Evolutions politico-sociétales et arabo-musulmanes en France :
quelles stratégies turco-négationnistes à l'encontre de la reconnaissance du Génocide arménien ?

  • par Nil V. Agopoff _

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Texte en cours de rédaction (Paris, le 26 Juin 2006) :
en correction orthographique avec la page Lexilogos et en amélioration avec le dictionnaire analogique,

Le 25 juin 2006, à l’occasion de la commémoration du 90ème anniversaire de la bataille de Verdun, le Président de la République a rendu hommage aux soldats musulmans morts pour la France entre 1914 et 1918. "Le sacrifice ultime de ces hommes nous engage" a dit le Président de la République en ajoutant «L’armée de Verdun, c’était la France dans sa diversité».[*01] Au delà des mutismes pendant des décennies sur les drames de la chair à canon en premières lignes au front et sur les promesses coloniales non tenues par la suite, une telle considération officielle si tardive au niveau du chef de l'Etat, confirme encore une fois l'évolution historique de la société française.

Cette cérémonie nous renvoie à une autre, un peu plus de trente ans auparavant, le 20 mai 1973, toujours à l'Ossuaire de Douaumont, dans une cérémonie de moins importance où était inaugurée en présence du Ministre des Anciens combattants, une plaque Commémorative au nom des villes arméniennes de Sis & Van. Cette plaque couvrait un coffre emmuré contenant des ossements provenant du mausolée de la ville Deir er Zor en Syrie où furent exterminées des dizaines de milliers de victimes innocentes du Génocide arménien de 1915[*02] : un génocide impuni qui a fait dire à Hitler peu avant l'invasion de la Pologne en 1939 : "Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens?".[*03]

Nature et importance du négationnisme turco-politique

Le Génocide arménien de 1915, qui a été reconnu publiquement par la France en janvier 2001, a fait l'objet grâce a une niche parlementaire socialiste, d'une proposition de loi pénalisant son négationnisme.[*03] Comme nous le savons, le 18 mai 2006, le débat à l'Assemblée nationale suite à des manoeuvres dilatoires discriminatoires fut reportée par le Président de l'Assemblée nationale et laissant une impression de deux.poids.deux.mesures en démocratie parlementaire.[*04]

Ce négationnisme à l'encontre du Génocide de 1915 existe cependant en France. Il est de même importance que le négationnisme à l'encontre de la Shoah
. s'il n'y avait pas eu de loi Gayssot,
. et si l'Allemagne actuelle n'avait pas reconnu les crimes nazis (qui seraient restés impunis)
tout en sachant en plus que cette Allemagne
. aurait consacré un budget d'Etat pour faire ré
écrire l'Histoire
. aurait annexé les Sudètes comme une région historiquement allemande
. aurait conditionné sa population à un mensonge d'Etat pendant des décennies
. et aurait cherché par un chantage économique à imposer son négationnisme.
et c'est ce qui se passe malheureusement avec la Turquie d'aujourd'hui dans sa candidature à l'Union européenne.

Le négationnisme d'un génocide n'est pas une simple opinion historique à l'occasion d'une conversation : cela va au delà d'une incompétance historiographique ou d'un manque de rigueur professionnelle. Le négationnisme n'est pas seulement une imposture intellectuelle, c'est vouloir tuer une deuxième fois. Il fait perdurer les ravages du génocide qui a brisé la chaine de transmission humaine. La Mort, ce chainon naturel qui relie une génération à l'autre, a ete chassée et remplacée par le meurtre prémédite. Les victimes déshumanisées mourant dans l'anonymat, sans sacrement religieux, sans laisser de traces, deviennent des fantômes : ces fantômes errent dans l'Inconscient collectif jusqu'à la reconnaissance de l'Etat héritier, une reconnaissance officielle qui tiendra lieu d'enterrement symbolique.
[*05]

Le négationnisme va au-delà d'une attaque contre les descendants de rescapés du Génocide de 1915 -qui sont des citoyens français à part entière. C'est une atteinte inacceptable à la personne en tant que membre de la communauté humaine. Il est important de dénoncer les dénis de génocide qu'on cherche à banaliser. Juridiquement, de tels dénis sont réellement une "négation comme atteinte à l'ordre public et, plus fondamentalement encore, au droit au respect de la dignité humaine dans sa portée collective ; c'est-à-dire un droit qui exprime la solidarité entre les humains et fonde le principe même de leur égalité. Un droit dont la reconnaissance mérite protection." [*06]

