> VI - Histoire > Le XX siècle > Article traduit du Journal Hentchak sur les Jeunes-Turcs et publié en 1908 à Paris (L'Indépendance arabe)
> 163 > 164 > 165 > 166 > 167 > 168 > 169 > 170

  • L'INDÉPENDANCE ARABE - Paris - Rédacteur en chef : Négib Azoury - N° 11-12 Fév-Mars 1908, pp163-170
  • LA TYRANNIE TURQUE ET LES JEUNES-TURCS par S. Sapah-Gulian, Rédacteur du Hentchak
  • article traduit de l'arménien par M. Serge d'Herminy

page 169


disparaître, sur le champ de bataille, mais pour lui-même, pour son compte, son intérêt personnel, jamais pour une autre nation. — Les nations ne sont pas des individus. L'individu peut — si cela lui plaît — sacrifier sa vie pour un corps collectif, mais jamais une nation entière. Celui qui exige de la Nation Arménienne un si grand sacrifice, ne devrait-il pas mettre dans son programme, ne serait-ce qu'un mot, en faveur de son autonomie ? Les "Jeunes" devraient, au moins, avoir ce noble geste, sachant, surtout, que la fin du peuple arménien serait ce que nous avons décrit plus haut, si jamais il voulait les suivre en estimant au-dessus de tout le principe de l'indépendance douteuse et de l'intégrité compromise de l'empire ottoman!

Dans le travail La Jeune Turquie, que nous avons publié en 1899, nous avons démontré la ligne de conduite et la tactique des "Jeunes". Depuis cette époque, ils n'ont pas fait un pas en avant. Il n'y a absolument rien de changé dans leur programme!

®

Nous ne voulons pas nous arrêter sur la Déclaration olla podrida que les congressistes ont publiée ; elle représente sûrement la réalisation du cher désir que les "Jeunes Turcs" caressaient depuis longtemps; mais quelle en sera la conséquence ?

Depuis qu'elle s'est réfugiée à l'étranger la "Jeune Turquie" cherche par tous les moyens à démontrer que la tyrannie du Sultan ne met aucune différence entre l'Arménien, le Turc, le Macédonien et les autres nationalités de l'empire ; que tout le monde souffre de la même persécution, des mêmes vexations, des mêmes spoliations de sorte que le sort du Turc n'est pas plus brillant que celui de l'Arménien ou du Macédonien ! Elle a, de plus, cherché à prouver qu'il n'y a ni question arménienne, ni question macédonienne; que toutes ces questions sont les questions intérieures de la Turquie dont la solution dépend du changement de la personne du Sultan Hamid!...

Admettons que l'on ait emporté une victoire à la Pyrrhus. En faisant signer une telle inexactitude par quelques Arméniens, mais cela changerait il, en quoi que ce soit, les faits matériels, les vérités exactes, puisqu'ils existent et qu'à chaque instant ils crient qu'ils sont là ? !

— Qui est-ce qui prétend que le seul et l'entier responsable des massacres arméniens fut le sultan Hamid ? — Alors toute notre Cause n'aurait jamais dépendue que d'un seul individu? Dans ce cas-là, comment expliquer les massacres de Chios, du Liban, les "Atrocités bulgares"?... Les massacres, comme l'a démontré avec beaucoup d'autorité M. Anatole Leroy-Beaulieu, font partie inhérente du système politique turc. La cause et le facteur responsable des massacres d'Arménie a été le nationalisme turc ; ceci nous l'avons amplement prouvé dans notre travail intitulé : "La politique nationale turque". Le sultan Hamid n'a été qu'un exécuteur de la "politique nationale turque", pourrait-on, tout au plus dire, le principal exécuteur, et c'est tout!

Nous dirons plus :

L'idée de massacre général, pénétrée jusqu'aux os de la populace turque - grâce aux termes " Krarez! Kesserez! " (nous casserons; nous massacrerons!) devenus synonymes des simples plaisanteries populaires - fait partie du programme de la "Jeune Turquie" !

Est-ce faux?

