.





-
Les massacres en Arménie turque
de Faïez El-Ghocein
édité en l'An 1335 de l'Hégire, soit 1917 de l'Ère Chrétienne
-
-
  • [p7]

AU NOM DE DIEU CLÉMENT ET MISÉRICORDIEUX
Avant propos.

Je suis un Bédouin ; mon père est un des chefs de la tribu de « Soulout » qui habite le Ledja (Haouran). J’ai fait mes études à Constantinople, à l’École des Tribus (Achair), puis à l’École Mulkieh. Mes études terminées, j’ai été attaché au Vali de Damas et après un certain temps, j’ai été nommé Kaimakam au villayet de Mamouret-el-Aziz (Kharpout), où je suis resté près de trois ans et demi en fonction. Je suis revenu ensuite à Damas pour suivre la carrière d’avocat. .Après la déclaration de la Grande Guerre, j’ai été rappelé par le gouvernement pour reprendre mon poste de kaimakam, mais j’ai refusé d’abandonner ma carrière libérale.

Quelque temps après, accusé d’avoir été délégué par une organisation constituée au Mont-Liban auprès des tribus pour les soulever contre le gouvernement turc en vue de proclamer l’indépendance arabe sous le protectorat de la Grande Bretagne et de la France, je fus arrêté et jeté en prison pour être envoyé de là, chargé de fer, à Aley (Liban) à l’effet de comparaître dans une cour martiale. Je fus acquitté…mais le gouvernement, décidé à éloigner les Jeunes Arabes, décréta mon exil à Erzeroum. Djémal pacha me fit donc partir, escorté de cinq soldats commandés par un officier. A mon arrivée à Diarbékir, les Russes assiégeaient Hassan-Kala, et le Vali donna l’ordre de ne pas me faire aller plus loin. Je fus donc relâché après un séjour de 22 jours dans la prison de [p8] Diarbékir ; et c’est ainsi que je suis resté six mois et demi dans cette dernière ville, où il me fut donné de voir et d’entendre des sources les plus autorisées tout ce qui est arrivé aux Arméniens. Les auteurs des récits que je reproduis sont pour la plupart de grands fonctionnaires, des officiers et des notables de Diarbékir et de ses districts, de Van, de Bitlis, de Mamouret-el-Aziz, d’Alep et d’Erzeroum. Les habitants de Van se sont réfugiés à Diarbékir depuis que les Russes ont occupés leur cité ; les habitants de Bitlis avec les fonctionnaires, ont aussi émigré dans cette ville que fréquentait en même temps un grand nombre d’officiers, qui s’y rendaient pour des motifs d’ordre militaire ou privé.

Pour ces raisons, et ayant autrefois été kaimakam, comme je l’ai dit dans ce vilayet, j’ai pu voir de nombreuses personnes et comprendre dans leurs détails, les événements qui se sont déroulés dans cette région. Cette guerre finira un jour et mes lecteurs pourront alors s’assurer par eux-mêmes de la véracité de ce que j’écris et qui n’est qu’une minime partie des abominables cruautés commises par les turcs envers la malheureuse nation arménienne.

Quant à moi, j’ai pu dans la suite m’évader de Diarbékir et arriver, après maints périls, à Bassorah…
Je crois mon devoir de publier cette brochure pour servir la vérité et la nation qui a été tyrannisée par les Turcs, et pour défendre aussi la religion musulmane que l’Europe ne laissera pas d’accuser de fanatisme.

Faiez El-Ghocein.
Bombay (Indes) le 2 Zul-Kéda 1334,
le 21 septembre 1916

[p9]

LES MASSACRES EN ARMÉNIE TURQUE

Après ces notes autobiographiques, l’auteur donne un aperçu général de l’histoire des Arméniens, des provinces qu’ils habitent dans l’empire ottoman, des différents partis politiques qu’ils ont fondés et de leur nombre qu’il évalue à 1.900.000 âmes en Turquie, d’après les statistiques officielles, et à 4.500.000 environ dans le monde entier.

« Les Arméniens, dit-il, détiennent le commerce et l’industrie et sont de beaucoup supérieurs aux Turcs et à leurs voisins kurdes. Leurs écoles nationales, nombreuses et bien organisées, témoignent de leur progrès, comme les quelques écoles de leurs compatriotes ottomans témoignent de la décadence de ces derniers »

Il passe ensuite rapidement en revue les différents massacres de 1874,1896, et de 1909 dont les arméniens ont fait l’objet, et dit que : « tous ces massacres ont été suscités par les Gouvernement qui soulevaient les Kurdes et les Turcs ».

Avant de commencer le récit des massacres, il reproduit le manifeste du gouvernement ottoman, relatif à la déportation des Arméniens.

Manifeste du Gouvernement ottoman

« Attendu que les Arméniens commettent des actes illégaux et profitent de toute occasion pour inquiéter le gouvernement ;
[p10]
« Attendu qu’on a découvert chez eux des armes prohibées et des matières explosibles dans le but de préparer une révolution dans le pays, et qu’effectivement ils ont tués des musulmans dans le vilayet de Van, et qu’ils ont prêté main forte aux troupes russes »
« Considérant que le gouvernement ottoman se trouve en état de guerre avec l’Angleterre, la France et la Russie;
« Il a été décidé, pour prévenir les troubles que peuvent susciter les Arméniens selon leur habitude, de les grouper tous pour les conduire aux vilayets de Mossoul et de Syrie au lewa de Deir-el-Zor, sans porter atteinte à leur vie, à leur honneur et à leurs biens.
Les ordres nécessaire ont été donnés pour assurer leur repos et leur séjour dans les localités sus-mentionnées jusqu’à la fin de la guerre ».
Tel est le manifeste officiel du gouvernement ottoman. Mais on avait décidé en secret de former des bataillons (milice) pour aider les gendarmes à décimer les Arméniens sous la direction de certains Unionistes connus pour leur barbarie. On nomma Rachid-Bey gouverneur de Diarbékir, avec plein pouvoir d’agir ; et on l’accompagna d’une bande d’assassins célèbres tel que Ahmed El-Serzi, Ruchdi Bey, Khali Bey et autres.

Les raisons qui ont déterminé le gouvernement à prendre cette décision, m’a-t-on dit, ont été les suivantes :

Les arméniens émigrés en Europe et en Égypte [p11]avaient envoyé une vingtaine de Fédaïs (révolutionnaires) pour tuer Talaat, Enver et autres membres du parti Union et Progrès. Ils n’y réussirent pas, car un de leurs compatriotes, ami du commandement de la Sûreté à Constantinople, les trahit ; ils furent arrêtés et tués en secret pour qu’il ne fût pas dit qu’il y a dans le pays des gens hostiles aux Unionistes.

On cite encore parmi les causes des massacres que les soldats arméniens, au nombre de 60, enrôlés dans le vilayet d’Alep et d’Andrinople, désertèrent et se réfugièrent à Zeitoun avec leurs armes. Le gouvernement dirigera contre eux des troupes régulières commandées par Fakhri Pacha, qui fit détruire une partie de Zeitoun et mit à mort, hommes, femmes et enfants, sans trouver aucune résistance. Les survivants furent déportés, mais en route les hommes furent tués et les femmes livrées à la soldatesque ; quand aux enfants, ils moururent de faim et de soif ; n’arrivèrent en Syrie que de malheureux infirmes.

Après quoi des émigrés turcs de la Roumélie furent installés à Zeitoun, dont on changea le nom en celui de « Réchadié », pour ne rien laisser qui pût rappeler aux turcs le souvenir des Arméniens de cette célèbre localité.

J’ai vu, lors de notre passage à Hama (Syrie) beaucoup d’Arméniens, femmes et hommes, assis sous de petites tentes qu’ils avaient dressées avec des draps de lit ; ils faisaient d’autant plus pitié à voir qu’on distinguait sans peine qu’ils avaient appartenu à la classe aisée. J’en ai vu beaucoup d’autres entassés dans des fourgons de chemin de fer entre [p12] Hama et Alep. L’aspect de leur misère attendrissait le cœur.

Après un court séjour à Alep, je fus envoyé à Ser-Arab Bonari, où on nous adjoignit cinq arméniens escortés qu’on dirigeait sur Diarbékir. Nous fîmes le trajet à pied jusqu’à Serouj où nous fûmes hébergés dans un caravansérail qui regorgeait de femmes arméniennes avec leurs petits enfants et quelques hommes infirmes. Ces malheureuses se trouvaient dans un état lamentable, car elles avaient fait le trajet d’Erzeroum à Serouj à marche forcée. J’ai pu causer avec quelques-unes d’entre elles en langue turque et j’appris que les gendarmes qui les escortaient les amenaient souvent dans des lieux solitaires où ils les laissaient sans eau.

Celles qui accouchaient en route devaient abandonner leurs enfants, parce qu’elles ne pouvaient les porter, ou rester pour mourir avec eux, dans le désert. Et ainsi ces malheureuses victimes étaient livrées sans merci aux Kurdes et voyaient leur vie et leur honneur entre les mains d’impitoyables bourreaux ; aussi, plusieurs d’entre elles préfèrent se donner la mort plutôt que de se livrer à ces loups.

De Sérouj je fus dirigé à Ourfa, j’aperçus de loin sur la route une très grande multitude de personnes que je crus être une armée en marche ; mais ce n’était qu’une longue file de femmes arméniennes, marchant pieds nus et tête découverte, alignées par rang comme une véritable armée. Elles étaient précédées et suivies d’un certain nombre de gendarmes. Lorsque l’une de ces femmes épuisée de fatigue, s’arrêtait un instant, la crosse d’un fusil s’abattait sur [p13]elle et l’obligeait à rejoindre ses compagnes ; mais si elle était trop malade pour rejoindre la caravane, elle était abandonnée pour être la proie des animaux sauvages, où elle recevait une balle qui mettait fin à ses souffrances.

