et de l'étouffer, ensuite, dans
le projet d'un empire "pan-osmanique"!
Encore une question :
Les "Jeunes Turcs" ont-ils, ces temps derniers, adopté la révolution
comme moyen d'action ?
Nous répondrons que les "Jeunes Turcs" ont, de tout temps, eu un
grand faible pour la révolution de Palais qui a la forme plutôt
d'un' complot de clique que d'une véritable révolution !
Ils n'ont jamais admis, pas plus maintenant qu'autrefois, la révolution
dans le sens et sous la forme qu'elle s'est toujours présentée dans
tous les pays, c'est-à-dire comme un moyen d'action extrême. Pour
nous en convaincre, ouvrons le numéro du 1er février 1908 du Mechveret
et écoutons religieusement ce que, dit l'organe du Comité
ottoman d'Union et de Progrès. Car sa parole a une signification
toute spéciale, étant donné - comme nous l'avons, prouvé plus haut
- que le Bureau et le Congrès sans le dire ouvertement
sont complètement d'accord sur tous les points du programme de ce
Comité. Après avoir fait des observations à l'Humanité et
à Pro-Arménia qui avaient dit que les "Jeunes Turcs" avaient
dans le "Congrès" adopté tous les moyens révolutionnaires, le Mechveret
ajoute:
"...Non, nous n'adoptons aucune des tactiques révolutionnaires,
employées sans aucun succès d'ailleurs par certains Arméniens. Nous
sommes réunis, non pas pour commettre des folies et des crimes,
ni pour créer des prétextes à l'intervention des puissances étrangères,
mais pour, réaliser un but noble, utile et profitable à toute la
population de la Turquie, et cela par des moyens révolutionnaires
qui siéent mieux au tempérament de nos compatriotes. Nous ne sommes
ni Français, ni Russes. Ce qui a réussi chez eux ne peut forcément
pas être bon chez nous..."
Qu'est-ce que c'est que la Révolution et quelles tactiques faut-il
employer pour la produire? Il n'y a pas deux façons d'envisager
cette question, mais rien qu'une! et les Révolutions anglaises,
américaines, françaises, allemandes et russes ont largement démontré
ce que c'est que cette façon unique ; il suffit de s'y intéresser
et de l'avoir présent à l'esprit, voilà tout!
Ainsi donc, en employant des termes comme Révolution, tactiques
révolutionnaires et d'autres, les "Jeunes" comprennent une toute
autre, toute nouvelle chose qui ne s'est jamais souvent vue dans
l'histoire de l'humanité. C'est justement pour cela que nous
affirmons que les "Jeunes Turcs" font consister la Révolution dans
le changement de la personne du souverain par un simple complot
des courtisans. Car, jusqu'à présent, le tempérament de leurs
compatriotes n'a jamais osé que cela, pas autre chose!...
Une fois la personne du souverain changée comme le dit si
bien le Mechveret du 1er février 1908 les séparatistes,
les éléments qui ne font point partie de l'Union seront considérés
comme des ennemis intérieurs et l'on donnera à ces mécontents
la réponse que Midhad donna à la Bulgarie mécontente! C'est à-dire
on votera constitutionnellement de noyer dans son sang le révolté!...
N'est-ce point l'intention générale, dont la malice est cousue de
fil blanc?!..
®
Nous allons maintenant tâcher
de résumer tout ce que nous venons de dire, dans les points suivants:
1° La tendance des "Jeunes Turcs"
est d'étouffer toutes les Causes Nationales, aussi bien celles des
Arméniens que celles des autres. Par les termes Parlement, régime
représentatif et d'autres qu'ils mettent toujours en avant, ils
ne visent que le rétablissement de la Constitution de Midhad persuadés
que par l'application de cette Constitution ils assureront la domination
complète du nationalisme turc autant que celle de la politique turque,
avec toutes leurs conséquences.
2° Les "Jeunes Turcs" ne sont point des Révolutionnaires ; l'idée
de l'action en commun, qu'ils poursuivent depuis quelque temps,
sera pour eux un moyen presque infaillible de conjurer les soulèvements
intérieurs et d'empêcher ainsi l'intervention extérieure.
3° Pour l'action en commun, on ne peut s'entendre avec les "Jeunes
Turcs" que le jour où ils voudront, tout en poursuivant l'idée de
la rénovation générale de l'empire turc, défendre aussi l'idée d'une
Arménie autonome. Car, en ce moment-ci, il y a une incompatibilité
absolue entre les civilisations arménienne et turque. Ces deux éléments
ne peuvent plus vivre dans les mêmes institutions.
En créant des institutions politiques pour toute la Turquie, il
ne faut pas oublier d'en créer d'autres locales et appropriées aux
besoins des peuples des différentes contrées, sous forme d'autonomie
; grâce à cette mesure on conservera mieux l'unité et l'intégrité
de la Turquie.
4° Il faut attendre un Parlement Général du suffrage universel,
direct, secret et égal. Dans l'organisation de la Nouvelle Turquie
toutes les nations et toutes les classes doivent avoir des voix
égales, des droits égaux et des obligations égales.
5° Pour s'accorder et coopérer, il faudrait que les "Jeunes" aient
dans le pays même des organisations et des comités révolutionnaires
investis des pouvoirs nécessaires aux corps politiques ; de plus
il faut qu'ils mettent dans leur programme une large part pour la
défense des intérêts des travailleurs et des producteurs, sans distinction
d'origine et de race: car - il ne faut pas s'illusionner - il n'y
a aucune connexité entre les agitations actuelles turques, très
superficielles d'ailleurs, et les "Jeunes Turcs"... et l'élément
turc, au point de vue dé l'esprit révolutionnaire, en doit beaucoup
plus aux vagues de la Révolution Arménienne qu'aux discours des
"Jeunes" dont pas même l'écho n'arrive à leurs oreilles !
Si les conditions ci-dessus ne sont pas acceptées par les "Jeunes
Turcs", alors nous, nous continuerons notre chemin en suivant la
voie tracée par notre histoire, et eux les "Jeunes Turcs",
Ils suivront le chemin qu'ils voudront. Pour nous, il y a
une différence énorme entre "le peuple turc" et la "Jeune
Turquie"; nous pouvons toujours donner la main au premier sur
le champ de bataille et marcher la main dans la main en nous fraternisant
!..
Pour nous il n'y a ni question de Rénovation générale de la Turquie,
ni d'empire de l'Union ottomane. - Il n'y a pour nous, que l'Arménie
et la Question Arménienne.
Après avoir versé notre sang pendant vingt ans, nous ne pouvons
pas nous trahir, renoncer à nos droits imprescriptibles et poursuivre
les illusions des Jeunes Turcs!...
S. SAPAH-GULIAN,
Rédacteur du Hentchak (1)
(1) Traduit de I'arménien
par M Serge d'Hérminy.
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