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S. Altug a étudié les sciences économiques à l’Université Bogazici, où elle a obtenu un mastère d’histoire. Elle est actuellement doctorante d’études orientales à l’Université d’Utrecht. Ses domaines de recherche concernent les rapports Etat-société et inter-communautaires dans la Syrie française, ainsi que la frontière et la politique mémorielle dans la Syrie contemporaine.
Les recherches d’Altug couvrent la période du mandat français – des années 1920 au début des années 1940 – et explorent ce que les sources arabes syriennes révèlent des suites du génocide arménien. Ce pays ayant été la destination prévue des déportations et le refuge initial des survivants, l’on peut supposer que les diverses archives syriennes possèdent un grand nombre d’informations sur le génocide arménien.
Sur une estimation de 240 000 survivants arméniens, 70 000 se cachèrent dans ou autour d’Alep, tandis que 5 000 autres se cachèrent près de Mossoul, jusqu’aux retrait des Ottomans en 1918. La plupart espéraient encore revenir dans leurs foyers à l’époque de l’armistice de Moudros, signé le 30 octobre 1918. Entre 120 000 et 150 000 revinrent en Cilicie, mais furent rapidement évacués par les Français fin 1921. Un second exode en masse d’Arméniens – environ 80 000 survivants originaires de Cilicie – eut lieu en 1921 en direction de la Syrie et du Liban. Le dernier groupe de survivants arméniens – quelque 10 000 personnes originaires de Diyarbakir, Bitlis, Mardin, Sirnak et Cizre – atteignirent la Djazira française entre 1929 et 1930.
Comme les archives ottomanes syriennes ne se trouvent plus en Syrie, les archives explorées par S. Altug se situent dans les lieux suivants : la bibliothèque Violette Djebedjian d’Alep ; la collection Gulbenkian ; les archives de l’UGAB d’Alep ; et celles du Cercle de la Jeunesse Catholique d’Alep, fermées depuis plusieurs années.
La bibliothèque Djebedjian constitue une collection unique. Elle fut lancée en 1971 sous l’égide de Robert Jebejian et contient des documents – rapports, cartes, photos et une collection de journaux – remontant à 1919. En outre, elle héberge des archives semi-secrètes, auxquelles l’A. n’a pas eu accès. Depuis 1990, ces documents ont été publiés en plusieurs volumes intitulés Keghart [Hallebarde]. Y figurent aussi des récits de témoins oculaires de la part de nationalistes arabes syriens, ainsi que les travaux des historiens d’Alep.
L’UGAB a rassemblé des articles de journaux, datant de l’époque du génocide. La presse syrienne constitue une source sous-explorée, nota l’A., qui la divise en deux catégories : la presse syrienne d’avant 1920, et celle de l’après 1920.
La presse syrienne d’avant 1920 comprend des informations incroyablement détaillées sur le dénuement et la pauvreté des déportés, ainsi que de nombreux interviews. Par exemple, le journal Al-Takkaddum [Le Progrès] présente des rapports détaillés sur les massacres. En général, les éditoriaux évoquent un processus de turcification, présentant les Arabes et les Arméniens comme les victimes de celui-ci. Ils décrivent la famine dans les nations arabes et les meurtres d’intellectuels arabes.
La presse syrienne de l’après 1920 se caractérise par un changement de discours. Suite à l’imposition du régime français en Syrie, au lieu de présenter une victimisation conjointe des Arméniens et des Arabes dans la presse syrienne, les Arméniens deviennent les boucs émissaires des problèmes de l’époque, comme la pauvreté, le chômage, les maladies et le déclin moral. Ils sont qualifiés de parasites contaminant la société syrienne. Les Syriens redoutaient que les Arméniens ne visent à établir leur nouvelle patrie sur leurs terres, établissant des parallèles entre les Arméniens et le mouvement sioniste. Finalement, des partis nationalistes arméniens, à savoir les partis Hentchak, Dachnak et Ramgavar, publièrent des déclarations assurant l’opinion que les Arméniens n’étaient que de passage, des victimes, et qu’ils n’avaient aucun intérêt ou quelque revendication politique concernant le pays. Après 1930, le discours précédent disparut.