Arrivés à Ourfa, nous apprîmes que le gouvernement avait envoyé un détachement de soldats et de gendarmes dans les quartiers arméniens pour ramasser les Arméniens et faire subir aux pauvres habitants le même sort qui avait été réservé aux Arméniens d’autres localités. Mais les Arméniens d’Ourfa n’ignoraient pas ce qui les attendait, une fois désarmés, car ils avaient sous les yeux les caravanes de déportés qui passaient par leur ville. Aussi opposèrent-ils la force à la force, et trois soldats et un gendarme turcs furent tués. Le gouvernement demanda un renfort d’Alep et Fakhri Pacha reçut l’ordre de Djémal Pacha, le bourreau tristement célèbre de la Syrie, d’aller châtier les rebelles. Il se dépêcha de se rendre à Ourfa où il fit raser à coups de canon les quartiers arméniens, tuant sans distinction hommes, enfants et femmes, sauf celles qui se rendirent aux soldats. Fakhri Pacha en choisit les plus belles pour lui et pour ses officiers, et les autres furent déportées pour être livrées à la soldatesque ou à la mort.

Quand nous quittâmes Ourfa, nous rencontrâmes des bandes de femmes déguenillées et épuisées de fatigue, de misère et d’inanition ; des cadavres jonchaient les deux bords du chemin.

Nous fîmes halte dans une localité près du village de Kara-Djoun, à six heures environ d’Ourfa. Je m’écartai de mes compagnons de route, vers une [p14]
source d’eau ; et là s’offrit à mes yeux un horrible spectacle ; une femme à demi-nue, étendue sur le dos, avec 4 balles dans la poitrine, et près d’elle un enfant dans sa huitième année environ étendu la face contre terre la tête fracassée d’un coup de hache. A cette vue, je ne puis retenir mes larmes ni mes sanglots. J’étais dans cette douleur profonde, lorsque j’entendis l’officier Aref Effendi qui appelait à grands cris le curé Isaac, un des cinq Arméniens. Je les rejoignis aussitôt, et nous vîmes trois jeunes enfants, couchés dans l’eau par crainte des Kurdes qui les avaient dépouillés de leurs vêtements après leur avoir fait subir toutes sortes de torture ; non loin d’eux, leur mère gémissait de faim et de douleur. Elle nous raconta qu’elle était au vilayet d’Erzeroum, d’où elle avait été déportée avec un grand nombre de ses compagnes ; en route, les plus belles d’entre elles furent livrées aux Kurdes, les autres, arrivées près de Kara-Djour, furent dépouillées de tout ce qu’elles possédaient par une horde de femmes et d’hommes kurdes et continuèrent leur voyage d’exil ; quand à elle, minée par la maladie, elle avait été abandonnée avec ses enfants dans cet endroit, où quelques kurdes vinrent les dépouiller du peu de vêtement qui leur restaient et les laissèrent presque nus.

Le curé put lui procurer quelques vêtements de nos compagnons de voyage ; et l’officier de notre escorte envoya quérir un gendarme d’une garnison voisine et le chargea de conduire cette femme à Ourfa et de prendre les mesures nécessaires pour faire enterrer les cadavres.

J’ai pu apprendre de cette femme l’histoire de la malheureuse qui gisait, percée de quatre balles, [p15] avec son jeune enfants ; elle avait refusé de se livrer aux soldats qui, pour la réduire, avaient tué son enfant devant ses yeux ; mais elle resta inébranlable et préféra mourir plutôt que de conserver sa vie au prix de son honneur.

Nous reprîmes ensuite notre route vers Kara-Djourn, et, chemin faisant, un de nos conducteurs turcs nous indiqua de loin un morceau de pierres, près d’une colline, et nous apprit que là avait été assassinés Zohrab et Vartkès, les deux députés arméniens célèbres du parlement ottoman.

Zohrab et Vartkès

Zohrab était le député arménien de Constantinople à la Chambre Ottomane, où son éloquence, son intelligence et ses idées libérales n’étaient pas de nature à le faire aimer des Jeunes-turcs, qui n’avaient aucune notion de la vraie politique et des principes constitutionnels. Aussi cherchèrent-ils à revenir aux méthodes dévastatrices de leurs ancêtres tartares.

Quand à Vartkès, j’ai appris de la bouche même d’un Kurde que c’était un homme fort courageux et audacieux. Du temps du sultan Abdul-Hamid, il s’était mis à la tête des bandes arméniennes, et fut un jour blessé d’un éclat d’obus ; il fut jeté en prison où on lui fit les plus belles promesses s’il exprimait son repentir. « Je ne vendrai, dit-il, ma conscience, pour n’importe quelle fonction ; je ne dirai jamais que le gouvernement hamidien est un gouvernement juste, lorsque je vois de mes yeux et touche de mes mains ses continuelles injustices ! »

[p16] Les Jeunes-Turcs ne pouvaient souffrir des hommes de cette trempe. Ils déportèrent donc Zohrab et Vartkès de Constantinople, avec nombre d’autres intellectuels, en donnant ordre de les faire disparaître en route. Ils annoncèrent ensuite que des bandits les avaient massacrés. C’est ainsi qu’ils les firent assassiner, pour qu’il ne fût pas dit que les Arméniens sont plus instruits, plus capables et plus distingués que les leaders turcs.

Mais pourquoi les bandits en Turquie ne tuent-ils que les Arméniens ? Les Jeunes-Turcs croient-ils que les nuages peuvent longtemps couvrir la lumière du soleil ?

J’ai entendu raconter que les Unionistes avaient décidé la mort de tous les députés arméniens ; et nombre d’entre eux en effet furent massacrés. J’ai entendu aussi que le célèbre écrivain Diran Kélékian avait été exécuté en récompense de ses grandes connaissances et de son dévouement comme journaliste à la cause jeune-turque!

Vers le soir, nous arrivâmes à Kara-Djourn où nous passâmes la nuit. Au lever du soleil, on nous dirigea vers Sewerek. L’aspect de la route faisait frémir d’horreur, des cadavres en jonchaient les deux bords ; tantôt une femme inanimée, à moitié couverte par sa longue chevelure ; tantôt c’étaient d’autres femmes couchées, face contre terre, dans une mare de sang coagulé, ou bien des cadavres d’hommes desséchés par le soleil et noirs comme du charbon. A mesure que nous approchions de Sewerek, le nombre de cadavres augmentait ; et c’étaient surtout des enfants. Le premier spectacle qui s’offrit à notre vue, [p17] quand nous arrivâmes au caravansérail destiné à notre logement, fut celui d’un domestique portant entre ses mains le cadavre d’un nouveau né, à chevelure blonde, qu’il jeta hors de l’enceinte du caravansérail. A notre demande, il nous apprit que trois Arméniennes avaient été abandonnées chez lui, parce que leur faiblesse ne leur permettait pas de suivre la caravane ; l’une d’elles venait de donner le jour à ce malheureux qui ne trouva pas de nourriture au sein desséché de sa mère ; il en était mort, et le domestique le jetait dehors comme on jette un souris !

La rançon

A Sewerek, l’officier Aref Effendi, nous apprit, après la visite qu’il rendit aux autorités locales, que celles-ci exigeaient qu’on leur livrât les cinq Arméniens qui étaient nos compagnons d’exil, à moins que ceux-ci ne se rachetassent par une rançon de 50 livres turques, moyennant quoi ils pouvaient arriver sains et saufs à Diarbékir. Le curé Isaac répondit après avoir fait part à ses compagnons de ces exigences, qu’il ne pouvait paye que 10 livres, car c’était tout ce qu’il possédaient. Après une longue discussion, l’officier parvint à satisfaire les autorités locales avec cette somme, et les malheureux Arméniens purent continuer leur chemin vers Diabékir.

Le lendemain nous quittâmes Sewerek. En route le même spectacle de cadavres abandonnés sans sépulture se présentait partout à nos yeux.

Avant d’arriver à Diarbékir nous rencontrâmes une caravane de femmes arméniennes qu’une bande de gendarmes conduisant à Séwerek. Ces malheureuses [p18] étaient dans un état de détresse et de misère qui aurait fait pitié aux animaux sauvages et arraché des larmes aux rochers.

Qu’avaient-elles fait pour mériter leur sort ? Quel crime pouvait-on leur reprocher, si ce n’est peut-être que celui d’être supérieures aux femmes turques, et de donner à leurs enfants une meilleure éducation ?

Même si nous voulions supposer pour un moment que les hommes avaient mérité leur châtiment, était-il juste où humain de traiter les femmes et les enfants innocents de manière barbare ? Dieu lui-même n’a-t-il pas dit dans son Coran « Personne ne doit être puni pour la faute d’un autre ! »

Les Turcs peuvent-ils alléguer un prétexte quelconque à ces atrocités que renie l’Islam ?

Non certes, ils ne peuvent trouver aucune justification aux yeux des musulmans dont la Loi est basée sur la Justice et la Nation.

Est-il permis à ces Turcs infatués, qui se prétendent être les défenseurs de l’Islam et du kalifat, de contrevenir à la Loi de Dieu et du Coran, aux préceptes du Prophète et aux sentiments de l’Humanité ? J’en prends Dieu pour témoin ! Leurs actes sont horribles et ne peuvent être commis par aucune nation civilisée.

Un enfant dans le désert

En route nous aperçûmes un jeune enfant, de quatre ans, blond, avec de jolis yeux bleus. [p19] Abandonné dans cette solitude, sous les rayons brûlants du soleil, il restait immobile. L’officier fit arrêter notre voiture pour interroger l’enfant, mais celui-ci ne put faire aucune réponse. Alors notre officier fit cette réflexion : « Si nous emmenons cet enfant avec nous, le gouvernement s’en saisira à Diarbékir et lui fera subir le même sort que celui des siens ; il vaut mieux l’abandonner ici où il pourrait être recueilli par quelque kurde charitable qui l’élèverait dans sa famille. »

Ne pouvant faire une objection quelconque à cette décision, nous gardâmes le silence et poursuivîmes notre chemin, abandonnant le malheureux petit à son sort.

