CHANT VI
Et la caravane d’Abou-Lala, harassée,
S'arrêta près du palais du grand désert arabe...
Au loin, l'horizon semblait incendié.
Les dernières ombres fuyaient devant les flots de lumière qui jaillissaient du ciel.
Et Abou-Lala s'assit, solitaire, près de la caravane.
La tête appuyée aux roches roussise, calme, il fixait l'éblouissant lointain.
"Oh ! je suis libre, libre, libre ! L'immense désert peut-il
Envelopper en son sein, y enfermer ma liberté sans borne ?
Qu'ici aucune main humaine ne m'atteigne, aucun regard ne parvienne jusqu'à moi.
O liberté, divin parfum des roses édéniques.
Couronne-moi de ces fleurs lumineuses, allume des flambeaux en mon âme si triste.
O liberté, Al-Koran des immortels rossignols du Paradis !
Ravissant désert, monde doré de la solitude, salut à toi !
Sol immaculé où l'homme n'a pas violenté l'homme, sois béni !
Etends-toi à l'infini, couvre le monde entier des mers illimitées de tes sables,
Ensevelis sous tes flots ces habitats humains où s'épanouit la pourriture, que disparaissent palais, châteaux, chaumières !
Que ton formidable simoun de la liberté partout et l'y fasse régner.
Que le sublime soleil nimbe de ses rayons l’universelle liberté !"
Et le Soleil, en toute sa merveilleuse splendeur, plus puissant que Dieu même,
Fulgurant, se leva, secouant sur l'univers son éblouissante crinière.
Les rayons de feu inondèrent l'espace désertique,
L'incendièrent, le roussirent. Telle parait la peau d'un lion gigantesque.
"Salut à toi, Soleil, grâce te soient rendues! Tu es ma mère immortelle, tu es le sein maternel.
Toi seul es bon, miséricordieux. Toi, mon unique amour, toi seul es saint.
Toi qui as rempli de divine extase l'âme du grand Zoroastre.
Verse en mon âme ardente ton vin désaltérant.
Source universelle d'où vient l'ivresse bienheureuse, la félicité,
Coupe du plaisir sans fin où l'on boit le vin des joies sans mélange,
Enivre-moi, enivre-moi de ta liqueur sans pareille,
Fais-moi oublier 1'homme, sa douleur, ses crimes, ses trahisons, fais-les moi oublier à jamais !
Toi, Bonté, fête de l'Univers,
Invincible adversaire des ténèbres, Tout-Puissant, toi ô joie,
Enivre-moi de ton bonheur, de ton éternité, de ta lumière !
Que les rêves parfumés qui viennent de toi me fassent à tout jamais oublier le passé !
Toi seul bon, toi miséricordieux, toi ma mère, toi seul sacré,
Toi qui as raison de la mort, mère des printemps, être prodigieux, unique beauté.
Je t’aime, je t'adore, réchauffe-moi, berce-moi, emplis-moi d'un amour débordant ; Que me couvre et me choie ton éblouissante chevelure ;
Que tes lumineux baisers brûlants ensanglantent mes lèvres !
Ouvre-moi ton sein où l'on goûte le bonheur, afin que j'y vole embrasé d'amour.
O mes nobles dromadaires, debout ! dit Mahari à sa caravane,
Secouez la vile poussière du monde dont vous êtes couverts.
Hommes lointains, entendez pour la dernière fois ma parole : je vous hais !
Vous me faites horreur. Dans la même aversion je confonds vos cultes, votre noblesse, vos bassesses, ce qu'il y a en vous de bon et de mauvais !
Tout cela n'est que chaîne, marque de tyrannie, esclavage.
Oui, pour la dernière fois je vous crie ma haine : je vous hais, je vous hais, pour toujours je vous hais!
Que mes oreilles soient frappées de surdité, mes yeux de cécité,
Afin qu'à jamais sourd et aveugle, je ne pusse retourner vers les hommes, pour les entendre ou les voir.
Allons ma caravane, marche, vole durant des siècles, fonce vers le soleil ,
Porte-moi vers son sein de flamme; que, comme lui, je devienne un astre éternel !
O soleil, ô ma mère, jette sur mes épaules ton manteau de pourpre,
Afin que, couronné de tes rayons, triomphant, j'aille vers toi sur toujours...''
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