Vide juridique et absence de travail de Mémoire face à l'offensive turco-négationniste

Cette proposition de loi va combler un vide juridique en France qui encourage un négationnnisme agressif prennant parfois la forme d'actes racistes anti-arméniens contre des personnes ou des mémorials -comme ce fut les cas à Valence ou à Lyon. [*07] Ce vide juridique permet aussi régulièrement un négationnisme rampant par la désinformation politico-médiatique en écho avec le négationnisme officiel de l'Etat turc. Faut-il rapppeler que la Turquie avec un vernis laïc est avant tout un Etat laïciste qui a la mainmise bureaucratique sur la religion musulmane par son ministère des Cultes [*08] : un pays ayant supprimé le Califat en 1924 pour qu'un jour, en non-dit, un Calife ne puisse pas reconnaitre ce crime contraire à l'islam. [*09] S'en tenant à l'islam des Janissaires -un islam vidé de sa spiritualité première arabe- la Turquie conditionne sa population d'un mensonge d'Etat, niant le crime en glorifiant le kémalisme : une idéologie officielle ultra-nationaliste justifiant ses exactions à l'encontre des Kurdes, banalisant les violations des droits de l'Homme dénoncés par les démocrates turcs et les ONG internationales. [*10]

Cette future loi est nécessaire en France, elle sera comforme à la République comme l'est la loi sur la laïcité : sachant que comparaison n'est pas raison. Avec une composante musulmane commune intervenant dans les deux débats, il y a cependant ici deux lois portant sur deux héritages de nature différente et en moralités totalement éloignées l'une de l'autre :
. dans le premier cas la loi est de nature pénale et il s'agit d'un crime imprescriptible dénié par un Etat-nation dans une idéologie auto-bétonnée depuis plus de 80 ans,
. dans le deuxième cas la loi est de nature administrative et il s'agit surtout d'un problème liée à une tradition vestimentaire de la civilisation arabo-islamique en regard avec la laïcité républicaine. [*11]

L'existence de la loi sur la pénalisation du négationnisme du génocide de 1915 ne suffira pas. Sous l'égide du Haut-Conseil à l'Intégration qui dépend du Premier Ministre, les associations franco-turques devront entreprendre auprès de leurs membres tout un travail de mémoire nécessaire
. pour une connaissance de la véracité du crime de 1915 inconnue en Turquie [*12]
. et surtout pour comprendre les effets psycho-sociologiques dévastateurs à cause du déni de 1915. Ces effets se manifestent en des psycho-rigidités agressives ou des obséquiosités sophistiquées : des manifestations négationnistes qu'on peut trouver éventuellement -mais ponctuellement- dans la nation allemande ayant fait justement ce travail de mémoire sur les crimes nazis.

C'est ainsi que le 17 décembre 2004, dans une conférence de presse à Bruxelles, le Président Jacques Chirac, a demandé à la Turquie de faire un travail de Mémoire.[*13] Cependant, le Président de la République, a-t-il demandé également à son Premier Ministre de donner des directives au Haut-Conseil à l'Intégration conviant les associations turques de France de faire ce travail de Mémoire ? [*14] Car si le Haut-Conseil à l'Intégration a travaillé sur l'islam, il lui est tout à fait possible de le faire également sur les conséquences négatives du déni -pour ne pas dire destructrices- dans les relations humaines qui doivent être conformes à la Loi.

L'incursion turco-négationniste dans la question arabo-musulmane de France

Ce travail de Mémoire n'a pas malheureusement été fait en France et aujourd'hui le négationnisme turc agit ouvertement dans le champ politque : preuve en est l'emprise négationniste sur la municipalité de Valentigney dans le Doubs qui a demandé d'enlever des photos du génocide arménien dans une exposition de photos.[*15] Il est à craindre aussi que l'offensive négationniste de l'Etat turc dans le champ diplomatique que l'on connait, se manifeste maintenant en téléguidé dans la communauté arabo-musulmane de France : la Turquie ayant en effet une expérience historique de quatre siècles de dominations et de manipulations coloniales des pays arabes. [*16]