Le cœur serré, nous arrivâmes, vers le coucher du soleil, à un caravansérail situé à quelques heurs de Diarbékir ; nous y passâmes la nuit, pour nous remettre en marche de bon matin. Toujours des cadavres ! Ici, un homme la poitrine percée d’une balle ; là une femme les entrailles déchirées ; à côté, un enfant dormant son sommeil éternel ; plus loin, une jeune fille, cachant sa nudité de ses mains raidies.

Nul autre spectacle ne s’offrit à nos regards jusqu’à Kara-Poukar, petit cours d’eau, près de Diarbékir, où les atrocités avaient pris une autre forme ; là, les cadavres avaient été brûlés et réduits en cendres !

Nous espérions en finir avec ces horreurs en approchant des murs de Diarbékir ; mais ce fut une déception ; car les cadavres jonchaient la route jusqu’aux remparts de Diarbékir la Noire !
[p20]

En prison

Arrivé à Diarbékir, je fus livré à l’autorité locale qui me mit en prison où je restais vingt deux jours, durant lesquels il me fut donné de connaître dans ses détails, la question arménienne de la bouche d’un détenu musulman.

Lui ayant demandé la cause des évènements sanglants qui s’étaient passés dans ces localités, il me raconta que « les Arméniens et surtout les jeunes gens avaient lors de la déclaration de guerre fui le service militaire pour former des bataillons qu’ils dénommèrent « Tawabir-es-Stouh ». Ces déserteurs essayaient par ailleurs de réunir des fonds pour acheter des armes et des munitions. Mais les notables arméniens n’approuvaient nullement ces agissements ; aussi ils se rendirent en délégation auprès des autorités pour désavouer la rébellion de ces jeunes gens ».

– Mais enfin, dis-je à mon interlocuteur, ces Arméniens auraient-ils attaqué les Turcs ou les Kurdes ou un fonctionnaire quelconque du gouvernement ?

– Ils n’en firent rien, me répondit-il. Mais quelques jours après l’arrivée du vali Rachid bez et du commandant Ruchdi bey, on découvrit des armes cachées dans quelques maisons et à l’église. Le gouvernement s’en fit un prétexte pour arrêter les notables de la ville et les jeter en prison. Leurs chefs religieux, étant allé intercéder pour eux furent aussi arrêtés et emprisonnés .et le nombre des détenus atteignit 700. Un jour le commandant vînt leur apprendre qu’un iradé Impérial décrétait leur déportation à Mossoul où ils demeureraient [p21] jusqu’à la fin de la guerre. Ils accueillirent cette nouvelle avec joie et firent les préparatifs de voyage. On les embarqua bientôt sur des kalaks – sorte de bacs composés de quelques planches étendues sur des outres gonflées et dont on se sert pour traverser le Tigre et l’Euphrate.

Mais on appris bientôt qu’ils avaient tous été noyés dans le fleuve et que pas un d’eux n’arriva à Mossoul. Le gouvernement usa encore pendant quelque temps de ce procédé, noyant ainsi des familles entières, hommes, femmes et enfants. Parmi les déportés, destinés à périr dans l’eau se trouvaient les familles Kazarian, Torpangian, Minassian, Kéchichian etc…qui sont des notables familles arméniennes de Diarbékir ; et parmi le premier convoi de 700 personnes se trouvait un vénérable et savant prélat nommé « Houmandrias », autant qu’il m’en souvient ; c’était l’évêque des Arméniens catholiques. Ce vieillard octogénaire fut noyé dans le Tigre comme les autres.

Le vicaire patriarcal Meguerditch était détenu à Diarbékir. Ayant appris le sort de ses malheureux compatriotes, et ne pouvant souffrir davantage cette situation, il versa du bitume sur ses habits et mourut ainsi par le feu. Un musulman qui se trouvait en prison pour avoir adressé une lettre à ce prélat trois ans avant les massacres, me raconta que l’évêque Meguerdich était un homme très érudit, d’un grands courage, incapable de souffrir un affront, et d’un dévouement illimité à sa nation.

Les Kurdes attaquèrent les Arméniens en pleine prison pour les dévaliser de ce qui leur [p22]restait ; ils en tuèrent deux ou trois, et leur crime demeura impuni.

A Diarbékir il ne restait que fort peu d’Arméniens, ceux que le gouvernement avait jugé utile de garder pour le service de l’armée, tels que cordonniers et autres artisans.

Il y avait encore en prison dix neuf détenus avec lesquels j’ai longtemps causé.

La dernière famille arménienne qui fut déportée était la famille Doungian.

Dikran

C’était un membre du comité central du parti « Tachnaktzoutioun » (1) à Diarbékir. Un fonctionnaire de cette ville membre lui-même de « l’Union et Progrès » me fit à son sujet le récit suivant :

« Les autorités l’avaient fait arrêter et avaient essayé de connaître par lui les noms des membres de son comité. Il s’y refusa énergiquement, disant qu’il ne pouvait le faire sans une décision du Comité lui-même autorisant la divulgation des noms. On lui fit subir toutes espèces de torture : on le chargea de fer, on lui fit arracher impitoyablement les ongles et les cils des paupières ; mais il resta inébranlable dans son mutisme et préféra l’exil et la mort à la trahison de ses collègues.

(1) Note du traducteur : C’est le parti socialiste « Confédération » qui prêta son concours à la restauration du régime constitutionnel et qui, à un moment donné, fut l’allié du comité « Union et Progrès ».
[p23]

Agop Kaitandjian

Accusé d’avoir appartenu à un comité révolutionnaire qui recelait des matières explosives, Agop avait été jeté en prison où j’ai longtemps causé avec lui. Il me fit lui-même le récit suivant de ses souffrances :

« Un jour que je me trouvais à la maison, un gendarme se présenta chez moi et me communiqua l’ordre de comparaître devant le commandant de la police. M’étant présenté au commissariat, je fus interrogé sur le Comité arménien et ses membres ; j’ai déclaré ne rien connaître d’un tel comité. On me fit alors subir toutes espèces de tortures ; pendant plusieurs jours je reçus la bastonnade et j’en vins au point de préférer la mort à cette vie de souffrance qu’il n’était plus possible de supporter. Un jour, au cours de mon interrogatoire, je demandai à sortir pour un besoin ; j’avais un couteau sur moi, je m’ouvris les veines des mains et me coupai les organes génitaux, le sang coulant en abondance, je m’évanouis, on se dépêcha de me porter secours et en reprit mon interrogatoire. Exaspéré, j’arrachai mon organe qui n’était pas complètement tranché et le lançai à la tête du commissaire qui m’interrogeait. On m’envoya à l’hôpital où je fus soigné et guéri ».

J’ai vu de mes yeux les cicatrices des blessures qu’Agop s’était faîtes : et lui-même me raconta les détails que je viens de relater en me priant de les publier dans le journal arménien La Patrie (Haîrénik) qui parait en Amérique, pour que son frère Garabet, émigré au Nouveau Monde, pût en prendre connaissance ; car pour lui, il n’avait pas l’espoir de trouver grâce.
[p24]

J’ai souvent causé avec les jeunes arméniens qui étaient emprisonnés avec moi et nous constations au cours de nos conversations que jamais peuple n’avait souffert ce qu’endurait du régime la pauvre maison arménienne. Ces jeunes gens me disaient souvent qu’eux et leurs compatriotes méritaient leur sort, parce qu’ils n’avaient guère pris de mesures préventives, se fiant naïvement au gouvernement turc « constitutionnel » et ne s’imaginant pas que ce gouvernement pourrait sévir contre les Arméniens sans raison plausible. Ils me disaient aussi que, s’ils n’avaient pas été pris au dépourvu, ils auraient chèrement vendu leur vie .

Ces jeunes gens furent envoyés dans la suite à Kharpout pour être jugés devant la Cour Martiale. J’ai appris qu’ils sont arrivés sains et saufs, et qu’ils ont demandé d’embrasser l’islamisme, non par crainte de la mort, mais pour échapper aux atrocités des Kurdes.

Mes compagnons de route

Après ma sortie de prison, il ne me fut plus donné que difficilement la permission de voir mes cinq compagnons de route. Quelques temps après, m’étant informé de leur sort, j’appris qu’ils avaient été envoyés pour être tués comme ceux qui les avaient précédés. Un gendarme que j’avais connu en prison me raconta que lui-même avait tué le curé Isaac de ses propres mains, un jour où quelques soldats s’amusaient à vouloir enlever la barrette du curé à coup de revolver. « J’ai été le meilleur tireur [p25] dit-il, car ma première balle enleva la barrette et la seconde étendit le curé mort ».

Je gardai le silence, car ce malheureux croyait que le meurtre des Arméniens était un devoir à remplir, décrété par ordre du sultan.

Les lettres

Les premiers jours qui suivirent la déportation des 700 personnes dont j’ai parlé, le gouvernement faisait écrire par ses fonctionnaires des lettres qu’ils signaient des noms des déportés dans le but de cacher le jeu et de ne pas donner l’éveil au reste de la population arménienne qu’on avait décidé de décimer. Les parents des déportés payaient de fortes sommes pour avoir ces lettres.

Un bandit de grand chemin, nommé commandant la milice, avait été lui-même chargé de transmettre cette correspondance, après avoir exécutés les déportés. Une fois sa mission confidentielle achevée, le gouvernement le fit assassiner. Il s’appelait « Ammi Hassa ».

Massacres des protestants
des Chaldéens et des Syriaques
.

Les massacres s’étendirent d’abord aux Protestants, aux Chaldéens et aux Syriaques. A Diarbékir pas un Protestant ne fut épargné. Quatre-vingt familles syriaques et un grand nombre de Chaldéens y trouvèrent aussi la mort. Dans le reste de la province, nul ne fut épargné si ce n’est à Médiat et à Mardine. [p26] Mais quand l’ordre arriva de faire grâce à ceux qui n’étaient pas Arméniens, les différentes communautés n’eurent plus beaucoup à souffrir.