De 1840 à 1850 les meneurs de la politique intérieure

turque étaient les Jeunes Turcs. Rechid-Pacha et ses collègues omnipotents à cette époque dirigeaient les affaires turques ; or, qui est-ce qui ordonna, en ces temps, les massacres généraux, les apostasies forcées, l'imposition de la langue turque? Si ce que nous avançons paraît exagéré, que l'on lise les écrits de M. Victor Bérard !...

Autre chose! Au moment des Atrocités bulgares, Midhad se trouvait à la tête de la politique intérieure de la Turquie!... à qui faut-il attribuer les massacres et les "Krarez ! Kesserez!" de cette époque?!

Non! notre malheur, pas plus que celui des autres, ne peut être attribué à des individus ; et ce n'est point par le changement des personnes que notre Cause trouvera sa solution. — Le soldat turc, instrument direct, a eu une large part dans les massacres arméniens, mais une part non moins importante revient au peuple turc qui massacra les Arméniens dans leurs boutiques ! c'est lui qui après avoir fait subir les derniers outrages aux vierges arméniennes les tua ensuite avec des raffinements satyriques!. C'est lui qui brûla, par milliers, les Arméniens comme des holocaustes!...

Les Jeunes, s'ils étaient francs, auraient le courage de reconnaître tout cela. Ils pouvaient, à la rigueur, s'excuser en alléguant une ignorance, d'ailleurs peu probable, mais jamais disculper le peuple turc et mettre toutes les responsabilités sur le compte d'une seule personne.

Tant pis, donc, si en Turquie un seul individu peut commettre de si monstrueux forfaits! Si un particulier est capable de jouer un si triste rôle dans un pays, inutile alors d'agiter la question de réforme générale pour ce pays ; car dans une nation qui veut se transformer, qui a des nerfs pour s'émanciper, l'individu ne peut point jouer un rôle si parfaitement diabolique !... La preuve par laquelle on veut disculper le peuple turc, démontrer la haute culture de celui- ci, et mettre sur le dos d'un seul l'existence de la question arménienne, tourne justement contre les Jeunes Turcs.

Que disent-ils encore les "Jeunes"? — Que toutes les agitations, que tous les désordres ont pris naissance depuis l'avènement de Hamid !!? - Mais en voilà assez ! nous savons à quoi nous en tenir sur le compte des "Jeunes Turcs"

Quant à la déclaration qui affirme que les souffrances des Arméniens sont semblables à celles des Turcs, depuis trente ans comme maintenant ; que tous les peuples de l'empire, sans distinction, subissent les mêmes persécutions, les mêmes tortures et les mêmes privations, cette déclaration, disons- nous, ne peut être faite que par ceux qui ferment les yeux pour ne pas voir la lumière éclatante

On oblige l'Arménien à s'expatrier, à fuir le sol natal ; on le met dans la nécessité d'abandonner son foyer; l'ordonnance gouvernementale le prive de ses terres, de ses biens et fait passer le tout dans les mains de l'élément turc !... Qui est-ce qui habite dans les villages arméniens dépeuplés??... Sur le conseil de qui?... Par l'arrangement de qui?...

— Autre chose! Tout Turc peut, aujourd'hui, librement circuler sur tout le territoire de l'empire ; un Arménien peut-il faire la même chose? l'élément turc est libre d'aller à l'étranger et d'en revenir peut-il faire la même chose et l'Arménien?...

Les "Jeunes Turcs" n'auraient rien perdu, s'ils avaient la grandeur d'âme et d'esprit de reconnaître la situation toute exceptionnelle faite aux Arméniens, tout particulièrement ! Mais nous ne nous en étonnons pas outre mesure, sachant que le motif qui les pousse à agir ainsi est de prouver d'abord que la Question Arménienne n'a pas de raison d'être

163 - 164 - 165 - 166 - 167 - 168 - 169 - 170

-I.Présentation - II.Arménologie - III.Recherches-Analyses-Approches ADIC - IV.La vie arménienne en diaspora -V.La culture arménienne et l'art- VI.Histoire - VII.Arménie(s) - VIII.Les différents environnements & l'Arménie - IX.Génocide de 1915 et enchaînements politico-médiatiques - X.Inconscient(s) collectif(s), Mémoire(s) et 1915 - XI.Religion(s) et Théologie(s)