TIGRANE LE GRAND ET L'OPÉRA EUROPÉEN DES XVII-XVIII SIÈCLES

Au cours des 17ème et 18ème siècles de nombreux compositeurs italiens, autrichiens et allemands ont composé plus de 20 opéras dédiés au roi d'Arménie, Tigrane le Grand.

Né en l'an 140 av. J.C., Tigrane II dit le Grand a accédé au trône d'Arménie en 95, succédant à son père Tigrane Premier (115-95). Il était le petit-fils d'Artaches Ier (189-160), fondateur de la dynastie des Arsacides.

Durant un règne de quarante années Tigrane II a fondé la ville de Tigranakert-Tigranocerte (en arménien — bâti par Tigrane), devenue la capitale de son royaume avec une population de plus de trois cents mille habitants. Trois autres villes-forteresses portant le même nom ont également été édifiées dans les provinces de Gokhtan, d'Outik et d'Artsakh. Le nombre des villes portant ce même nom s'élève en tout à sept.


Carte de l'Arménie tigranienne

Tigrane II le Grand
Carte postale
début du XX siècle - Venise

Tout en possédant au plus haut point les qualités de stratège militaire et d'homme politique, Tigrane II était aussi amateur d’art et fut dans son royaume le protecteur des arts, en particulier, du théâtre.
En l'an 69 av. J.C. il fit construire dans sa capitale Tigranocerte un amphithéâtre hellénistique, destiné aux représentations théâtrales, donnant ainsi le coup d'envoi au développement du théâtre en Arménie.
L'existence, au cours d'une certaine période de trois capitales – Artachat, au nord-est du pays,  Antioche au sud-ouest et Tigranocerte, au centre – atteste de la grandeur et de la puissance de l'Arménie à cette époque.
Tigrane le Grand avait épousé Cléopâtre, fille du roi du Pont Mithridate VI Eupator, son allié dans la lutte contre l'Empire Romain.

Les monnaies d'or, d'argent et de bronze à l'effigie de Tigrane le Grand et avec la mention "Roi des rois", frappées sous son règne il y a plus de deux mille ans, sont rares et recherchées par des collectionneurs et numismates.

Parmi quelques unes de ces pièces de monnaie, sur la couronne de Tigrane, au lieu de la traditionnelle étoile à huit branches entourée de deux aigles, figure un mystérieux signe, ressemblant à une étoile et symbolisant le corps céleste apparu dans le ciel d'Arménie durant son règne, plus précisément dans les mois de Juillet-Aout de 87 av J. C. . Comme il s'est avéré, des siècles plus tard, ce corps céleste était une comète, actuellement connue sous le nom de son investigateur, le scientifique britannique Edmond Halley (1656-1742). Selon les données astronomiques, la comète de Halley s'approche de notre Terre tous le 75-76 ans. Le passage de cette comète a été observé et noté de l'an 240 avant J.C., d’abord par les c Chinois, puis par les Babyloniens. Les Babyloniens notaient leurs observations astronomiques sur des tablettes d’argile en caractères cunéiformes. Pour leur part les Chinois, aux environs de l'an 300 av. J.C., ont rédigé un traité illustré des astres et des comètes sur un tissu de soie.




Monnaie à l'effigie de Tigrane le Grand
I siècle av. J.C

La dernière apparition de la comète de Halley a eu lieu de nos jours, la veille des évènements du Karabakh-Artsakh.

Le fait exceptionnel des apparitions dans le ciel d'Arménie de la comète de Halley coïncidant avec des événements d’une telle importance, comme le règne de Tigrane II — pour les Arméniens un symbole de puissance et de prospérité — et la guerre du Karabakh, est perçu dans la réalité arménienne comme un présage céleste.

L'Arménie actuelle a rendu l'hommage à son roi le plus célèbre de toute son histoire, en érigeant sa statue monumentale à l'entrée de la résidence du Président de la République arménienne à Erevan, et en instituant (par la loi de 12 juin 2002) l'Ordre de "Tigrane le Grand", décoration décernée pour services exceptionnels rendus à l'Etat.

Quelques mots à propos des opéras "Tigrane".

On trouve dans l'illustre "Grove Dictionary of Music and Musicians" en 29 volumes :
"Tigran was among the most successful of Scarlatti's late operas, and within a year it had  been revived  at Innsbruck and Livorno”. Modern critics have valued it highly too, and D. J. Grout described it as "one of the greatest, if not the very greatest, of Scarlatti's operas".