A Médiat

Les Syriaques du Caza de Médiat sont très courageux. Ayant appris les malheurs de leurs frères de Diarbékir, ils se fortifièrent dans trois villages voisins et se défendirent héroïquement. En vain le gouvernement dirigea contre eux des troupes régulières et des tribus kurdes, ils restèrent invincibles et parvinrent à sauver leur vie et leurs biens des atrocités d’un gouvernement tyrannique. Un iradié impérial leur ayant accordé une amnistie, ils n’y ajoutèrent aucune foi ; car ils savaient avoir affaire au plus menteur des gouvernements qui retire aujourd’hui ce qu’il a accordé la veille et qui châtie plus durement ceux qu’il a amnistiés.

Propos d'un agent postal

Dans un café de Diarbékir, un agent de l’administration des postes eut un jour avec un de mes amis la conversation suivante en ma présence.

L’Agent : Je trouve encore à Diarbékir beaucoup d’Arméniens, pourquoi les y-a-t-on laissés ?

Mon ami : Ce sont point des Arméniens, ce sont des Syriaques ou des Chaldéens.

L’Agent : – Pourtant le gouvernement n’a pas laissé un seul chrétien dans le vilayet de Bitlis et le Iewa de Mouch ; de sorte que si un médecin prescrivait pour la guérison d’un malade le cœur d’un chrétien, [p27] on ne pourrait trouver ce remède dans tout le vilayet !....

Éxécution des Arméniens

Les Arméniens sont mis à mort d’une manière qui fait blanchir les cheveux et courir un frisson d’horreur sur le corps.

Un militaire de Diarbékir m’a fait la description suivante de la méthode ordinairement suivie pour l’exécution des Arméniens.

« Quand on reçoit l’ordre d’anéantir une famille arménienne, le mâ'mour se rend chez elle, il en compte les membres et les consigne au commandant de la milice ou à l’un de ses officiers. Celui-ci laisse quelques-uns de ses hommes à la garde de la maison jusqu’à 8 heures du soir. Les malheureux habitants ont vite fait de comprendre qu’ils vivent leur dernier jour et qu’ils doivent se préparer à comparaître devant Dieu : les femmes pleurent et gémissent ; les hommes demeurent dans un morne abattement ; les enfants crient en voyant l’état de leurs parents, ou bien jouent allègrement ne se doutant pas de ce qui les attend dans quelques moments. Après 8 heures arrivent les chariots qui doivent emporter ces malheureux vers un endroit voisin, où ils seront mis à mort à coup de fusil ; souvent aussi on les égorge comlmer des moutons, ou on les abat à coup de hache.

Les biens des Arméniens et les croix de leurs églises

Après l’exécution des Arméniens, le gouvernement mît la main sur tout leurs meubles et les [p28] différents objets qu’on put trouver dans leur logis ou dans leurs magasins. Le tout fut déposé dans les églises ou dans les grandes habitations, et des commissions furent formées pour procéder à la vente de ces objets, comme on vend des biens des personnes décédées, à la seule différence que les prix de ces biens est ordinairement remis aux héritiers alors que le prix des biens des Arméniens revient au trésor turc.

La vente eut lieu à des prix dérisoires ; un beau tapis qui pouvait valoir une trentaine de libres était adjugé à 4 ou 5 livres ; les objets d’art étaient cédés presque pour rien. Quand à l’argent et les bijoux, ils furent réunis par les soins du commandant Ruchdi bey et du vali Rachid bey ; ce dernier les emporta avec lui à Constantinople pour les remettre en personne à Taalat bey.

Je suis allé un jour à l’église pour me rendre compte par moi-même de la manière dont on disposait des biens des Arméniens…C’est un spectacle que j’aurais du m’éviter ; car le cœur se fend de tristesse quand on voit entre les mains d’un Kurde une magnifique robe de mariée et qu’on pense que la belle jeune fille à qui cette riche toilette était destinée, à dû trouver un affreux trépas ; et les yeux se mouillent de larmes quand on voit vendre à vil prix un fauteuil où devait s’asseoir quelques jeunes savant amoureux de vérité…

Qui pourrait décrire les sentiments qui serrent le cœur du spectateur quand il songe à cette malheureuse et héroïque nation qui a étonné le monde par son courage et son intrépidité, et qui, hier encore, était la plus vivace et la plus avancée des [p29] nations qui peuplent l’empire ottoman et qui n’est plus aujourd’hui qu’un souvenir du passé. Ses écoles, autrefois pleines d’écoliers, sont maintenant désertes ; les livres les plus précieux servent aux épiciers pour envelopper le fromage ; trente volumes en français furent vendus à une cinquantaine de piastres.

Tel a été le sort des malheureux Arméniens et de leurs biens. Il doit servir d’exemple aux nations asservies qui cherchent leur liberté et qui devraient savoir que la liberté ne s’obtient qu’au prix du sans et non pas par les paroles, armes des impuissants.

De mes propres yeux j’ai vu arracher les croix des clochers des églises arméniennes qu’on transformait en dépôts ou en salles de vente.

Différentes méthodes d'exécution

Les procédés adoptés pour exécuter les Arméniens sont nombreux :

A Bitlis – c’est un officier qui m’en fit le récit – les autorités emprisonnaient les Arméniens dans les dépôts de foin. Ordre était donné ensuite de mettre le feu à la paille et les malheureux y mouraient ainsi asphyxiés. Souvent on exécutait de cette manière plusieurs centaines de fois. Et l’officier me dit avoir vu de ses yeux une nouvelle mariée mourir de cette mort dans les bras de son mari.

A Mouch beaucoup d’Arméniens furent aussi asphyxiés dans les magasins de foin. Mais la plupart furent fusillés ou égorgés. Le gouvernement engageait des bouchers à cet effet et leur payait une livre turque de salaire par jour.
[p30]
Un médecin nommé Aziz bey, me raconta qu’étant au caza de Merzifoun (vilayet de Sivas) il apprit qu’une caravane d’Arméniens devait être envoyée à la mort ; il se rendit aussitôt auprès du kaimakam et lui tint ces propos : « Je suis médecin, et il y a une grande différence entre les médecins et les bouchers, souvent nous travaillons, nous aussi, à la dissection ; je vous prie donc de m’autoriser à aller voir cette opération.

J’obtins l’autorisation, continua mon interlocuteur, et me rendis à l’endroit désigné ; j’y trouvai quatre bouchers tenant chacun un grand couteau ; devant eux les gendarmes divisaient les Arméniens par groupe de dix et les présentaient les uns après les autres au bourreau qui disait à sa victime « Tends le cou ». La victime tendait le cou et le boucher l’immolait, comme un mouton.

Le médecin qui me fit ce récit ne cessait d’admirer le courage des Arméniens qui acceptaient la mort stoïquement, sans prononcer un mot, sans montrer aucune peur.

Ailleurs les gendarmes liaient ensemble femmes et enfants et les précipitaient d’un endroit fort élevé ; ils arrivaient à terre en lambeaux sanglants. Cet endroit, d’après les indications qui m’ont été données, se trouve en Diarbékir et Mardin, et les ossements y forment maintenant une petite colline.

A Diarbékir, le gouvernement usa de plusieurs procédés pour tuer les Arméniens, c’était tantôt par le feu, tantôt par le fer, souvent aussi il les jetait dans des puits ou des grottes dont il faisait fermer [p31] l’orifice pour les y laisser mourir de la plus affreuse des morts, parfois encore il les noyait dans le Tigre et l’Euphrate. Deux mille Arméniens furent massacrés à une demi-heure de distance de Diarbékir, entre le palais du sultan Murad et le Tigre.

Barbarie de la milice et des tribus

Quand aux agissements barbares des gendarmes et des tribus kurdes, ils sont au dessus de toute imagination. Lorsqu’une caravane est consignée aux gendarmes, ils en fouillent toutes les personnes, femmes et hommes pour les dépouiller de tout ce qu’elles possèdent.

Vente des caravanes

Quand les gendarmes ont dépouillé leurs malheureuses victimes de tout objet de valeur, ils les vendent aux Kurdes, ne mettant pour condition que celle de ne pas les laisser vivantes. Pour le prix, il varie selon le nombre de personnes qui composent le convoi. Ainsi j’ai appris de plusieurs gens dignes de foi qu’une caravane a été vendue aux kurdes pour la somme de 2.000 livres, une autre pour 700, et une troisième pour 200.

Les dents en or

Malheur à ceux qui ont des dents montées en or! Les Kurdes et les gendarmes les leur arrachent avant de les tuer, leur faisant ainsi subir toutes les tortures.

Un Kurde tue à lui seul 50.000 Arméniens

Un Kurde me raconta que le gouverneur de [p32] Kharpout a livré à un agha kurde 50.000 Arméniens, de Erzeroum, Trébizonde, Sivas et Constantinople, avec ordre de les mettre à mort et de partager avec les autorités l’argent qu’il pourrait en tirer. Il fit massacrer les 50.000, après les avoir dépouillés de tout ce qu’ils possédaient. Il s’était arrangé pour fournir six cents mulets aux femmes pour leur faciliter le voyage, à raison de trois livres par mulet. Après avoir payé le prix convenu, il réquisitionna les bêtes de somme de sa tribu et ayant conduit les femmes à un endroit situé entre Malatia et Ourfa, il les fit toutes massacrer et s’empara de leurs bijoux et de leurs objets d’ornement.

Viol des femmes après leur mort

Les Kurdes et les gendarmes ont violé un nombre considérable de jeunes filles arméniennes. Celles qui opposaient quelques résistances étaient tuées, et ces bêtes féroces assouvissaient leur passion abominable même sur des agonisantes.

Histoire d'un vieillard et d'une jeune fille

Nous avons mentionné au cours de ce récit que les femmes arméniennes étaient, sous la conduite d’un gendarme, déportées par caravanes. Quand une de ces caravanes passait par un village, les habitants en achetaient les femmes qui leur plaisaient, moyennant quelques pièces d’argent qu’ils versaient aux conducteurs de la caravane. C’est ainsi qu’un vieillard sexagénaire se choisi une belle jeune fille de 16 ans à peine. Celle-ci ne voulut point de lui et demanda à embrasser l’islamisme. Mais on n’accéda pas à sa demande et on lui proposa de choisir entre [p33] la mort et le vieillard. Ayant persisté dans son refus, elle fut tuée sur le champ.

