> VI - Histoire > Le XX siècle > Article traduit du Journal Hentchak sur les Jeunes-Turcs et publié en 1908 à Paris (L'Indépendance arabe)
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  • L'INDÉPENDANCE ARABE - Paris - Rédacteur en chef : Négib Azoury - N° 11-12 Fév-Mars 1908, pp163-170
  • LA TYRANNIE TURQUE ET LES JEUNES-TURCS par S. Sapah-Gulian, Rédacteur du Hentchak
  • article traduit de l'arménien par M. Serge d'Herminy

page 170


et de l'étouffer, ensuite, dans le projet d'un empire "pan-osmanique"!

Encore une question :

Les "Jeunes Turcs" ont-ils, ces temps derniers, adopté la révolution comme moyen d'action ?


Nous répondrons que les "Jeunes Turcs" ont, de tout temps, eu un grand faible pour la révolution de Palais qui a la forme plutôt d'un' complot de clique que d'une véritable révolution !

Ils n'ont jamais admis, pas plus maintenant qu'autrefois, la révolution dans le sens et sous la forme qu'elle s'est toujours présentée dans tous les pays, c'est-à-dire comme un moyen d'action extrême. Pour nous en convaincre, ouvrons le numéro du 1er février 1908 du Mechveret et écoutons religieusement ce que, dit l'organe du Comité ottoman d'Union et de Progrès. Car sa parole a une signification toute spéciale, étant donné - comme nous l'avons, prouvé plus haut - que le Bureau et le Congrès sans le dire ouvertement sont complètement d'accord sur tous les points du programme de ce Comité. Après avoir fait des observations à l'Humanité et à Pro-Arménia qui avaient dit que les "Jeunes Turcs" avaient dans le "Congrès" adopté tous les moyens révolutionnaires, le Mechveret ajoute:

"...Non, nous n'adoptons aucune des tactiques révolutionnaires, employées sans aucun succès d'ailleurs par certains Arméniens. Nous sommes réunis, non pas pour commettre des folies et des crimes, ni pour créer des prétextes à l'intervention des puissances étrangères, mais pour, réaliser un but noble, utile et profitable à toute la population de la Turquie, et cela par des moyens révolutionnaires qui siéent mieux au tempérament de nos compatriotes. Nous ne sommes ni Français, ni Russes. Ce qui a réussi chez eux ne peut forcément pas être bon chez nous..."

Qu'est-ce que c'est que la Révolution et quelles tactiques faut-il employer pour la produire? Il n'y a pas deux façons d'envisager cette question, mais rien qu'une! et les Révolutions anglaises, américaines, françaises, allemandes et russes ont largement démontré ce que c'est que cette façon unique ; il suffit de s'y intéresser et de l'avoir présent à l'esprit, voilà tout!

Ainsi donc, en employant des termes comme Révolution, tactiques révolutionnaires et d'autres, les "Jeunes" comprennent une toute autre, toute nouvelle chose qui ne s'est jamais souvent vue dans l'histoire de l'humanité. — C'est justement pour cela que nous affirmons que les "Jeunes Turcs" font consister la Révolution dans le changement de la personne du souverain par un simple complot des courtisans. Car, jusqu'à présent, le tempérament de leurs compatriotes n'a jamais osé que cela, pas autre chose!...— Une fois la personne du souverain changée — comme le dit si bien le Mechveret du 1er février 1908 — les séparatistes, les éléments qui ne font point partie de l'Union seront considérés comme des ennemis intérieurs et l'on donnera à ces mécontents la réponse que Midhad donna à la Bulgarie mécontente! C'est à-dire on votera constitutionnellement de noyer dans son sang le révolté!... N'est-ce point l'intention générale, dont la malice est cousue de fil blanc?!..

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Nous allons maintenant tâcher de résumer tout ce que nous venons de dire, dans les points suivants:

1° La tendance des "Jeunes Turcs" est d'étouffer toutes les Causes Nationales, aussi bien celles des Arméniens que celles des autres. Par les termes Parlement, régime représentatif et d'autres qu'ils mettent toujours en avant, ils ne visent que le rétablissement de la Constitution de Midhad persuadés que par l'application de cette Constitution ils assureront la domination complète du nationalisme turc autant que celle de la politique turque, avec toutes leurs conséquences.

2° Les "Jeunes Turcs" ne sont point des Révolutionnaires ; l'idée de l'action en commun, qu'ils poursuivent depuis quelque temps, sera pour eux un moyen presque infaillible de conjurer les soulèvements intérieurs et d'empêcher ainsi l'intervention extérieure.

3° Pour l'action en commun, on ne peut s'entendre avec les "Jeunes Turcs" que le jour où ils voudront, tout en poursuivant l'idée de la rénovation générale de l'empire turc, défendre aussi l'idée d'une Arménie autonome. Car, en ce moment-ci, il y a une incompatibilité absolue entre les civilisations arménienne et turque. Ces deux éléments ne peuvent plus vivre dans les mêmes institutions.

En créant des institutions politiques pour toute la Turquie, il ne faut pas oublier d'en créer d'autres locales et appropriées aux besoins des peuples des différentes contrées, sous forme d'autonomie ; grâce à cette mesure on conservera mieux l'unité et l'intégrité de la Turquie.

4° Il faut attendre un Parlement Général du suffrage universel, direct, secret et égal. Dans l'organisation de la Nouvelle Turquie toutes les nations et toutes les classes doivent avoir des voix égales, des droits égaux et des obligations égales.

5° Pour s'accorder et coopérer, il faudrait que les "Jeunes" aient dans le pays même des organisations et des comités révolutionnaires investis des pouvoirs nécessaires aux corps politiques ; de plus il faut qu'ils mettent dans leur programme une large part pour la défense des intérêts des travailleurs et des producteurs, sans distinction d'origine et de race: car - il ne faut pas s'illusionner - il n'y a aucune connexité entre les agitations actuelles turques, très superficielles d'ailleurs, et les "Jeunes Turcs"... et l'élément turc, au point de vue dé l'esprit révolutionnaire, en doit beaucoup plus aux vagues de la Révolution Arménienne qu'aux discours des "Jeunes" dont pas même l'écho n'arrive à leurs oreilles !

Si les conditions ci-dessus ne sont pas acceptées par les "Jeunes Turcs", alors nous, nous continuerons notre chemin en suivant la voie tracée par notre histoire, et eux — les "Jeunes Turcs", — Ils suivront le chemin qu'ils voudront. Pour nous, il y a une différence énorme entre "le peuple turc" et la "Jeune Turquie"; nous pouvons toujours donner la main au premier sur le champ de bataille et marcher la main dans la main en nous fraternisant !..

Pour nous il n'y a ni question de Rénovation générale de la Turquie, ni d'empire de l'Union ottomane. - Il n'y a pour nous, que l'Arménie et la Question Arménienne.

Après avoir versé notre sang pendant vingt ans, nous ne pouvons pas nous trahir, renoncer à nos droits imprescriptibles et poursuivre les illusions des Jeunes Turcs!...

S. SAPAH-GULIAN,
Rédacteur du Hentchak (1)

(1) Traduit de I'arménien par M Serge d'Hérminy.

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