Les Scarlatti en Italie, tout comme les Bach en Allemagne ont donné au monde un  nombre impressionnant de musiciens : il faut citer notamment Alessandro (1660-1725) et Domenico (1685-1757). Alessandro, le père, est l'auteur de plus de 125 opéras, Domenico, son fils a écrit 555 sonates pour clavecin.

L'opéra d'Alessandro Scarlatti "Tigran, rè d'Armenia" a été mis en scène pour la première fois le 17 février 1715, au "Teatro San Bartolomeo" de Naples. Par la suite il a été joué un peu partout en Europe.

Un autre grand musicien italien,  Antonio Vivaldi, (1678-1741), s'est intéressé au thème "tigranien" et a composé un opéra donné le 5 mai 1791 dans la salle "Gänsemarkt" de Hambourg avec le titre allemand "Die über Hass und liebe siegende beständigkeit, oder Tigranes, König von Armenien".

Le grand réformateur de l'art lyrique, l'autrichien Christoph Willibald Gluck (1714-1787), ainsi que l'italien Niccolo Piccini (1728-1800), auteurs tous les deux, de plusieurs dizaines d'opéras, ont eux aussi été inspirés par le sujet du  roi Tigrane : Gluck a crée sa version en 1743, et Piccini en 1761.

Dans l'ordre chronologique des créations d'opéras ayant pour sujet le roi Tigrane, il convient de citer le premier d'entre eux, celui de Tomaso Giovanni Albinoni, (1671-1751). La première représentation de son opéra "Tigran, rè d'Armenia", écrit sur le livret de Giulio Cesare Corradi, a eu lieu durant les fêtes de Carnaval du 1697, au "Teatro di San Cassiano" de Venise.

Compositeur d'origine allemande, ayant vécut la plus grande partie de sa vie en Italie, Johann Adolf Hasse (1699-1783), est l'auteur de plus de 80 opéras, parmi lesquels figure aussi "Tigran, rè d'Armenia". Cet opéra a été créé le 4 novembre 1723 au "Teatro San Bartolomeo" de Naples.

Les partitions de ces opéras, vieilles de deux, trois cents ans, sont aujourd'hui dispersées un peu partout dans les bibliothèques et les collections privées en Europe et dans le reste du monde. Certaines d'entre elles sont déjà introuvables, d'autres sont probablement dans un état déplorable.

Quelques mots sur les sources littéraires qui ont servi de bases pour ces opéras :

En 1691, est publié l'ouvrage de l'abbé Francesco Silvani (1660-1728), "La virtù trionfante dell'amore, e dell'odio, overo  il Tigrane" (Le triomphe de la vertu sur l'amour et la haine). Dans son ouvrage inspiré des écritures de l'époque Antique, tel que des "Vies parallèles" de Plutarque, du Ier siècle et le livre XXXVIII  des "Histoires philippiques" de Justin (II siècle après J.-C.), l'abbé Silvani évoque différents aspects de la vie du monarque arménien, en particulier sa vie amoureuse qui aboutit à son mariage avec Cléopâtre, la fille du roi du Pont, Mithridate VI Eupator.

Les livrets de 19 des opéras existants ayant comme objet le roi Tigrane sont basés sur cet ouvrage, légèrement modifié en 1723 et 1741 de l'abbé Silvani. Sa version des  faits  est sans doute celle qui correspond le mieux à la réalité historique.

Quatre opéras du même nom, ont été composés sur des livrets différents par :
– Albinoni, sur le livret de Giulio Cesare Corradi (1650-1702).
– Bononcini, sur le livret de Pietro Antonio Bernardoni (1672-1714).
– Scarlatti, sur le livret de Domenico Lalli (1679(7)-1741).
– Righini, sur le livret d’ Antonio de Filistri.

Une remarque sur l'opéra concernant un "sujet arménien" de Georg Friedrich Haendel (1685–1759), "Radamisto", et non pas "Tigran" – comme citent certains sources – décrit des évènements qui se déroulent dans une ville située au bord de la rivière Araxe, en Arménie. Hormis Radamisto, les principaux héros sont le roi d'Arménie Tiridate (le Premier),  et … "un prince Tigrane". "Radamisto" est le premier opéra écrit par Haendel à la demande de l'Académie Royale de Musique (Royal Academy of Music). Il a été créé le 27 avril 1720 au King's Theater de Londres.