Barsoum Agha

Quand j’étais kaimakam au caza de Kathta (vilayet de Kharpout), je m’étais lié d’amitié avec un notable arménien du nom de Barsoum agha. C’était un homme généreux et courageux qui entretenait d’excellentes relations avec les Kurdes, les Turcs et les Arméniens indistinctement ; il venait aussi en aide à tous les fonctionnaires destitués. Mais les aghas kurdes l’espionnaient, car ils lui en voulaient de partager leur influence. Quand, dans mon exil, je suis arrivé à Séwerek, je me suis empressé de demander de ses nouvelles, et j’ai appris que le gouvernement après avoir arrêté les Arméniens, lui avait intimé l’ordre de livrer ses cahiers de comptabilité, car il avait prêté aux habitants de caza une somme d’environ 10.000 livres. Il répondit qu’il avait détruit les cahiers et les traites que ses débiteurs lui avaient souscrites, libérant ainsi de lui-même ses débiteurs de ce qu’ils devaient. On le fit partir avec ses compatriotes déportés. Arrivé près de l’Euphrate, il demanda de s’y noyer. On accéda à sa demande ; mais il ne put exécuter son projet, et se tournant vers les gendarmes, il leur dit : « La vie est chère et je ne parviens pas à me suicider ». L’un d’eux lui envoya une balle qui mit fin à ses jours. Et il périt avec toute sa famille.

Propos d'un jeune maître d'école turc
de Diarbékir

Un jeune Turc m’a raconté que les autorités avaient fait savoir aux Arméniens de Brousse qu’il [p34] avait été décidé de les exiler à Mossoul, en Syrie et à Deir-el-Zor. On leur donnait trois jours pour s’y préparer. Ces malheureux vendirent donc ce qu’ils purent de leurs meubles et prirent en location des voitures et des chariots pour leur transport et celui de leurs bagages. En route, leurs conducteurs les ayant amenés à un endroit éloigné des lieux habités, brisèrent les voitures et abandonnèrent ces pauvres exilés dans le désert, conformément aux ordres qui leur avaient été donnés ; et, pendant la nuit, ils revinrent les dépouiller de tout ce qu’ils possédaient. Beaucoup de ces malheureux périrent de faim et de peur, d’autres furent massacrés en route, et il n’en arriva en Syrie et à Deir-el-Zor qu’un petit nombre.

Des enfants qui meurent de faim et de soif

Un Arabe d’Al-Guéziret qui m’avait accompagné lors de mon évasion de Diarkékir, me raconta qu’il était un jour parti avec un cheikh de sa tribu et une caravane d’hommes et de chameaux pour acheter des denrées auprès des enfants d’Ibrahim pacha El-Molli. En route, ils rencontrèrent dix sep enfants mourant de faim et de soif ; le plus âgé ne pouvait guère avoir plus de treize ans. « Notre cheikh, à leur vue, pleura de compassion ; nous avions une petite outre d’eau et un peu de pain ; il les fit boire et manger de se propres mains. Mais à quoi pouvait leur servir ce secours momentané ? Car si nous les emmenions avec nous, ils étaient voués à la mort, attendu que les Kurdes avaient massacré, par ordre du gouvernement, tous les Arméniens de la contrée, et nous étions encore à une distance de cinq journées de marche de nos Bédouins. Nous dûmes dons laisser ces pauvres petits à la miséricorde de Dieu. A notre retour, une semaine après, nous les trouvâmes tous morts.»

Histoire d'un jeune enfant

Nous causions un jour du courage des Arméniens ; le mudir de la contrée nous fit le merveilleux récit suivant :
« Selon les ordres reçus, j’avais assemblé les Arméniens qui restaient dans la localité ; dix sept femmes et quelques enfants. Parmi eux se trouvait un enfant chétif, de trois ans, qui ne marchait pas encore. Lorsque le boucher égorgea les femmes et que le tour arriva à la mère de cet enfant, celui-ci se dressa sur ses pieds brusquement, fit plusieurs pas, puis tomba. Nous en demeurâmes émerveillés ; mais un gendarme saisit le petit et le jeta sur le cadavre de sa mère ».

Le mudir nous raconta aussi qu’il avait vu une de ces femmes s’avancer vers le bourreau en mangeant un morceau de pain et une autre, une cigarette à la bouche, ne se souciant nullement de la mort.

Récit de Chawket bey
à propos d'une petite arménienne

Un jour, j’entendis dans une réunion un fonctionnaire, un de ceux qui avaient été chargés de l’exécution des Arméniens et qui s’appelait Chawket bey, faire le récit suivant :

« J’accompagnais, dit il, un convoi d’Arméniens. Arrivés hors de l’enceinte de Diarbékir, nous commençames à tirer sur les Arméniens, lorsqu’un [p36] Kurde se présenta à moi et, me couvrant les mains de baisers, il me demanda d’épargner une petite fille de dix ans qui se trouvait dans le convoi, pour la lui remettre. Je fis aussitôt arrêter le tir et envoyai un gendarme m’amener la petite fille indiquée. Je la fis asseoir et lui dis : « Nous allons te remettre à cet homme et tu auras la vie sauve ».

Quelques instants après, nous la vîmes se jeter dans la masse des condamnés. Je fis de nouveau arrêter le tir et ramener auprès de moi la fille à qui je dis : « J’ai eu pitié de toi, et je t’ai fait retirer d’entre les condamnés pour te sauver. Pourquoi y es tu retournée ? Va-t-en avec cet homme qui t’élèvera comme sa propre fille ». Elle me répondit : « Je suis une Arménienne, ma mère, mon père et mes autres parents se trouvent entre ceux qu’on vient de tuer, je n’en veux point d’autres pour parents ; et je ne veux pas survivre aux miens une seule heure ».

Elle parlait en sanglotant.

Longtemps je cherchais à la convaincre de s’en aller avec le Kurde. Elle s’obstina dans son refus. Lui ayant alors rendu la liberté, je la vis toute contente courir se jeter entre son père et sa mère agonisants où elle fut tuée à son tour ».

Après ce récit, le fonctionnaire dit : « Si leurs enfants se conduisent de la sorte, que dire de leurs hommes ».

Le prix des Arméniennes

Un homme digne de foi m’a raconté qu’un fonctionnaire avait acheté à Deir-el-Zor trois filles [p37] à raison d’un quart de talari l’une. Un autre m’a appris qu’il avait acheté lui-même une fort belle jeune fille pour une livre. J’ai entendu dans les tribus que les Arméniennes ont été vendues comme une vile marchandise d’une à dix livres, ou d’une à cinq brebis.

L’avocat et la petite arménienne

Nous étions un jour dans le cabinet d’un avocat, lorsqu’une petite fille qu’il connaissait se présenta à nous.

– Tu es encore une Arménienne lui dit l’avocat, tu n’es pas devenue musulmane !

– Je suis musulmane, répondit-elle, en palissant. Comment ne le serais-je pas, quand mon père, ma mère et mes frères ont été massacrés devant mes yeux !

Nous restâmes émerveillés de l’intelligence de cette petite fille qui se souvenait ainsi du meurtre de ses parents.

Le mutessarif et la jeune Arménienne

Un convoi d’Arméniens était récemment arrivé de Ras el-Ain à Deir-el-Zor. Le mutessarif, gouverneur de la localité, voulut choisir parmi les Arméniennes une servante pour sa maison. Son choix tomba sur une belle jeune fille, et, s’étant approché d’elle, il la vit pâlir et trembler de tous ses membres. Il la tranquillisa de son mieux et l’envoya chez lui avec son domestique. Puis s’étant rendu lui-même à la maison, il interrogea la jeune fille sur la cause du trouble qu’elle avait montré.
[p38]
« J’ai été déportée avec ma mère, répondit-elle, en compagnie de plusieurs Arméniennes de Ras el-Ain, sous la conduite d’un gendarme circassien. A mi-chemin, cet homme exigea de ma mère une somme d’argent qu’elle dit ne pas pouvoir payer. Il la mit à la torture, et elle finit par lui donner six livres qu’elle avait cachées dans une partie intime de son corps. »

« Traîtresse ! lui cria-t-il. Quand donc toi et tes semblables renoncerez-vous à la trahison ? Vous avez vu ce qui est advenu des vôtres, sans vous repentir. Je ferai de toi un exemple pour tous les Arméniens ».

« Et aussitôt, la frappant de son poignard, il lui coupa un bras, puis le second ; il lui coupa ensuite les deux pieds devant mes yeux ; et me prenant par la main, à quelques pas de nos compagnes, il me viola devant ma mère agonisante, qui me regardait les yeux pleins de larmes ».

« Telle est mon histoire. Aussi lorsque tu t’es approché de moi, je n’ai pu m’empêcher de songer au sort de ma mère et j’ai eu peur que tu me fisses de moi ce que le gendarme a fait à ma mère devant moi ou ce qu’il m’a fait devant ma mère ».

Histoire d'une autre jeune Arménienne

Un jour, j’étais en visite chez un grand fonctionnaire de Diarbékir. Il avait à son service une jeune Arménienne qui, nous ayant servi le café, se retira discrètement ; et le fonctionnaire me tint le propos suivant :

Cette jeune fille que tu viens de voir me répète souvent : « Les fonctionnaires, les officiers, les soldats, [p39]les Kurdes et tous les habitants de Diarbékir sont rassasiés de jeunes filles arméniennes. Si Dieu vous pardonne tout cela et laisse impunis le meurtre des hommes et le viol des femmes, il ne laissera pas sans châtiment ceux qui ont ordonné le massacre des enfants innocents ».

