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Les massacres en Arménie
turque
de Faïez El-Ghocein édité en l'An 1335 de l'Hégire, soit 1917 de l'Ère Chrétienne |
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Джованни Гуайта Шейх Файез эль-Гусейн |
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AU NOM DE DIEU CLÉMENT
ET MISÉRICORDIEUX Je suis un Bédouin ; mon père est un des chefs
de la tribu de « Soulout » qui habite le Ledja (Haouran). J’ai fait
mes études à Constantinople, à l’École des Tribus (Achair), puis
à l’École Mulkieh. Mes études terminées, j’ai été attaché au
Vali de Damas et après un certain temps, j’ai été nommé Kaimakam au
villayet de Mamouret-el-Aziz (Kharpout), où je suis resté près de trois
ans et demi en fonction. Je suis revenu ensuite à Damas pour suivre
la carrière d’avocat. .Après la déclaration de la Grande Guerre, j’ai
été rappelé par le gouvernement pour reprendre mon poste de kaimakam,
mais j’ai refusé d’abandonner ma carrière libérale. [p9] LES MASSACRES EN ARMÉNIE TURQUE Après ces notes autobiographiques, l’auteur donne
un aperçu général de l’histoire des Arméniens, des provinces qu’ils
habitent dans l’empire ottoman, des différents partis politiques qu’ils
ont fondés et de leur nombre qu’il évalue à 1.900.000 âmes en Turquie,
d’après les statistiques officielles, et à 4.500.000 environ dans le
monde entier. Manifeste du Gouvernement
ottoman « Attendu que les Arméniens commettent
des actes illégaux et profitent de toute occasion pour inquiéter le
gouvernement ;
[p10] « Attendu qu’on a découvert chez eux des armes prohibées et des matières explosibles dans le but de préparer une révolution dans le pays, et qu’effectivement ils ont tués des musulmans dans le vilayet de Van, et qu’ils ont prêté main forte aux troupes russes » « Considérant que le gouvernement ottoman se trouve en état de guerre avec l’Angleterre, la France et la Russie; « Il a été décidé, pour prévenir les troubles que peuvent susciter les Arméniens selon leur habitude, de les grouper tous pour les conduire aux vilayets de Mossoul et de Syrie au lewa de Deir-el-Zor, sans porter atteinte à leur vie, à leur honneur et à leurs biens. Les ordres nécessaire ont été donnés pour assurer leur repos et leur séjour dans les localités sus-mentionnées jusqu’à la fin de la guerre ». Tel est le manifeste officiel du gouvernement ottoman. Mais on avait décidé en secret de former des bataillons (milice) pour aider les gendarmes à décimer les Arméniens sous la direction de certains Unionistes connus pour leur barbarie. On nomma Rachid-Bey gouverneur de Diarbékir, avec plein pouvoir d’agir ; et on l’accompagna d’une bande d’assassins célèbres tel que Ahmed El-Serzi, Ruchdi Bey, Khali Bey et autres. Les raisons qui ont déterminé le gouvernement à prendre cette décision, m’a-t-on dit, ont été les suivantes : Les arméniens émigrés en Europe et en Égypte [p11]avaient envoyé une vingtaine de Fédaïs (révolutionnaires) pour tuer Talaat, Enver et autres membres du parti Union et Progrès. Ils n’y réussirent pas, car un de leurs compatriotes, ami du commandement de la Sûreté à Constantinople, les trahit ; ils furent arrêtés et tués en secret pour qu’il ne fût pas dit qu’il y a dans le pays des gens hostiles aux Unionistes. On cite encore parmi les causes des massacres que les soldats arméniens, au nombre de 60, enrôlés dans le vilayet d’Alep et d’Andrinople, désertèrent et se réfugièrent à Zeitoun avec leurs armes. Le gouvernement dirigera contre eux des troupes régulières commandées par Fakhri Pacha, qui fit détruire une partie de Zeitoun et mit à mort, hommes, femmes et enfants, sans trouver aucune résistance. Les survivants furent déportés, mais en route les hommes furent tués