En France, il y a un terrain favorable sachant les nombreux problèmes socio-culturels des banlieues. Nous savons qu'il y a du chomage, des pertes de repères traditionnels -encore en répercussion des déstructurations coloniales-[*17] des difficultés d'intégration aux nouvelles références, des discriminations quotidiennes, de manque de visibilités médiatiques, etc., etc. Il y a en plus des ignorances en connaissances historiques sur 1915, sur l'Arménie, sur l'Empire ottoman et sur le Machrek arabe. Il y a aussi des ignorances pour les franco-maghrébins dans la connaissance de leur propre religion musulmane au point de se réduire pour certains à une religiosité limitée ou lacunaire qui n'a rien plus à voir avec la foi dans l'islam -l'islam qui a donné la civilisation arabo-islamique dont on peut voir de très beaux exemples à l'Institut du Monde arabe et bientôt à la Cour Médécis du Grand Louvre.[*18]

Dans ces conditions, à l'instar de la fuite en avant dans l'islamisme ou la délinquance, il est à craindre qu'il peut y avoir une nouvelle fuite en avant pour des jeunes fragilisés, frustrés et manipulés : cette fois-ci dans un champ d'actions à l'encontre de la reconnaissance du Génocide arménien, des actions encouragées par le négationnisme turc organisé et offensif. De plus lors de sa visite officielle à Alger à la fin du mois de mai, le Premier Ministre de l'Etat turc, Recep Erdogan reçut le soutien manifeste du Président algérien Abdelaziz Bouteflika contre la reconnaissance du Génocide arménien.[*19] On espère qu'un tel encouragement présidentiel ne présagera pas des comportements négationnistes parmi des franco-algériens à l'encontre du Génocide arménien.

C'est pourquoi, les descendants des rescapés du Génocide de 1915 attendent un geste fort des dignitaires islamiques de France condamnant ouvertement et fermement le négationnisme du Génocide arménien[*20] : d'autant plus que l'Eglise apostolique arménienne dans la personne de Sa Sainteté le Catholicos Aram Ier entretient un dialogue amical très riche avec les dignitaires du Monde arabe et perse.[*21] Il faut signaler aussi que les Arméniens du Moyen-Orient vivent depuis des siècles en très bon voisinage avec les Arabes et que même le représentant de l'Autorité palestinienne à Londres est un arménien.[*22] Le Conseil français du culte musulman tarde à prendre position sur le Génocide arménien et sur son négationnisme alors que les différentes autres autorités religieuses de France l'ont déjà fait. D'autant plus que CFCM a été créé sous l'égide du Ministère de l'Intérieur et faut-il le rappeler toujours que le Génocide de 1915 est reconnu par la Loi française.

Il arrive d'ordinaire qu'il y confusion entre islam et Génocide de 1915. Cette confusion est souvent suscitée par ignorance, par simple paresse intellectuelle, souvent par résumé réducteur en raison de l'actualité internationale au Darfour ou en terrorisme islamiste ou encore par réaction idéologique en eurocentrisme. Il est vrai que le Djihad avait été proclamé en 1914 par le Gouvernement Jeune-Turc qui l'a instrumentalisé[*23] : en rappelant en plus que le sultan sanguinaire, Sultan Hamid II [qui était islamiste et qui avait avait organisé des massacres de plus de 200.000 Arméniens dans les années 1892-94], n'avait pas osé faire une telle proclamation politico-religieuse[*24]. La confusion génocide-islam serait ressentie comme une injustice par les franco-maghrébins : comme si on confondait le christianisme et le génocide des autochtones des Caraïbes par les Espagnols au XVIème siècle.[*25] D'autant plus que les Arabes à l'époque du génocide, malgré une situation critique d'une occupation ottomane oppressive et répressive,[*26] ont sauvé les survivants arméniens d'une mort certaine dans le désert. [*27] Il faut rappeler à cet égard, le firman de l'émir Husayn Ibn Ali de la maison des Hachémites, chérif et gardien des Lieux Saints de La Mecque, demandant aux musulmans de protéger les survivants arméniens.[*28]

Une telle confusion entre Génocide de 1915 et islam incriminant ce dernier, véhiculée inconsciemment (ou consciemment) par les médias par manque de précisions (ou par omission intentionnée), est ressentie à juste titre par les Francais d'origine arabe comme un abus. Sachant en plus,
. qu'il n'y ait pas une loi pénalisant le négationnisme du crime de 1915 sous prétexte qu'il ne faut déplaire à la Turquie qu'on cherche à présenter comme "un pays européen laïc" [*29]
. et qu'il y ait seule la loi sur la laïcité, [*30]
cela sera perçu par les citoyens français d'origine arabe comme une discrimination supplémentaire
à leur encontre.