Une récompense injuste

Les Turcs avaient enrôlés, dans différents régiments, les jeunes Arméniens en âge du service militaire. Quand le gouvernement décida de déporter les Arméniens pour les anéantir, des ordres furent donnés aux officiers pour rassembler les jeunes Arméniens des différentes unités de l’armée pour en former des régiments distincts qui seraient chargés de la réparation des routes et des travaux municipaux. On les occupa à ces travaux pendant huit mois jusqu’à l’époque des pluies et des grandes neiges, où il n’était plus possible de les utiliser. Le gouvernement les envoya alors d’Erzerom, de Trébizonde et d’autres localités éloignées vers Diarbékir, dénommé par les exilés « la Citadelle du Sang ». Une dépêche avisa les autorités de cette ville de l’arrivée de ces jeunes gens. Elles envoyèrent à leur rencontre des gendarmes tout armés qui les reçurent à coup de fusil. Le dernier convoi ainsi expédié à Diarbékir était composé de 840 jeunes gens qui furent tous fusillés loin de la ville.

Une caravanne de femmes

Un jour, j’étais assis dans une boutique, au bazar de Diarbékir, avec deux médecins de l’hôpital militaire, lorsque nous vîmes une grande multitude [p40] de personnes se diriger vers l’extérieur de la ville. Ayant demandé les raisons de ce va-et-vient, nous apprîmes qu’un troupeau de femmes arméniennes était arrivé et que le gouvernement l’envoyait là où il avait envoyé les caravanes précédentes ; les habitants allaient pour s’en choisir des servantes.

Un des deux médecins, se tournant vers son collègue, lui dit : « Pourquoi n’en choisirions-nous pas une vingtaine de femmes pour en faire des gardes-malades qui pourraient nous servir ? ».
Son collègue approuva cette proposition et l’un deux suivit les habitants pour faire son choix. Quelques temps après, j’appris qu’il avait trouvé parmi les femmes de la caravane ce qu’il voulait.

C’est ainsi que les Arméniennes étaient distribuées comme un vil troupeau et celles qu’on ne pouvait utiliser étaient envoyées à la mort.

L’hospitatlité d'une nuit pour 50 livres

Celui qui montra le plus de zèle dans l’extermination des Arméniens est certainement Rachid bey, gouverneur de Diarbékir. Nous avons déjà mentionné le nombre de ceux qui furent massacrés dans son vilayet. Lorsqu’arriva la nouvelle de sa destitution, une grande joie entra au cœur des Arméniens survivants et de tous les chrétiens de la contrée. Certains Arméniens qui s’étaient cachés, sortirent de leur cachette quand ils apprirent la destitution de ce vali. Mais lui, ne voulant pas divulguer la nouvelle et cherchant toujours à répandre la terreur, donna des ordres plus sévères encore de déporter les Arméniens qui restaient. Ceux-ci s’empressèrent de se [p41] cacher à nouveau. Et un notable de Diarbékir raconte qu’un Arménien a payé cinquante livres à un Kurde pour le cacher dans sa maison pour une seule nuit, celle qui précéda le jour où devait partir Rachjid bey. Un autre Arménien proposa à ce même notable trois livres par nuit jusqu’au départ du vali, mais il refusa par crainte des représailles des autorités.

Honnêteté des Arméniens

Un fonctionnaire me raconta qu’un jour il vit une barque chargée de filles arméniennes ; et il désirait s’en choisir une. Elles répondirent que celle qui serait sauvée par son intervention lui offrirait une certaine somme d’argent en cadeau. Il leur dit alors qu’il désirait une jeune fille pour son service et ses plaisirs .Et toutes de lui répondre : « Quand à ton service, chacune de nous est prête à le faire, mais pour ce qui peut porter atteinte à l’honneur, nous le refusons toutes, préférant la mort à la honte ».

Et, de fait, aucune ne voulut partir avec lui.

Quelque temps après, il trouva une jeune Arménienne chez un gendarme, et il la prit à son service, ce dont elle s’acquitta avec beaucoup de soins.

Etant rentré un soir chez lui, tard dans la nuit, en état d’ivresse, il trouva toute sa famille endormie et la jeune Arménienne attendant son retour pour le servir.

« M’étant déshabillé, continua-t-il à me raconter, je fus tenté de posséder cette fille ; je m’approchai d’elle pour l’embrasser, mais elle s’échappa en disant : « Je suis faible et refugié chez toi. Je sais que tu es honnête et que c’est la boisson qui te pousse [p42] au mal. Je te prie de me tuer plutôt que de souiller ma chasteté, car je préfère la mort à une vie sans honneur ».

Il la laissa sans pouvoir rien obtenir d’elle.

Trois Arméniennes qui se noient dans l'Euphrate

Un Arabe de la tribu « Oukaidat » m’a fait le récit suivant :

« J’étais en marche sur la rive de l’Euphrate, près de Deir-el-Zor, lorsque je vis quelques misérables bergers en train de dépouiller deux malheureuses femmes de leurs vêtements ; ils leur prirent tout ce qui leur couvrait le corps et les laissèrent toutes nues. J’essayai de leur faire rendre quelque linge pour se couvrir ; mais leurs infâmes dépouilleurs ne me répondirent même pas. Ma tribu était loin et je ne pouvais porter secours aux deux pauvres femmes que j’entendais crier à leurs ravisseurs « Khiva Allah » en élevant les mains au ciel comme pour leur dire : « Ayez honte et craigniez Dieu ». Mais leurs supplications restèrent sans réponse, et alors préférant la mort à une vie misérable, elles se jetèrent dans le fleuve.

Ce même Arabe m’a raconté aussi l’histoire d’une femme qui portant un enfant à la mamelle, mendiait dans les rues de Deir un morceau de pain ; mais personne n’osait lui faire l’aumône, par crainte des autorités. Elle resta ainsi deux nuits sans manger, et n’ayant rien obtenu le troisième jour, elle abandonna son enfant au marché de la ville et se jeta elle-même dans le fleuve.

C’est ainsi que les femmes montrèrent un courage et une grandeur de caractère qu’on ne trouverait pas chez beaucoup d’hommes.
[p43]

Les servantes de Diarbékir

Vous ne pouvez pénétrer dans une maison à Diarbékir sans trouver d’une à cinq servantes arméniennes. Le plus petit marchand possède, pour le servir, une jeune arménienne qui, du vivant de ses parents, ne daignait même pas adresser la parole à celui qu’elle est obligé maintenant de servir pour avoir la vie sauve. On m’a rapporté que le nombre de jeunes filles et de femmes arméniennes servant dans les maisons de Diarbékir atteignit environ 5.000, venues pour la plupart d’ Erzeroum, de Kharpout et d’autres provinces.

Chahin bey et la jeune Arménienne

Un nommé Chahin bey, de Diarbékir qui était en prison avec moi, me fit le récit suivant :
« Etant dans l’armée, on me confia un convoi d’Arméniens, hommes et femmes, que je devais exécuter. Je trouvai parmi eux, en route, une fort belle jeune fille que je connaissais, je l’appelai et lui dis :
– Je voudrais te sauver ; accepte donc d’épouser un jeune Kurde ou Turc de ta province.

Elle refusa et me dit :
– Si tu veux me faire plaisir je te demanderai un service.
– Je suis prêt, lui répondis-je, à faire ce que tu désires.
– J’ai un frère, dit-elle, plus jeune que moi [p44]qui se trouve dans le convoi des hommes. Je te prie instamment de le tuer avant moi pour que je puisse mourir tranquille sur son sort.

Elle m’indiqua son frère que je fis appeler aussitôt. Elle s’adressa à lui en ces termes.
« Frère, je te remets à Dieu ! Viens que je t’embrasse pour la dernière fois ; nous nous retrouverons dans l’autre monde et Dieu nous vengera bientôt de ceux qui nous tyrannisent ! »

Ils s’embrassèrent, et le frère se livra à moi. Je ne pus qu’obéir à la volonté de sa sœur et lui assénai sur la tête un coup de hache qui fit voler sa cervelle en éclat.
« Je te remercie de tout cœur, me dit la sœur, et je te prie d’achever ton bienfait ! »

Puis, fermant ses yeux noirs de sa main, elle me dit :
« Frappe moi comme tu as frappé mon frère et ne me fais pas souffrir ! »

Je lui donnai un coup qui la tua ; et jusqu'à présent je ne cesse de regretter sa beauté et sa jeunesse et d’admirer son courage.

Travestissement des Arméniens en Kurdes et
envoi de leurs photographies à Constantinople

Le gouvernement turc pensa que les gouvernements européens ne tarderaient pas à apprendre l’extermination des Arméniens et que la nouvelle en serait publié dans le monde entier ce qui ne manquerait pas de soulever l’opinion publique contre les Turcs. Aussi ses agents ayant massacré [p45] un certain nombre d’Arméniens, travestirent les cadavres en Kurdes, couvrant les têtes de turbans, et firent venir des pleureuses kurdes qui entourèrent les cadavres en poussant des lamentations. Un photographe, engagé à cet effet, photographia ces scènes dans le but de faire accroître plus tard à l’Europe que c’étaient les Arméniens qui les premiers, avaient attaqué les Kurdes et en avaient tué un grand nombre, et qu’alors seulement les tribus kurdes, exaspérées, s’étaient vengées des Arméniens sans que le gouvernement turc eut trempé en quoi que ce soit dans le massacre de ces derniers.

Mais les gens avisés, voyant le travestissement des cadavres arméniens en Kurdes, comprirent le jeu et divulguèrent la nouvelle à Diarbékir.

Les Arméniennes devenues musulmanes

Lorsque le gouvernement commença l’extermination des Arméniens, un certain nombre de femmes arméniennes s’adressèrent au mufti de Diarbékir et au grand cadi, demandant à embrasser l’islamisme. On accéda à leur demande et on les maria à des Kurdes ou à des Turcs de Diarbékir.

Mais quelque temps après, le gouvernement ayant ordonné de rassembler ces femmes, le mufti et le cadi se rendirent auprès du vali et lui expliquèrent que ces femmes, étant devenues musulmanes, ne pouvaient plus être considérées comme Arméniennes, or le Chari, loi de l’Islam, défend de mettre à mort des Musulmanes.