et les femmes livrées à la soldatesque ; quand aux enfants, ils moururent de faim et de soif ; n’arrivèrent en Syrie que de malheureux infirmes. Après quoi des émigrés turcs de la Roumélie furent installés à Zeitoun, dont on changea le nom en celui de « Réchadié », pour ne rien laisser qui pût rappeler aux turcs le souvenir des Arméniens de cette célèbre localité. J’ai vu, lors de notre passage à Hama (Syrie) beaucoup d’Arméniens, femmes et hommes, assis sous de petites tentes qu’ils avaient dressées avec des draps de lit ; ils faisaient d’autant plus pitié à voir qu’on distinguait sans peine qu’ils avaient appartenu à la classe aisée. J’en ai vu beaucoup d’autres entassés dans des fourgons de chemin de fer entre [p12] Hama et Alep. L’aspect de leur misère attendrissait le cœur. Après un court séjour à Alep, je fus envoyé à Ser-Arab Bonari, où on nous adjoignit cinq arméniens escortés qu’on dirigeait sur Diarbékir. Nous fîmes le trajet à pied jusqu’à Serouj où nous fûmes hébergés dans un caravansérail qui regorgeait de femmes arméniennes avec leurs petits enfants et quelques hommes infirmes. Ces malheureuses se trouvaient dans un état lamentable, car elles avaient fait le trajet d’Erzeroum à Serouj à marche forcée. J’ai pu causer avec quelques-unes d’entre elles en langue turque et j’appris que les gendarmes qui les escortaient les amenaient souvent dans des lieux solitaires où ils les laissaient sans eau. Celles qui accouchaient en route devaient abandonner leurs enfants, parce qu’elles ne pouvaient les porter, ou rester pour mourir avec eux, dans le désert. Et ainsi ces malheureuses victimes étaient livrées sans merci aux Kurdes et voyaient leur vie et leur honneur entre les mains d’impitoyables bourreaux ; aussi, plusieurs d’entre elles préfèrent se donner la mort plutôt que de se livrer à ces loups. De Sérouj je fus dirigé à Ourfa, j’aperçus de loin sur la route une très grande multitude de personnes que je crus être une armée en marche ; mais ce n’était qu’une longue file de femmes arméniennes, marchant pieds nus et tête découverte, alignées par rang comme une véritable armée. Elles étaient précédées et suivies d’un certain nombre de gendarmes. Lorsque l’une de ces femmes épuisée de fatigue, s’arrêtait un instant, la crosse d’un fusil s’abattait sur [p13]elle et l’obligeait à rejoindre ses compagnes ; mais si elle était trop malade pour rejoindre la caravane, elle était abandonnée pour être la proie des animaux sauvages, où elle recevait une balle qui mettait fin à ses souffrances. Arrivés à Ourfa, nous apprîmes que le gouvernement avait envoyé un détachement de soldats et de gendarmes dans les quartiers arméniens pour ramasser les Arméniens et faire subir aux pauvres habitants le même sort qui avait été réservé aux Arméniens d’autres localités. Mais les Arméniens d’Ourfa n’ignoraient pas ce qui les attendait, une fois désarmés, car ils avaient sous les yeux les caravanes de déportés qui passaient par leur ville. Aussi opposèrent-ils la force à la force, et trois soldats et un gendarme turcs furent tués. Le gouvernement demanda un renfort d’Alep et Fakhri Pacha reçut l’ordre de Djémal Pacha, le bourreau tristement célèbre de la Syrie, d’aller châtier les rebelles. Il se dépêcha de se rendre à Ourfa où il fit raser à coups de canon les quartiers arméniens, tuant sans distinction hommes, enfants et femmes, sauf celles qui se rendirent aux soldats. Fakhri Pacha en choisit les plus belles pour lui et pour ses officiers, et les autres furent déportées pour être livrées à la soldatesque ou à la mort. Quand nous quittâmes Ourfa, nous rencontrâmes des bandes de femmes déguenillées et épuisées de fatigue, de misère et d’inanition ; des cadavres jonchaient les deux bords