Dans le numéro 80 du mois de juillet 2006 de votre magazine consacré au "Dossier Turquie", à la page 31, nous pouvons lire dans l'article "Turquie. Aux portes de l'Europe", dans un article rédigé par Madame Laurence Fleury, le passage suivant :
"...D'autre part, Ankara continue de nier la tragédie arménienne de 1915 : pendant la Première Guerre mondiale, les Arméniens sont accusés de soutenir l'armée russe et de contribuer à son avancée. Ceux-ci se révoltent, massacrent des musulmans et assiègent la forteresse de Van jusqu'à l'arrivée des Russes. En représailles, le gouvernement ottoman commence à déporter la population. Des centaines d'Arméniens sont exécutés, d'autres déplacés vers la Syrie dans des conditions épouvantables. Aujourd'hui encore, ces tragiques événements demeurent un sujet brûlant : les Arméniens ayant survécu accusent le gouvernement turc d'avoir commis un génocide : 1,2 à 1,5 million de leurs compatriotes auraient été tuées entre 1915 et 1923. Mais ce dernier rejette toute responsabilité et nie le crime organisé.
En dépit de tout cela, la Turquie bouge..."
Ces lignes, en mettant en présence deux thèses, diffusent le doute que la Turquie cherche de toute évidence à imposer dans les esprits par tous les moyens. De plus, à la page 52 de votre revue, dans l'encadré "Librairie en ligne", vous indiquez quatre adresses de sites webs . Un de ces sites [(*1)] met dans sa page d'accueil le logo clignotant du site "têtedeturc.com".[(*2)] Ce site ouvertement négationniste qui propagent des falsifications historiques, dans l'anonymat, est connu pour sa virulence au point d'être classé comme raciste par la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme.[(*3)] Enfin à la page 54, vous publiez une courte chronologie en encadré qui comporte une omission sur 1915. Or, le génocide arménien fut un événement non seulement très important dans l'histoire de la Turquie elle-même, mais également pour toute l'Humanité. Ces lignes tendent ainsi à réduire ce fait historique majeur à l’évocation d’une répression "policière" à l’encontre d'une révolte d’ Arméniens accusés de "massacrer des musulmans", alors même qu'il s'agissait d'actes de légitime défense de la part des Arméniens contre les sévices de l'armée ottomane.[(*4)]
Faut-il rappeler qu'en 1915, il y eut préméditation d’un crime de masse délibéré selon une planification organisée par les ministères et les préfectures, et exécuté par les gendarmes et des « troupes » spéciales recrutés parmi d'anciens prisonniers de droit commun. Ce crime d’Etat par la déshumanisation innommable qu’il représente hante encore aujourd’hui l'inconscient collectif des populations qui habitent la région, non seulement parmi les Arméniens rescapés, [(*5)] mais aussi parmi les Turcs[(*6)] et les Arabes qui ont été des témoins proches des massacres des déportés [(*7)]. C'est pourquoi le négationnisme opère comme s’il voulait tuer une seconde fois par ses mensonges les porteurs de toute cette mémoire.
Chercher à banaliser ou à minimiser ce génocide, parce qu'étant perpétré à la périphérie de l'Europe, à le réduire à l’aspect affectif d'une "tragédie" régionale, en le vidant de tout son sens organisationnel, c'est vouloir l’escamoter par une construction sémantique de non-existence. Est-ce que par de telles stratégies rédactionnelles, votre magazine aurait agi de la sorte en ce qui concerne la Shoah en noyant ce crime dans un flou artistique, à en faire la conséquence de l'incendie du Reichstag et à occulter les crimes nazis et leur idéologie raciste sous prétexte de révolte ? Ou bien encore, en cherchant à minimiser la Traite négrière et l'esclavage pour les écarter de notre vue, votre magazine pourrait tout aussi bien évoquer le fait que les ancêtres africains des Antillais étaient venus sur les Iles Caraïbes dans les conditions, somme toute, de contrats de travail ? Et d’ajouter, dans ce genre de conversation de salon, que l'on ne sait pas trop pourquoi les peuples autochtones précolombiens des Caraïbes ont disparu ?
Ces exemples comparés montrent à quel point ces méthodes révisionnistes sont inacceptables et révoltantes. Cette forme de négationnisme rampant et pervers est insoutenable. C'est une "négation comme atteinte à l'ordre public et, plus fondamentalement encore, au droit au respect de la dignité humaine dans sa portée collective, à savoir un droit qui exprime la solidarité entre les humains et qui fonde le principe même de leur égalité."[(*8)] Madame Laurence Fleury propage indirectement le négationnisme officiel de l'Etat turc et les lignes qu’elle a écrites sont juridiquement contraires à la loi française du 29 janvier 2001 qui proclame que "La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915".[(*9)]
Pour réparer ce déplorable et inadmissible passage, nous demandons un texte additif rectifiant les lignes de Madame Laurence Fleury. Ce texte doit être envoyé à vos abonnés et être distribué par courtage pour être ajouté aux magazines déjà en rayonnage. Sinon, les descendants de survivants du Génocide de 1915 en France qui sont en très grande majorité citoyens français, feront en famille des piquets d'information devant chaque point de vente de presse de leur quartier. Il faudra prévoir qu' il y aura des sittings devant vos bureaux à Grenoble. Il faut savoir qu'il y a un peu de Martin Luther King dans chacun des descendants de rescapés de 1915 : à force d'endurer des désinformations discriminatoires banalisées par un milieu qui se veut "culturel".[(*10)] Ces désinformations ne manquent pas d'être ainsi relayés par des médias eurocentristes favorables à la candidature de la Turquie à l'Union européenne - en occultant le négationnisme d'Etat de ce pays.[(*11)]
Nous vous invitons sincèrement à consulter ces deux sites de qualité sur le Génocide arménien : "Imprescriptible.fr" (site de base documentaire) et "Petite Encyclopédie du Génocide Arménien" (site de mise en fiches) [(*12)] : des sites qu'il faudra signaler dans votre texte rectificatif à publier aussi dans votre prochain numéro. Nous vous convions à présenter vos excuses auprès du CCAF, le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France. Les lignes de Madame Laurence Fleury insultent en effet la mémoire d'un million et demi de victimes innocentes exterminées pendant le Génocide dc 1915 -un génocide resté impuni qui a fait dire à Hitler en 1939 : "Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens ?".[(*13)] Ce génocide est un crime imprescriptible et il n'est pas exclu qu'il y aura aussi des informations citoyennes envers les différents annonceurs de votre magazine.
Enfin pour terminer, il faut signaler qu'il y a une absence totale de référence au fait que ces territoires nommés "Anatolie orientale" étaient l'Arménie historique.[(*14)] Ainsi en parlant des fresques de la célèbre église Akhtamar (p.50), il est dit "dans des temps reculés" comme si cette église avait été abandonnée il y a 10 siècles ! Essayer de gommer un passé arménien récent - qui remonte à la plus haute Antiquité[(*15)] - est un syndrome classique de volonté non-dite de construire et d'instaurer une non-existence du Génocide de 1915. L'exemple d'Akhtamar ne dément pas cette volonté qui existe dans votre "Dossier Turquie". Le texte de Madame Laurence Fleury - avec son vernis de réflexion sur le devenir de la Turquie au point d'instrumentaliser une falsification historique - en est la partie criante.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Rédacteur en chef, l'expression de nos sentiments distingués.
Nil V. Agopoff, chercheur d'applications
http://www.globalarmenianheritage-adic.fr/fr/home.htm