Le vali leur répondit : « Ces femmes sont des vipères qui peuvent mordre un jour ou l’autre. La [p46] politique n’a pas de religion. N’objectez donc pas à la décision du gouvernement qui sait ce qu’il a à faire.

Le mufti et le cadi revinrent désappointés et les femmes furent envoyées à la mort.

Mais lorsque le vali fut destitué sous l’accusation de détournement dans la vente des biens enlevés aux Arméniens, on donna l’ordre d’accepter la conversion à l’islam tous ceux qui voulaient se convertir, hommes ou femmes. Quelques survivants, espérant ainsi échapper à la mort, s’empressèrent d’embrasser l’Islam, mais cela ne leur servit de rien et ils furent exécutés, quelque temps après, comme les autres.

Les Allemands et les Arméniens

Toutes les fois qu’il était question des Arméniens, je ne manquais pas de blâmer les Turcs pour leur conduite. Un jour que la conversation roulait sur ce sujet et que j’exprimais mon opinion comme d’habitude, un jeune Turc, fort épris d’idées nationalistes me dit :

« Les Turcs ne méritent de ce chef aucun blâme. Les Allemands ont été les premiers à mettre en exécution un pareil plan en ce qui regarde les Polonais qui sont sous leur domination. Ce sont eux aussi qui forcèrent les Turcs à adopter cette ligne de conduite, parce qu’ils leur firent entendre qu’ils ne pouvaient s’accorder avec eux, s’ils ne se décidaient pas à exterminer les Arméniens. Et c’est ainsi que la Turquie a été contrainte d’agir comme elle l’a fait ».
[p47]
C’est le propos tenu par ce Turc que je reproduis fidèlement sans rien y ajouter, ses paroles me firent souvenir de ce que m’avait raconté un autre Turc qui était détenu avec moi à Aley (Liban) pour accusation politique. Il avait, lors de son passage à Damas rendu visite au vice-consul d’Allemagne qui lui avait appris confidentiellement que l’ambassadeur Oppenheim était arrivé en mission spéciale, laquelle mission consisterait à encourager Djémal pacha à s’attaquer aux Arabes pour jeter la discorde entre les deux éléments de la nation et ce dans le but de profiter des Arabes, si les Turcs venaient un jour à se tourner contre les Allemands.

L’assassinat de deux kaimakans

Quand le gouvernement de Diarbékir envoya l’ordre aux différents fonctionnaires de décimer les Arméniens, le kaîmakamat du casa « Al-Béchiri », était occupé par un Arabe de Bagdad, et celui de Lidja par un Albanais. Ceux-ci, aussitôt l’ordre reçu, envoyèrent une dépêche au gouverneur général disant que leur conscience ne leur permettait pas de commettre une pareille action, aussi présentaient-ils leur démission. Elle fut acceptée ; mais les deux kaîmakams furent assassinés en route.

Je me suis assuré de ce fait par moi-même et mes renseignements m’apprirent que le Kaîmakam arabe s’appelait Sabet bey el-Soueidi, quant au kaîmakam albanais, je n’ai pas pu identifier son nom, et je regrette de n’avoir pas pu le faire ; car les noms de ces deux hommes consciencieux mériteraient d’être conservés.
[p48]

Le cadi assassin

Après l’assassinat du kaïmakam d’Al-Béchiri que je viens de relater, son poste fut occupé par le cadi du Mehkémeh, d’origine turque. Un jour que le cadi se trouvait à Diarbékir dans une réunion où je me trouvais moi-même, je l’entendis se vanter d’avoir tué de ses propres mains quatre Arméniens qui avaient accepté la mort joyeusement. Le Cadi racontait cet incident en reconnaissant le courage des Arméniens et en se glorifiant de son courage à lui.

Par ordre du Sultan

Alors que j’étais en prison, un commissaire turc de la police y venait souvent pour rendre visite à l’un de ses amis, détenu dans la même cellule que moi. Un jour la conversation roula sur les Arméniens et leurs malheurs ; le commissaire nous expliqua comment il avait tué plusieurs d’entre eux ; quelques uns s’étant refugié dans une caverne en dehors des remparts de la ville. Il avait découvert leur refuge et massacrés deux de ces malheureux.

Son ami ne put s’empêcher de lui dire ; « Ne crains-tu donc pas Dieu ? De quel droit oses-tu tuer les êtres qu’Allah nous défend de tuer ».

Il répondu : « C’est un ordre du Sultan : l’ordre du sultan est l’ordre de Dieu, et l’exécuter est un devoir !

L’Arabe et la mendiante arménienne

Un soldat arabe de Bagdad qui rentrait d’Erzeroum me fit le récit suivant : « J’étais un jour dans [p49] un café à Diarbékir, lorsque vint à passer une mendiante qui demandait l’aumône ; et tout le monde de lui cracher au visage et de lui faire entendre les paroles les plus injurieuses. Pris de compassion pour cette malheureuse, je dis à mes voisins : « Vous pouvez lui refuser l’aumône, mais vous n’avez pas le droit de la maltraiter », et j’essayai en même temps de lui donner quelques pièces d’argent. Mais les assistants objectèrent : C’est une Arménienne ! Le gouvernement punit sévèrement ceux qui font du bien à cette race qui doit être exterminée ! ».

Statistique des massacres arméniens

Vers la fin du mois d’août 1915 un de mes compagnons à Diarbékir vint me visiter dans ma prison ; il était l’ami intime d’un des fonctionnaires chargés de diriger les massacres des Arméniens. J’appris de lui au cours de notre conversation que le nombre des Arméniens de Diarbékir et d’autres vilayets qui avaient été massacrés jusqu’à ce jour était de 570.000.

Si donc nous y ajoutons :
. ceux qui furent massacrés dans les mois suivants au nombre de 50.000
. ceux qui furent massacrés dans les vilayets de Bitlis et de Van et dans le lewa de Mouch au nombre de 230.000.
. et ceux qui périrent dans les vilayets de Erzeroum, Karpout, Sivas, Constantinople, Trébizonde, Adana, Brousse, Ourfa, Zeitoun et Aintab, au nombre de 350.000
nous trouvons que les Arméniens qui furent massacrés ou périrent par la faim, [p50] la soif et les maladies ne sont pas moins de 1.200.000.

Ce nombre ajouté à celui des Arméniens survivants, cela donne le total de 1.900.000, chiffre indiqué au début de ce récit (p.9) pour la population arménienne de l’empire ottoman.

J’ai lu à ce propos dans le journal Al Mokattam l’entrefilet suivant :

« Le correspondant du Temps à Bâle mande que les rapports reçus d’Alep confirment qu’il existe 492.000 Arméniens exilés à Mossoul, à Diarbékir, à Alep, à Damas et à Deir-el-Zor ».

« Talaat bey, ministre de l’intérieur de Turquie, évalue à 800.000 ceux qui ont été exilés, et il dit que ceux d’entre eux qui sont morts ou qui ont été déportés durant ces derniers mois atteignent le nombre de 300.000 ».

« Il ressort par ailleurs d’une autre statistique que les Arméniens déportés sont au nombre de 1.200.000 dont plus de 500.000 ont été massacrés ou sont morts de misère ».
(Al-Mokattam du 30 mai 1916, N° 8270).

Conclusion

Si l’on demande au gouvernement turc les motifs pour lesquels il a massacré les Arméniens, hommes, femmes et enfants, et livré leur honneur et leurs biens au viol et au pillage, il répondrait que les Arméniens ont tué des musulmans à Van, qu’ils recélaient des armes prohibées et des matières explosibles, ainsi que les insignes d’un Etat arménien tels que drapeaux et autres ; et que tout cela [p51]indiquait clairement, que cette communauté poursuivait ses intrigues, attendant une occasion favorable pour fomenter des troubles et massacrer les musulmans, en se faisant aider par la Russie, ennemie de la Turquie.

Telles sont les allégations du gouvernement turc !

Or j’ai étudié cette question à ses sources les plus autorisées ; je me suis informé auprès des habitants et fonctionnaires de Van qui se trouvaient à Diarbékir et j’ai appris de mon enquête que les Arméniens n’avaient tué aucun musulman, ni dans les localités environnantes, mais que le gouvernement avait ordonné aux habitants de quitter la ville bien avant que les Russes n’y fussent arrivés ou qu’aucun homme n’y fût tué. Le gouvernement avait demandé aux Arméniens leurs armes, mais ceux-ci refusent de les livrer par crainte des Kurdes et du gouvernement lui-même qui exigea alors qu’on remit entre ses mains les notables de la communauté comme otages. Ce qu’on se garda bien de faire.

Tout ceci avait lieu au moment où les Russes marchaient sur Van. Mais dans le reste du vilayet le gouvernement rassembla les Arméniens et les dirigea vers l’intérieur où ils furent tous mis à mort, sans qu’aucun fonctionnaire, qu’aucun Kurde ou turc n’ait été tué par eux.

Quand aux évènements de Diarbékir, le lecteur de cette brochure a pu en connaître les origines : non seulement il n’y eut de la part des Arméniens ni massacre ni trouble, mais ils ne commirent le moindre [p52]fait qui pût justifier les agissements cruels des turcs à leur égard.

A Constantinople, les Arméniens ne commirent non plus aucun acte répréhensible, si ce n’est le complot des vingt révolutionnaires que nous avons raconté au commencement de notre récit et qui d’ailleurs ne repose que sur des fondements peu solides.

A Erzeroum pas plus qu’à Kharpout, à Trébizonde, à Sivas, à Adana, à Bitlis et à Mouch aucun fait avéré à enregistrer contre les Arméniens.

L’incident de Zeitoun est de minime importance ; la révolte d’Ourfa eut pour mobile l’obligation de légitime défense où se trouvaient les Arméniens.

