Avec le récent voyage du Pape en Arménie (*1) la foi, l'éthique, la spiritualité ont prévalu sur le matérialisme ou l'organisation du silence. Le Vatican qui avait déjà reconnu le génocide (*2), l'a confirmé dans un communiqué commun avec le Saint-Siège d'Etchmiadzine en Arménie (*3). Dans sa prière évoquant le "Medz Yéghern", (*4) lors du recueillement au mémorial du génocide de 1915 à Erévan, Jean-Paul II a eu des paroles très fortes, intenses. (*5) Ces paroles redisent que le débat ne se limite pas à un crime territorialisé : il s'agit d'un crime contre l'Humanité.
Par sa haute stature internationale, Jean-Paul II sollicite automatiquement l'Union européenne (*6) mais aussi les autres organisations internationales : l'Unesco (*7), l'ONU (*8), l'Organisation des Etats américains (*9), l'Organisation de l'Unité africaine (*10), la Ligue des Etats arabes (*11), etc.
Mais par sa fonction de chef suprême de l'Eglise catholique avec son milliard de fidèles, la prière de Jean-Paul II interpelle les institutions ou les responsables des autres religions et en particulier ceux de l'islam :
- les associations du dialogue islamo-chrétien (*12).
- les recteurs des différentes mosquées d'Italie, de France, de Grande-Bretagne, d'Allemagne ou des autres pays d'Europe
- les grands dignitaires de l'islam en Turquie et les doyens des Universités turques avec lesquels le Vatican a des relations officielles (*13),
- le secrétaire de l'Organisation de la Conférence islamique et son prochain Président, (*14)
- les grands dignitaires religieux de l'islam en général : le recteur de l'Université d'El Azhaar au Caire, le Gardien des LIeux Saints à la Mecque, les Grands Muftis de Médine et de Jérusalèm, le grand recteur de l'Université Karaouïne de Fez, etc.
La reconnaissance du génocide de 1915 par différents parlements, qu'on voudrait réduire à une considération purement morale, pose une série de problèmes historiques et politiques d'une actualité brulante qui concerne l'ensemble de l'humanité. Ces problèmes ne peuvent être réglés qu'à travers le dialogue entre les cultures. (*15)
Dans ce cadre, le dialogue islamo-chrétien est très important. L'Eglise apostolique arménienne participe à ce dialogue depuis l'origine de l'islam (*16). Avec le monde arabo-islamique, l'Eglise apostolique arménienne a contracté des liens historiques et culturels très anciens et très riches (*17). Le Catholicossat de la Grande Maison de Cilicie à Antélias près de Beyrouth (*18), qui fait partie du Conseil des Eglises du Moyen-Orient (*19), constitue un exemple dynamique de dialogue islamo-chrétien. (*20) Il faut ajouter que le Patriarchat arménien de Jérusalem (*21) forme une entité incontournable parmi les 3 religions de la Ville Sainte et s'enracine dans l'histoire de la Palestine. (*22) En France, les relations cordiales entre le Dr Dalil Boubakeur, Grand Recteur de la Mosquée de Paris (*23) et Mgr Kude Nacccachian, Primat de l'Eglise apostolique arménienne en Europe occidentale (*24), existent. Ainsi la Mosquée de Paris ne manque de manifester son soutien moral à l'Eglise arménienne aux commémorations religieuses du génocide de 1915 qui ont lieu le 24 Avril. Et peut-être, les dignitaires des mosquées de Lyon, de Marseille, de Genève ou de Londres (*25) en font de même...
Une telle interpellation religieuse de l'islam sunnite devrait s'adresser surtout à son chef suprême qui a été institué dès les premiers temps de la religion musulmane : le Calife. Or l'institution prestigieuse et millénaire du Califat a été supprimée en 1924 par la République turque qui n'en voulait plus. Les raisons officielles affichées par la Turquie étaient son souci de "s'européaniser" et de "se moderniser". Ses raisons inavouées ou inconscientes étaient surtout d'enterrer le jugement des criminels en 1919 (*26) qui avait eu lieu selon la loi islamique encore en vigueur à la fin de l'Empire ottoman. Un crime flagrant commis par un gouvernement laïc, le Gouvernement Jeune-Turc, avait été en effet perpétré à l'égard du chrétien dhimmi, c'est-à-dire du chrétien qui devait être protégé -selon un des concepts fondamentaux de l'islam. La suppression du Califat et le Traité de Lausanne (*27) qui occulte le crime contre l'humanité de 1915, sont deux fondements importants sur lesquelles s'appuient le mensonge et le négationnisme de l'Etat turc actuel.
Pour terminer, il faudrait ajouter à propos du maintien de la suppression du Califat (*28), une autre conséquence à long terme : une abscence d'autorité spirituelle suprême de l'islam sunnite, un vide en profondeur et (in)conscient que n'arrive pas à combler à juste titre l'Organisation de la Conférence islamique. Sans vouloir faire un comparatisme excessif, on peut penser à ce qu'il se passerait si l'Eglise catholique romaine avait été privée d'un pape pendant des décennies? Si l'institution papale aussi ancienne et aussi prestigieuse avait été supprimée? Si l'inconscient collectif catholique avait été à ce point mutilé? Les intégristes catholiques n'auraient pas manqué de former leur rang et de sévir...