De tous les opéras ayant le roi Tigrane pour héros, celui de Scarlatti, composé sur un livret de Lalli était et reste, apparemment, le plus célèbre. En effet, il a connu le succès non seulement dans les premières années de sa création au 18e siècle, mais encore dans les siècles suivants comme sa représentation en 1832 à Paris et en 1970 à Naples, où il a été créé 255 années auparavant.




"Vies Parallèles" de Plutarque

Edition parisienne de 1844

Ci-dessous la liste chronologique des opéras consacrés au roi Tigrane, dans l'ordre suivant : nom du compositeur suivi de celui du librettiste, ville et date de la première représentation et nom du théâtre.

ALBINONI Tomaso (1671-1752), livret de Corradi Giulio Cesare. Venise, Carnaval 1697,  Teatro San Cassiano.

BONONCINI Antonio Maria (1677-1726),  livret de Bernardoni Pietro Antonio. Wien, 25/07/1710, Teatro della Favorita.

SCARLATTI Alessandro (1660-1725), livret de Lalli Domenico. Naples, 16/02/1715, Teatro San Bartolomeo.

VIVALDI Antonio Lucio (1678–1741), livret de Silvani Francesco. Hamburg, 05/05/1719, Theater am Gänsemarkt.

HAENDEL Georg Friedrich (1685–1759), livret de Lalli Domenico et Haym Nicola Francesco. London, 27/04/1720, King's Theatre (opéra "Radamisto").

HASSE Johann Adolf (1699-1783), livret de Silvani Francesco. Naples, 04/11/1723, Teatro San Bartolomeo.

PAGANELLI Giuseppe Antonio (1710-1763), livret de Silvani Francesco. Venise, 10/02/1733, Teatro San Angelo.

SANTO LAPIS (1725-1764), livret de Silvani Francesco. Prague,1738, Sporck's Theatre.

ARENA Giuseppe (1713-1784),  livret de Silvani Francesco.Venise, 18/12/1741, Teatro San Gio Grisostomo.

GLUCK Christoph Willibald (1714-1786), livret de Silvani Francesco. Crema, 26/09/1743, Teatro Pubblico.

PALELLA Antonio (1692-1761), livret de Silvani Francesco. Naples, 04/11/1745, Teatro San Carlo.

LAMPUGNANI Giovanni Battista (1708-1788), livret de Silvani Francesco. Venise, 10/05/1747, Teatro San Angelo.

CARCANI Giuseppe ( ), livret de Silvani Francesco. Mailand 02/1750, Teatro Ducale.

* Diverse.   Livret de Silvani Francesco. Genua, Gênes, aut 1750, Teatro San Agostino.

* Diverse. Livret de Silvani Francesco. Lepzig, 1751.

* Diverse. Livret de Silvani Francesco. Hamburg, 04/05/1752, Oper bei Gänsemarkt.

* Diverse. Livret de Silvani Francesco. Venise, 07/05/1755, Teatro San Samuele.

CELONIAT Ignazio (1740-1784), Livret de Silvani Francesco. Pesaro, Carnaval 1757,  Teatro del Sole.

PICCINI Nicola (1728-1800), Livret de Silvani Francesco. Turin, Carnaval 1761,  Teatro Regio.

TOZZI Antonio (1736-1812), Livret de Silvani Francesco. Venise, 19/05/1762, Teatro San Angelo.

COLLA Giuseppe   Livret de Silvani Francesco. Parme, Carnaval 1767, Teatro San Angelo.

Diverse (Guglielmi (1728-1804), Lambugnani), Livret de Silvani Francesco. London, 27/10/1767, Hay Market.

? . Livret de Silvani Francesco. Florence, 26/12/1770, Teatro della Pergola.

* Diverse. Livret de Silvani Francesco. Genua (Gênes), 1782, Teatro San Agostino.

RIGHINI Vincenzo (1756-1812). Livret de Filistri Antonio. Berlin, 20/01/1800,  Königliches Opernhaus.

* Diverse

Aux 17e et 18e siècles en Europe occidentale existait une tradition d'écriture musicale appelée "pasticcio", oeuvre résultant de la coopération de plusieurs musiciens.


Gravure du Roi Tigrane,
Paris 1681
Le fait de la création de plus de vingt opéras "Tigrane" dans une période de temps d’un peu plus d'un siècle, souligne la popularité du monarque arménien dans les différents milieux, en particulier artistiques, de l'Europe.

Gravure du Roi Tigrane,
Amsterdam 1690

Portrait réalisé par 
Stéphane Torossian
(procédé informatique)