du chemin. Nous fîmes halte dans une localité près du village de Kara-Djoun, à six heures environ d’Ourfa. Je m’écartai de mes compagnons de route, vers une [p14] source d’eau ; et là s’offrit à mes yeux un horrible spectacle ; une femme à demi-nue, étendue sur le dos, avec 4 balles dans la poitrine, et près d’elle un enfant dans sa huitième année environ étendu la face contre terre la tête fracassée d’un coup de hache. A cette vue, je ne puis retenir mes larmes ni mes sanglots. J’étais dans cette douleur profonde, lorsque j’entendis l’officier Aref Effendi qui appelait à grands cris le curé Isaac, un des cinq Arméniens. Je les rejoignis aussitôt, et nous vîmes trois jeunes enfants, couchés dans l’eau par crainte des Kurdes qui les avaient dépouillés de leurs vêtements après leur avoir fait subir toutes sortes de torture ; non loin d’eux, leur mère gémissait de faim et de douleur. Elle nous raconta qu’elle était au vilayet d’Erzeroum, d’où elle avait été déportée avec un grand nombre de ses compagnes ; en route, les plus belles d’entre elles furent livrées aux Kurdes, les autres, arrivées près de Kara-Djour, furent dépouillées de tout ce qu’elles possédaient par une horde de femmes et d’hommes kurdes et continuèrent leur voyage d’exil ; quand à elle, minée par la maladie, elle avait été abandonnée avec ses enfants dans cet endroit, où quelques kurdes vinrent les dépouiller du peu de vêtement qui leur restaient et les laissèrent presque nus. Le curé put lui procurer quelques vêtements de nos compagnons de voyage ; et l’officier de notre escorte envoya quérir un gendarme d’une garnison voisine et le chargea de conduire cette femme à Ourfa et de prendre les mesures nécessaires pour faire enterrer les cadavres. J’ai pu apprendre de cette femme l’histoire de la malheureuse qui gisait, percée de quatre balles, [p15] avec son jeune enfants ; elle avait refusé de se livrer aux soldats qui, pour la réduire, avaient tué son enfant devant ses yeux ; mais elle resta inébranlable et préféra mourir plutôt que de conserver sa vie au prix de son honneur. Nous reprîmes ensuite notre route vers Kara-Djourn, et, chemin faisant, un de nos conducteurs turcs nous indiqua de loin un morceau de pierres, près d’une colline, et nous apprit que là avait été assassinés Zohrab et Vartkès, les deux députés arméniens célèbres du parlement ottoman. Zohrab et
Vartkès
Zohrab était le député arménien de Constantinople
à la Chambre Ottomane, où son éloquence, son intelligence et ses idées
libérales n’étaient pas de nature à le faire aimer des Jeunes-turcs,
qui n’avaient aucune notion de la vraie politique et des principes
constitutionnels. Aussi cherchèrent-ils à revenir aux méthodes dévastatrices
de leurs ancêtres tartares. La rançon A Sewerek, l’officier Aref Effendi, nous apprit,
après la visite qu’il rendit aux autorités locales, que celles-ci
exigeaient qu’on leur livrât les cinq Arméniens qui étaient nos compagnons
d’exil, à moins que ceux-ci ne se rachetassent par une rançon de 50
livres turques, moyennant quoi ils pouvaient arriver sains et saufs
à Diarbékir. Le curé Isaac répondit après avoir fait part à ses compagnons
de ces exigences, qu’il ne pouvait paye que 10 livres, car c’était
tout ce qu’il possédaient. Après une longue discussion, l’officier
parvint à satisfaire les autorités locales avec cette somme, et les
malheureux Arméniens purent continuer leur chemin vers Diabékir. Un enfant dans le désert En route nous aperçûmes un jeune enfant, de
quatre ans, blond, avec de jolis yeux bleus. [p19]
Abandonné dans cette solitude, sous les rayons brûlants du
soleil, il restait immobile. L’officier fit arrêter notre voiture
pour interroger l’enfant, mais celui-ci ne put faire aucune réponse.