Comme si de rien n'était, il se crééra encore une situation de deux-poids-deux-mesures, sachant d'autant plus
. que la civilisation arabo-islamique a apporté à la culture médiévale en France par transmissions de textes de philosophes grecs grace à leurs traductions en arabe, par la philosophie arabe d'Averroès enseignée à Avignon, par la fondation de la plus ancienne Université de France avec la Faculté de Médecine à Montpellier, etc. [des faits culturels importants occultés par la bataille de Poitiers mise en exergue dans le cadre de l'Empire colonial français de la IIIème et de la IVème République][*31]
. et que leurs aïeux maghrébins ont combattu pour la France pendant la Première Guerre mondiale mais aussi pendant la Deuxième Guerre mondiale, un épisode historique rapporté récemment au grand public par un film primé au Festival de Cannes. [*32]

En votant cette proposition de loi pénalisant le négationnisme, la situation sera clarifiée pour la communauté franco-musulmane et évitera tout amalgame.

Engagements de la France et ses abandons

De plus, il y aura une rupture de la France avec son passé de silence complice avec la Turquie négationniste -une complicité qui a commencé en 1921 au nord de la Syrie, en Cilicie, par l'abandon des réfugiés arméniens sur place aux bandes armées turques[*33] : la France préférant ses intérêts politico-économiques avec la nouvelle république kémaliste. Cela est d'autant plus malheureux que la France
. avait appellé en 1918 les survivants arméniens des massacres et des déportations de 1915 à retourner en Cilicie [*34]
. et qu'au paravent la France avait qualifié publiquement par sa déclaration du 24 mai 1915 que les nouveaux crimes de la Turquie étaient "des crimes contre l'humanité et la civilisation" (sic dans le texte) et qu'elle s'engagerait à punir les criminels une fois les hostilités terminées.[*35]

Cette nouvelle République de Turquie faisait son irruption dans la scéne internationale après celle de l'Unon soviétique. Les Alliés voulaient surtout faire de cette nouvelle Turquie un allié supplémentaire dans le Cordon sanitaire contre la nouvelle Union soviétique presentée comme un péril menaçant l'Occident. Evacuant les complications diplomatiques, les Alliés en attitude de bon Ponce Pilate, préférèrent les tractations internationales qu'à une demande juridique vite
oubliée auprès du nouveau régime. Ce dernier avait en plus donné aux anciens criminels des postes importants dans la machine politique de l'Etat. La France devait reprendre sa place privilégiée en Turquie qu'elle avait avant la Grande Guerre[*36] : d'autant plus que la Révolution kémaliste se réclamait de la Révolution française.

Problématique turco-négationniste en inconscience :
parcours anthropologique angoissante en héritage historique

Lors du débat avorté du 18 mai dernier à l'Assemblée nationale,[*37] le Ministre des Affaires étrangères rappelle à juste titre que la Révolution kémaliste se réclamait de la Révolution française. Cependant le Ministre occulte le fait qu'il y a eu des distorsions importantes à cette revendication symbolique. Ainsi la Republique kemaliste falsifira officiellement l'Histoire :
- la formule "Nos ancêtres les Gaulois" sera transposée en "Nos ancêtres les Hittites" -comme si les Américains se réclamaient les descendants des Peaux-Rouges après un écart de deux mille ans
- en 1927, le ministère de l'Education turc traduit et publie une fiction de H.G. Wells "La grande mer intérieure en Eurasie" ;
- des surenchères linguistiques ont lieu dans les années 30 par la théorie de la langue-soleil qui serait à l'origine de toutes les langues du monde et une brochure est imprimée en 1931 destinée aux enseignants sur l'antériorité des langues touraniennes en Europe
- quatre volumes d'histoire retouchés par Atatürk lui-même (1931)
- 1er Congrés d'histoire en Juillet 1932 : Lignes générales de l'Histoire turque (600 pages) amplifiant le rôle des Turcs dans l'islam, glorifiant la race turque, etc., la migration des Turcs jusqu'en Irlande, les migrants turcs porteurs de techniques civilisatrices face aux peuples autochtones misérables (Chinois, Egyptiens, etc).[*38]

