiles unissent leurs efforts et organisent des conférences avec des intellectuels, des artistes et des écrivains, comme Victor Bérard, Pierre Quillard ou Anatole France, le mouvement se politise. Georges Clemenceau montre l’exemple. Il est bientôt rejoint par des parlementaires de toutes tendances, comme Denys Cochin et Albert de Mun, pour la droite, Jean Jaurès et Camille Pelletan, pour la gauche.
- Sous la pression de l’opinion publique, le gouvernement, soucieux de ménager les intérêts de la France dans l’Empire ottoman, publie en 1897 un Livre jaune, qui minimise la gravité des faits. Dénonçant cette version officielle, délibérément affadie et tronquée, le bimensuel Pro Armenia devient, à partir de 1900, l’organe fédérateur de la protestation. Grâce à lui, le mouvement atteint une dimension européenne. En 1914, alors que les arménophiles croient toucher au but, le déclenchement de la guerre mondiale permet au gouvernement Jeune-Turc de provoquer le génocide de 1915.
- A l’évidence, les noms de Clémenceau, Jaurès, Anatole France, Marcel Proust, Charles Péguy et Romain Rolland suffiraient à eux seuls à montrer la grandeur de cet élan humanitaire et son profond ancrage dans la société française de l’époque. La ferveur de la mobilisation a laissé de nombreux témoignages dans l’art, dans la presse et dans la littérature. A travers tous ces objets et tous ces documents, l’exposition du Musée de Montmartre fait revivre, pour la première fois, un moment important de la démocratie. Débordant la classe politique, enfermée dans les jeux pervers de la diplomatie, cette élite intellectuelle a en réalité sauvé l’honneur de la République , en respectant la véritable universalité de ses principes.
- Professeur Jean-Pierre MAHÉ, Membre de l’Institut
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