Alors notre officier fit cette réflexion : « Si nous emmenons cet
enfant avec nous, le gouvernement s’en saisira à Diarbékir et lui
fera subir le même sort que celui des siens ; il vaut mieux l’abandonner
ici où il pourrait être recueilli par quelque kurde charitable qui
l’élèverait dans sa famille. » En prison Arrivé à Diarbékir, je fus livré à l’autorité
locale qui me mit en prison où je restais vingt deux jours, durant
lesquels il me fut donné de connaître dans ses détails, la question
arménienne de la bouche d’un détenu musulman. Dikran C’était un membre du comité central du parti
« Tachnaktzoutioun » (1) à Diarbékir. Un fonctionnaire de cette
ville membre lui-même de « l’Union et Progrès » me fit à son sujet
le récit suivant : Agop Kaitandjian Accusé d’avoir appartenu à un comité révolutionnaire
qui recelait des matières explosives, Agop avait été jeté en prison
où j’ai longtemps causé avec lui. Il me fit lui-même le récit suivant
de ses souffrances : Mes compagnons de route Après ma sortie de prison, il ne me fut plus
donné que difficilement la permission de voir mes cinq compagnons
de route. Quelques temps après, m’étant informé de leur sort, j’appris
qu’ils avaient été envoyés pour être tués comme ceux qui les avaient
précédés. Un gendarme que j’avais connu en prison me raconta que lui-même
avait tué le curé Isaac de ses propres mains, un jour où quelques
soldats s’amusaient à vouloir enlever la barrette du curé à coup de
revolver. « J’ai été le meilleur tireur [p25]
dit-il, car ma première balle enleva la barrette et la seconde étendit
le curé mort ». Les lettres Les premiers jours qui suivirent
la déportation des 700 personnes dont j’ai parlé, le gouvernement
faisait écrire par ses fonctionnaires des lettres qu’ils signaient
des noms des déportés dans le but de cacher le jeu et de ne pas donner
l’éveil au reste de la population arménienne qu’on avait décidé de
décimer. Les parents des déportés payaient de fortes sommes pour avoir
ces lettres. Massacres des protestants Les massacres s’étendirent d’abord aux Protestants, aux Chaldéens et aux Syriaques. A Diarbékir pas un Protestant ne fut épargné. Quatre-vingt familles syriaques et un grand nombre de Chaldéens y trouvèrent aussi la mort. Dans le reste de la province, nul ne fut épargné si ce n’est à Médiat et à Mardine. [p26] Mais quand l’ordre arriva de faire grâce à ceux qui n’étaient pas Arméniens, les différentes communautés n’eurent plus beaucoup à souffrir. A Médiat Les Syriaques du Caza de Médiat sont très courageux. Ayant appris les malheurs de leurs frères de Diarbékir, ils se fortifièrent dans trois villages voisins et se défendirent héroïquement. En vain le gouvernement dirigea contre eux des troupes régulières et des tribus kurdes, ils restèrent invincibles et parvinrent à sauver leur vie et leurs biens des atrocités d’un gouvernement tyrannique. Un iradié impérial leur ayant accordé une amnistie, ils n’y ajoutèrent aucune foi ; car ils savaient avoir affaire au plus menteur des gouvernements qui retire aujourd’hui ce qu’il a accordé la veille et qui châtie plus durement ceux qu’il a amnistiés. Propos d'un agent postal Dans un café de Diarbékir, un
agent de l’administration des postes eut un jour avec un de mes amis
la conversation suivante en ma présence. Éxécution des Arméniens Les Arméniens sont mis à mort
d’une manière qui fait blanchir les cheveux et courir un frisson d’horreur
sur le corps. Les biens des Arméniens et les croix de leurs églises Après l’exécution des Arméniens,
le gouvernement mît la main sur tout leurs meubles et les [p28]
différents objets qu’on put trouver dans leur logis ou dans leurs
magasins. Le tout fut déposé dans les églises ou dans les grandes
habitations, et des commissions furent formées pour procéder à la
vente de ces objets, comme on vend des biens des personnes décédées,
à la seule différence que les prix de ces biens est ordinairement
remis aux héritiers alors que le prix des biens des Arméniens revient
au trésor turc. Différentes méthodes d'exécution Les procédés adoptés pour exécuter
les Arméniens sont nombreux : Barbarie de la milice et des tribus Quand aux agissements barbares des gendarmes et des tribus kurdes, ils sont au dessus de toute imagination. Lorsqu’une caravane est consignée aux gendarmes, ils en fouillent toutes les personnes, femmes et hommes pour les dépouiller de tout ce qu’elles possèdent. Vente des caravanes Quand les gendarmes ont dépouillé leurs malheureuses victimes de tout objet de valeur, ils les vendent aux Kurdes, ne mettant pour condition que celle de ne pas les laisser vivantes. Pour le prix, il varie selon le nombre de personnes qui composent le convoi. Ainsi j’ai appris de plusieurs gens dignes de foi qu’une caravane a été vendue aux kurdes pour la somme de 2.000 