Avec une telle expérience ethnocentriste à vouloir dénaturer jusqu'à la linguistique, avec des tromperies officielles à l'égard de son propre peuple, on peut concevoir avec quelle aisance l'Etat turc actuel fabrique aujourd'hui des falsifications historiques sur le Génocide de 1915 pour la diplomatie internationale.[*39] Mais ce qui est important de saisir, c'est qu'à l'époque kémaliste, la nation turque qui avait été fanatisée pendant les dernières décennies de l'Empire, était toujours imprégnée d'une présence de souvenirs peuplés de massacres et d'horreurs. Toute la population arménienne n'avait pas été déportée par des chemins retirés : on a aussi massacré au coin de la rue d'un quartier, on a jeté les nourrissons dans les rivières, on a enterré vivant des gens et la terre remuait encore deux jours après, on a fusillé les hommes aux portes des villes, les rivières charriaient des cadavres, etc., etc.. [*40]

Dans cette vision de cauchemars de 1915, il faut rappeler qu'auparavant, la population turque s'était anthropologiquement formée pendant trois siècles au détriment des populations autochtones chrétiennes en turquifiant les jeunes garçons et les jeunes filles arrachés à leur famille par un impôt sur le sang, "le devchirmé ottoman". [*41] Une fois les hostilités terminées, il fallait faire face consciemment ou inconsciemment aux souvenirs sanglants de 1915 qui encombraient les Turcs par la force des choses. En plus cette situation déjà macabre par elle-même, était en agression profonde avec les racines autochtones non-turcomanes oubliées ou occultées. Il fallait "tourner la page" si on puit dire, s'engager dans une "thérapie" de fuite en avant culturelle, construire une histoire mythique essayant de neutraliser ces années génocidaires et mortifaires en y mettant une chape de plomb. C'est aussi pour ces raisons non-dites, que le nouveau regime a choisi l'alphabet latin et le costume européen.[*42] Tout cela explique les réactions négationnistes virulentes de nationalistes turcs d'aujourd'hui quand on parle de génocide -des nationalistes en problématique inconsciente et angoissante d'un héritage historique et d'un parcours anthropologique.[*43]

Construction d'une non-existence du Génocide de 1915 -en apartheid de la Mémoire

Toujours lors du débat du 18 mai dernier à l'Assemblée nationale, on retrouve encore une fois l'expression "les intérêts de la France" dans le discours du Ministre des Affaires étrangères s'opposant à la proposition de loi et parlant en plus de "parténariat durable" avec la Turquie : le Ministère de l'Industrie et du Commerce exterieur ayant en plus à cette occasion rédigé un document qu'il a fait circuler pour peser sur le vote du 18 mai à l'Assemblée nationale.[*44] Mais faut- il rappeler qu'il s'agit ici de crime contre l'Humanité imprescriptible : son négationisme rend le crime passé toujours actuel et est par lui-même un crime également. Un génocide ne se négocie pas et il est troublant de remarquer ce procédé de vouloir éclipser absolument le négationnisme du génocide de 1915 pour des raisons économiques. C'est une façon d'occulter le crime qui rappelle étrangement en d'autres temps, celle s'appliquant à la Traite négrière et l'esclavage : pour des raisons également économiques !

Le débat sur le négationnisme n'est pas celui d'un différend historique et régional arméno-turc comme voudrait le présenter le Gouvernement français ou les eurocentristes en général.[*45] Il concerne l'Humanité toute entière et en particulier le peuple français dont ses représentants à l'Assemblée nationale ont reconnu le Génocide arménien par deux fois et à l'unanimité.[*46] Une loi a été votée au Parlement, signée par le Président de la République et est inscrite dans la Loi française.[*47] Cette loi de la Loi est mise ainsi en sourdine par la caisse de résonance politico-médiatique en écho aux marchands du Temple en relation commerciale avec l'Etat turc. La caisse de résonance est réglée sur des fréquences discriminatoires au service aussi des marchands de canons d'aujourd'hui -qui sont les marchands d'esclaves d'hier. Une loi de la Loi se touvant anesthésiée, la Loi risque alors de se muter en fossil symbolique et l'Insconscient collectif français de s'en trouver affecté par carence.[*48]

