Lettre ouverte aux revues, associations et syndicats en relation avec
le Ministère de l'Éducation nationale
suite à l'interview de Monsieur le Ministre François Fillon
sur la chaine cablée LCI le 9 janvier 2005
  • Madame, Monsieur, le Président,

    Je suis chercheur au Centre de Recherches sur la Diaspora Arménienne, fondé à Paris en 1976 et nous voudrions vous exprimer notre vive préoccupation suite à la déclaration de Monsieur François Fillon, Ministre de l'
    Éducation nationale, le 9 Janvier 2005 sur la chaine cablée LCI.

    En effet, interrogé par la journaliste Ruth Elkrief à propos de la candidature de la Turquie à l'Union européenne, lors de l'Interview au Grand Jury LCI-RTL, Monsieur Fillon déclare

    " ...dans le domaine de l'éducation nationale, j'ai été frappé de voir que depuis très longtemps dans les réunions informelles des ministres de l'éducation nationale, il y a un représentant de la Turquie. Et donc certains de mes prédécesseurs ont dû apercevoir ce représentant de la Turquie dans des réunions précédentes. Donc cette affaire est engagée, il y a énormément de conditions qui doivent être remplies pour que la Turquie adhère réellement à l'Europe, certains pensent que ces conditions ne seront jamais remplies. Moi ce que j'ai simplement voulu dire en m'exprimant comme je l'ai fait, c'est que l'objectif principal de l'Union Européenne, c'est la paix sur le continent européen. Et on ne peut pas vouloir construire la paix sur le continent européen et refuser de parler avec la Turquie, c'est incompatible."

    La Turquie consacre un budget d'Etat pour (faire) réécrire l'Histoire. Elle met sa diplomatie à l'échelle mondiale au service d'un négationnisme officiel du génocide arménien de 1915. Or, la France a publiquement reconnu le Génocide de 1915 par la Loi. On ne peut que s'interroger sur la présence de ce représentant turc à ces réunions informelles du Ministère de l'Education nationale. Il y a une inconséquence de la part des différents ministres de l'Education nationale depuis le 29 Janvier 2001, date de signature par le Président de la République de la loi votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale.

    S'il s'agit de vouloir construire la paix sur le continent européen en ne refusant pas de parler avec la Turquie comme veut bien l'évoquer Monsieur François Fillion , faut-il rappeler que la Paix ne peut se faire sans Justice. Or il y a eu impunité du crime, il n'y a pas eu de procès international de Nuremberg pour les Arméniens et il n'y a pas de réparations. C'est ainsi que Hitler avant d'attaquer la Pologne en 1939, déclarait : "Qui se souvient encore de l'extermination des Arméniens?"

    En 1923, avec les autres signataires du Traité de Lausanne, la diplomatie de la France -la Patrie des droits de l'Homme- s'est rendue malheureusement complice de l'occultation d'une barbarie génocidaire. Ce n'est pas une raison pour qu'aujourd'hui le Ministère de l'Éducation nationale banalise le déni de l'extermination programmée des Arméniens en ayant des réunions informelles avec le représentant de l'État turc négationniste. Serait-il pensable d'avoir de telles réunions avec le représentant d'une Allemagne négationniste qui n'aurait pas reconnu alors la barbarie nazie?

    Cela est impensable et cela nous amène à réfléchir pourquoi une telle approche en deux-poids-deux-mesures à l'égard du crime contre l'Humanité? Faudrait-il alors envisager qu'il y ait en France, une sorte d'apartheid à l'encontre de la Mémoire collective en France -dont certaines composantes seraient tenues dans une ségrégation occultée? Où est alors la véritable conscience du registre universel de l'Humanité au Ministère de la Culture -une conscience qui ne doit pas se réduire à un simple eurocentrisme d'élargissement à tout va?

    Pour ceux qui ne le savent pas, nous rappelons que l'arrivée de la très grande majorité des réfugiés arméniens en France date des années 1925-26. Malgré le traumatisme des années 1915-1922, ils ont été vite un exemple d'intégration réussie et ils ont tenu à participer à la Résistance contre l'occupant nazi. Aujourd'hui les originaires arméniens participent aux efforts de la francophonie en Arménie et dans le Moyen-Orient. Étant une Église orientale, l'Église apostolique arménienne est à l'avant-garde du dialogue islamo-chrétien si important pour la paix dans le monde et chez nous en France. Sachant cela, on est à même de se demander quels sont malheureusement les degrés d'entendement réel chez ces responsables de la politique ou de l'administration qui banalisent leur relation avec l'État turc négationniste : tout en pensant apporter des solutions aux problèmes très actuels de l'intégration?

    Car il s'agit ici surtout du choix d'une politique d'intégration socio-culturelle appropriée ou non, réussie ou non réellement sur le terrain quotidien sociologique et qui concerne les composantes récentes de la société française multi-ethnique. Les associations culturelles des différentes composantes de la société française, sont en situation de se trouver préoccupées à juste titre par une telle approche en deux-poids-deux-mesures : une approche à l'égard d'un sujet aussi crucial qu'un crime contre l'Humanité peut l'être.

    Ainsi l'Inconscient collectif français est en situation de s'en affecter et il n'est pas étonnant d'entendre parler aujourd'hui de "sinistrose dans la société française". Car cette sinistrose actuelle n'a-t-elle pas aussi pour origine une réponse sourde en non-dit à un mutisme -un mutisme complice concernant cette fois-ci une candidature négationniste à l'Union européenne? Cette candidature négationniste étant celle de l'État turc qui continue à violer les droits de l'Homme...

    Le génocide arménien de 1915 est imprescriptible -comme les autres génocides- et chercher à l'occulter revient à vouloir occulter ou minorer les autres crimes contre l'Humanité.

  • Nil V. Agopoff, le 25 Janvier 2005.

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