"Le vendredi 28 février, nous étions une quarantaine de pensionnaires de l'orphelinat à nous rendre à l'école comme chaque matin, au pas cadencé. A Bab-ul-Faradj, nous avons entonné le chant des volontaires arméniens, jusqu'à l'école.
Un quart d'heure environ après le début du cours, des coup de feu ont éclaté de tous côtés. Nous étions en train d'étudier des versets de la Bible avec le professeur Sinan qui courut immédiatement dehors. Nous aussi, nous nous sommes précipités dans la cour. Des voisins nous ont dit que les Arabes étaient excités contre les Arméniens et qu'ils commençaient à les massacrer. Les élèves qui n'étaient pas orphelins sont rentrés chez eux, les professeurs aussi. Un seul maître est resté avec nous.
Le directeur a fermé les grilles à double tour et nous a fait monter au deuxième étage. On entendait mitrailler, on avait peur. Certains se sont mis à pleurer. Nous sommes restés assis pendant trois heures, pleins d'angoisse.
L'après-midi, nous avons appris que les Anglais étaient intervenus. Deux militaires à cheval se sont présentés au collège pour assurer notre protection. Ils nous ont accompagnés jusqu'à l'orphelinat. Il y avait du sang sur la route et quelquefois des cadavres.
Lorsque nous sommes arrivés, nous avons constaté avec surprise que notre orphelinat avait été entièrement pillé, il ne restait plus ni lits, ni couvertures. Un vieillard avait été brûlé, puis transpercé à coups d'épée, semblait-il. Une femme avait été décapitée. Son corps sanglant était dans le vestibule. C'était horrible.
Dans la soirée, les Anglais ont placé des gardes partout où il y avait des Arméniens. Nous avons appris que beaucoup de maisons avaient été pillées et saccagées.
Les jours suivants, deux cents personnes responsables des massacres ont été arrêtées par les Anglais et envoyées en Egypte. Dix gendarmes arabes ont été fusillés.
La soeur de ma grand'mère paternelle, Iskouhie et son fils Zaven Djezirian sont venus à Alep. Mais la majorité des Arméniens ne voulaient plus y rester, ils avaient peur d'aller au marché. Les commerçants arméniens avaient fermé leurs boutiques. Tout le monde voulait partir, mais il n'y avait qu'un train par semaine pour Adana. Il devint très difficile de se procurer des billets.
Ma mère se résigna à rester. Mais moi j'ai décidé de m'en aller. Cela faisait quatre ans que j'avais quitté ma ville d'Adabazar. Je me suis arrangé avec un copain pour y retourner"