C'est ainsi que l'on retrouve cette carence jusque dans l'espace académique d'où René Rémond essaie de construire une non-existence du Génocide de 1915[*49] : en utilisant la logique turco-négationnistes affirmant l'absence de preuves concernant l'intentionalité d'exterminations, de renvoi à une commission d'historiens, etc, etc.... En fait, l'académicien René Rémond -qui est aussi directeur de l'Institut des Etudes politiques[*50]- avec sa sémantique d'affirmations sans fondement, ses escamotages ou ses mises à l'écart de témoignages de l'époque[*51]. René Rémond fait preuve de révisionnisme dans un négationnisme rempant et cherche à camper le Génocide de 1915 dans un apartheid eurocentriste de la Mémoire. C'est le même apartheid de la Mémoire où l'académicien cherche à installer la Mémoire de la Traite négrière et de l'esclavage.

Les temps changent...

Les temps changent avec la diffusion des connaissances par internet et les autres techniques modernes de communications. La récente ouverture du Musée du Quai Branly où les Arts premiers[*52] sont réhabilités et enfin consacrés, semble marquer la fin des mutismes de l'ère du post-coloniale. Il n'est plus possible "d'oublier" l'histoire des Tirailleurs sénégalais qui ont participé à la Libération de la France.[*53] Il n'est plus possible de faire taire les savants d'Afrique qui interpellent la communauté scientifique au droit identitaire des objets d'art spoliés et rafflés pendant la période coloniale[*54] : des oeuvres d'art africain qui ont inspiré beaucoup de peintres modernes qui n'ont pas manqué de leur rendre hommage.[*55] Il n'est plus question de laisser à la périphérie les ultra-marins -qui se revendiquent comme descendants d'esclaves[*56] : ils combattent les discriminations et le racisme, ils réclament le droit à la visibilité, ils défendent leurs identités créoles et métisses, ils militent contre l'escamotage officielle de la mémoire des anciens antillais ou guyanais comme Gaston de Monnerville, le Général Dumas, Toussain Louverture, etc.[*57]

Dans ce contexte, l'Année de l'Arménie 2006-07 qui a été instaurée par le Président de la République Jacques Chirac et son homologue arménien il y a deux ans,[*58] va non seulement mettre en valeur les relations historiques et culturelles avec la France profonde [*59], mais aussi avec les différents peuples d'où proviennent les composantes de la France multi-ethnique.[*60] Cette évolution sociologique de la France l'a ainsi amenée à mettre l'importance sur le Vivre Ensemble avec toutes ses composantes : dans un respect de sa diversité originaire de tous les continents.[*61]

Ce respect de la diversité des origines, nous la retrouvons dans l'inauguration du Musée du Quai Branly -cette belle institution sur les civilisations premières- voulant faire la promotion du dialogue entre les cultures et ayant été réalisée sous l'impulsion du Président de la République[*62]. Cependant il faudra dire que la France ne pourra jamais prétendre être authentiquement à l'avant-garde de cette ouverture envers les peuples non-européens s'il n'y a pas une pénalisation du négationnisme d'un génocide du peuple arménien : un peuple autochtone qui v
ivait sur ses propres terres avant même la plus Haute Antiquité et qui y a été déraciné par un nettoyage ethnique criminel et organisé ![*63] Sinon, cette instance confirmera encore une fois le "fondamentalisme de l’apparence de l’Occident dans sa conception du monde et de l’autre, voire comme en-soi" selon un site franco-africain critique.[*64]

Pour terminer, tout double langage sur le négationnisme ne fera qu'accentuer le divorce entre les citoyens français et sa classe politique : comme on l'a vu avec le référendum sur la Constitution européenne proposée par la Commission de Bruxelles qui ne fait qu'occulter le négationnisme de l'Etat turc.[*65] Devenant un problème de société, il faut s'attendre que toute langue de bois officielle escamotant en non-dit une loi pénalisant le négationnisme du Génocide arménien, ne fera qu'accroître chaque fois la sinistrose qui se manifeste actuellement dans l'Inconscient collectif français.[*66]

Nil Agopoff

à compléter