Quand à l’accusation qu’on leur a faite de recéler des bombes et des drapeaux, elle ne peut justifier, même si nous en admettons la véracité, le massacre de toute une nation sans distinction entre les hommes, les femmes, les vieillards et les enfants. C’est un crime que désapprouve l’humanité, l’islam et tous les musulmans ; mais ceux qui ignorent la vérité ne manqueront pas d’en jeter la responsabilité sur le fanatisme religieux.

A ces personnes il nous suffira de rappeler les cruautés commises par les Jeunes Turcs contre les musulmans de Syrie et en Mésopotamie. En effet, ils ont tué en Syrie, iniquement : Choucri bey El-Assali, Abdel-Wahab bey El-Inglizi, Sélim bey El-Gazairi, l’émir Omar El-Hosseini, Abdel-Ghani El-Oreissi, Chafic El Moayad, Rouchdi bey Chamaa, [p53] Abdul-Hamid El Zahrawi, l’émir Aref Chéhabi, Cheikh Ahmad H. Tabbara et plus de trente autres personnalités musulmanes des plus marquantes.

Mon but en publiant cette brochure est de réfuter d’avance toutes les accusations qui seront dirigées contre l’islam et de prouver que la responsabilité des cruautés commises contre les Arméniens retombent sur la tête des membres de l’Union et Progrès qui tiennent les rênes de l’Etat et qui n’ont agi que par fanatisme de race et par jalousie des Arméniens. La religion musulmane les renie !

********

Dans ce qui précède nous avons vu que les Arméniens n’avaient rien fait pour mériter de la part des Turcs ces représailles inconnues dans l’histoire des peuples, même dans les temps ténébreux.

Quelle est la raison qui poussa Tes turcs à exterminer ainsi toute une nation, eux qui proclamaient cependant bien haut que les Arméniens étaient leurs frères, et qu’ils avaient été un facteur fort important pour le renversement du régime tyrannique d’Abdul Hamid et pour la reconnaissance de la constitution ottomane ? Eux qui répétaient que les Arméniens étaient des sujets loyaux, que dans la guerre balkanique ils avaient combattus à côté des Turcs ? Eux enfin qui, par voie officielle, avaient approuvé l’organisation des comités politiques arméniens, au moment où ils refusaient de reconnaître les sociétés similaires des autres éléments de l’empire ottoman ?
[p54]
Quel serait donc le motif de ce revirement subit ?

Le motif en est que les Unionistes qui combattaient le pouvoir absolu et récriminaient contre le gouvernement despotique d’Abdul-Hamid sentirent, quand ils devinrent maîtres du pouvoir et qu’ils eurent goûté les charmes de l’autorité, que le despotisme était le seul moyen qui pût leur conserver cette autorité suprême et les faire jouir des biens de la vie, et assurer en même temps l’hégémonie de la race turque sur les autres races de l’Empire.

Ils comprirent alors que, de toutes les races, la race arménienne était la seule capable de dénoncer et combattre le despotisme, comme elle avait dénoncé et combattu celui d’Abdul-Hamid. Ils virent aussi que les Arméniens leur étaient supérieures par leur instruction et leurs aptitudes qu’ils détenaient l’industrie du pays et que l’armée serait bientôt in instrument entre leurs mains, parce que la majorité des officiers serait des leurs. Cet état de choses leur causa de graves inquiétudes et, comparant leur faiblesse à la force croissante des Arméniens, ils trouvèrent que le meilleur moyen d’arriver à leurs fins serait de les exterminer, et que la guerre actuelle leur offrait la meilleure occasion. Ils exécutèrent donc leur plan de la manière la plus barbare, contrairement aux dogmes et aux préceptes de l’Islam.

En effet, nombreux sont les versets du Coran et les (hadith) du Prophète qui défend le meurtre et font aux croyants un devoir de respecter les femmes et les enfants. Nous en citerons quelques uns :

« Ne donnez point d’égal à Dieu ; et ne mettez [p55] point vos semblables à mort, excepté par voie de justice ».

« Les serviteurs du Miséricordieux sont ceux…et ceux qui en transgressent point le précepte divin qui défend le meurtre ».

« Personne ne portera l’iniquité d’autrui ».

« Celui qui tuera un homme sans en éprouver de violence, sera coupable du sang de tout genre humain ».

« Donner un égal à Dieu et donner la mort à son semblable sont les plus grands péchés ».

« Je vous ordonne de ne brûler personne, car le feu est un supplice que Dieu seul peut infliger ».

Les témoignages de l’histoire musulmane sont aussi bien nombreux et très significatifs.

D’une épître, adressée par le Khalife Abou-Bakr le Juste à un de ses généraux, nous extrayons le passage suivant : « Si vous triomphez de vos ennemis, n’en tuez point les vieillards, les femmes et les enfants ; n’en brûlez point les plantations ; n’immolez de leur bétail que ce qui est indispensable pour votre nourriture. Vous trouverez des moines dans leurs couvents ; laissez-les au sort qu’ils se sont choisis ; ne les tuez pas et ne détruisez pas leurs maisons de prière ».

Le sultan ottoman Sélim I demanda un jour au Cheikh-ul-islam une (fetwa) qui justifierait la déportation des chrétiens de la Roumelie qui ne se convertiraient pas à l’islamisme. Le grand cheikh s’y refusa parce que cela était contraire à la loi.
[p56]
Un autre sultan de Turquie, le sultan Ibrahim, voulu décréter la mort des chrétiens dans l’Empire ottoman, mais ne put obtenir une fetwa à cet effet ; il essaya de restreindre les massacres aux Européens seulement ; mais le cheikh-ul-islam protesta énergiquement contre une décision contraire à la loi sainte de l’Islam.

C’est ainsi qu’on agissait en Turquie, quand on ne transgressait pas encore les préceptes de la religion.

De quel droit donc on pu se prévaloir les Turcs pour exterminer toute une nation, hommes et femmes, vieillards et enfants, quand ceux-ci ont payé tous les impôts et observé toutes les lois de l’empire ?

Admettons pour un moment, que les hommes aient mérité le sort qui leur a été fait ; de quel crime peut-on accuser les femmes et les enfants innocents ? Et de quel châtiment ne mérite-t-il pas celui qui a tué sans raison ou qui a brûlé des êtres inoffensifs ?

Certes l’islam doit se disculper des fautes dont on pourrait l’incriminer, car si l’Europe n’est pas mise au courant de ces évènements, elle les considérera comme une tâche ineffaçable dans l’histoire de l’Islam.

Or, il ressort des versets et des citations que nous avons reproduits que les agissements du gouvernement turc sont contraires aux dogmes de la religion. Et un gouvernement qui se dit protecteur de l’Islam et qui détient le khalifat ne peut agir contrairement aux préceptes de la Charia, et en le faisant, il cesse d’être un gouvernement musulman et n’a plus aucun droit à ses prérogatives.
[p57]
Les musulmans doivent donc renier un pareil gouvernement qui foule aux pieds les versets du Coran et les hadiths du Prophète en tuant des innocents, sinon ils seraient considérés comme ayant trempé dans ce crime qui n’a pas de précédent dans l’histoire.

En terminant, je m’adresse au Puissances de l’Europe et j’atteste que ce qui a encouragé le gouvernement turc dans ses méfaits ce sont ces mêmes puissances qui, connaissant la mauvaise administration turque et les cruautés qu’elle a commises en maintes occasions, n’ont rien fait pour l’empêcher de continuer de mal œuvrer.

Ecrit à Bombay, le 4 Zul-Kida 1334
Le 3 Septembre 1916

[p59]

LES MASSACRES EN ARMÉNIE
TABLE DE MATIÈRES
Page
Note du traducteur _3
Préface à la Nouvelle Edition _5
Avant-propos de l'auteur _7
Manifeste du gouvernement ottoman _9
Zohrab et Vartkès 15_
La rançon 17
Un enfant dans le désert 18
En prison 20
Dikran 22
Agop Kaitandjian 23
Mes compagnons de route 24
Les lettres 25
Massacres des protestants, etc. 25
A Médiat 26
Propos d'un agent postal 26
Exécution des Arméniens 27
Les biens des Arméniensss et leurs églises 27
Différentes méthodes d'exécution 29
Barbarie de la milice et des tribus 31
Ventes des caravanes 31
Les dents en or 31
Un Kurde qui tue 50.000 Arméniens 31
Viol des femmes avant et après leur mort 32
[p60] Page
Histoire d'un vieillard et d'une jeune fille 32
Barsoum Agha 33
Propos d'un maître d'école 33
Des enfants qui meurent de faim et de soif 34
Histoire d'un enfant 35
Chawket Bey et la petite Arménienne 35
Le Mutessarif et la jeune arménienne 37
Histoire d'une autre jeune fille 38
Une récompense injuste 39
Une caravanne de femmes 39
L'hospitalité d'une nuit pour 50 livres 40
Honneteté des Arméniennes 41
Trois arméniennes dans l'Euphrate 42
Les servantes de Diarbékir 43
Chahin bey et la jeune Arménienne 43
Travestissement des Arméniens en Kurdes et envoi de leurs photographie à Constantinople 44
Les Arméniennes devenues musulmanes 45
Les Allemands et les Arméniens 46
L'assassinat de deux kaimakams 47
Le cadi - assassin 48
Par ordre du sultan 48
L'Arabe et la mendiante arménienne 48
Statistique des Arméniens massacrés 49
Conclusion 50
FIN
  • Note de Paka qui a numérisé ce texte : les massacres ont continué après que ce livre ait été écrit…
  • Présentation : Nil V. Agopoff, chercheur
_ Chapitres arméno-arabisants [(Accueil)] _
[(I)] - [(II)] - [(III)] - [(IV)] - [(V)] - [(VI)] - [(VII)] - [(VIII)] - [(IX)] - [(X)] - [(XI)]

_ Armenian-Arab Chapters [(Home)] _
[(I)] - [(II)] - [(III)] - [(IV)] - [(V)] - [(VI)] - [(VII)] - [(VIII)] - [(IX)] - [(X)] - [(XI)]