livres, une autre pour 700, et une troisième pour 200. Les dents en or Malheur à ceux qui ont des dents montées en or! Les Kurdes et les gendarmes les leur arrachent avant de les tuer, leur faisant ainsi subir toutes les tortures. Un Kurde tue à lui seul 50.000 Arméniens Un Kurde me raconta que le gouverneur de [p32] Kharpout a livré à un agha kurde 50.000 Arméniens, de Erzeroum, Trébizonde, Sivas et Constantinople, avec ordre de les mettre à mort et de partager avec les autorités l’argent qu’il pourrait en tirer. Il fit massacrer les 50.000, après les avoir dépouillés de tout ce qu’ils possédaient. Il s’était arrangé pour fournir six cents mulets aux femmes pour leur faciliter le voyage, à raison de trois livres par mulet. Après avoir payé le prix convenu, il réquisitionna les bêtes de somme de sa tribu et ayant conduit les femmes à un endroit situé entre Malatia et Ourfa, il les fit toutes massacrer et s’empara de leurs bijoux et de leurs objets d’ornement. Viol des femmes après leur mort Les Kurdes et les gendarmes ont violé un nombre considérable de jeunes filles arméniennes. Celles qui opposaient quelques résistances étaient tuées, et ces bêtes féroces assouvissaient leur passion abominable même sur des agonisantes. Histoire d'un vieillard et d'une jeune fille Nous avons mentionné au cours de ce récit que les femmes arméniennes étaient, sous la conduite d’un gendarme, déportées par caravanes. Quand une de ces caravanes passait par un village, les habitants en achetaient les femmes qui leur plaisaient, moyennant quelques pièces d’argent qu’ils versaient aux conducteurs de la caravane. C’est ainsi qu’un vieillard sexagénaire se choisi une belle jeune fille de 16 ans à peine. Celle-ci ne voulut point de lui et demanda à embrasser l’islamisme. Mais on n’accéda pas à sa demande et on lui proposa de choisir entre [p33] la mort et le vieillard. Ayant persisté dans son refus, elle fut tuée sur le champ. Barsoum Agha Quand j’étais kaimakam au caza de Kathta (vilayet de Kharpout), je m’étais lié d’amitié avec un notable arménien du nom de Barsoum agha. C’était un homme généreux et courageux qui entretenait d’excellentes relations avec les Kurdes, les Turcs et les Arméniens indistinctement ; il venait aussi en aide à tous les fonctionnaires destitués. Mais les aghas kurdes l’espionnaient, car ils lui en voulaient de partager leur influence. Quand, dans mon exil, je suis arrivé à Séwerek, je me suis empressé de demander de ses nouvelles, et j’ai appris que le gouvernement après avoir arrêté les Arméniens, lui avait intimé l’ordre de livrer ses cahiers de comptabilité, car il avait prêté aux habitants de caza une somme d’environ 10.000 livres. Il répondit qu’il avait détruit les cahiers et les traites que ses débiteurs lui avaient souscrites, libérant ainsi de lui-même ses débiteurs de ce qu’ils devaient. On le fit partir avec ses compatriotes déportés. Arrivé près de l’Euphrate, il demanda de s’y noyer. On accéda à sa demande ; mais il ne put exécuter son projet, et se tournant vers les gendarmes, il leur dit : « La vie est chère et je ne parviens pas à me suicider ». L’un d’eux lui envoya une balle qui mit fin à ses jours. Et il périt avec toute sa famille. Propos d'un jeune maître
d'école turc Un jeune Turc m’a raconté que les autorités avaient fait savoir aux Arméniens de Brousse qu’il [p34] avait été décidé de les exiler à Mossoul, en Syrie et à Deir-el-Zor. On leur donnait trois jours pour s’y préparer. Ces malheureux vendirent donc ce qu’ils purent de leurs meubles et prirent en location des voitures et des chariots pour leur transport et celui de leurs bagages. En route, leurs conducteurs les ayant amenés à un endroit éloigné des lieux habités, brisèrent les voitures et abandonnèrent ces pauvres exilés dans le désert, conformément aux ordres qui leur avaient été donnés ; et, pendant la nuit, ils revinrent les dépouiller de tout ce qu’ils possédaient. Beaucoup de ces malheureux périrent de faim et de peur, d’autres furent massacrés en route, et il n’en arriva en Syrie et à Deir-el-Zor qu’un petit nombre. Des enfants qui meurent de faim et de soif Un Arabe d’Al-Guéziret qui m’avait accompagné lors de mon évasion de Diarkékir, me raconta qu’il était un jour parti avec un cheikh de sa tribu et une caravane d’hommes et de chameaux pour acheter des denrées auprès des enfants d’Ibrahim pacha El-Molli. En route, ils rencontrèrent dix sep enfants mourant de faim et de soif ; le plus âgé ne pouvait guère avoir plus de treize ans. « Notre cheikh, à leur vue, pleura de compassion ; nous avions une petite outre d’eau et un peu de pain ; il les fit boire et manger de se propres mains. Mais à quoi pouvait leur servir ce secours momentané ? Car si nous les emmenions avec nous, ils étaient voués à la mort, attendu que les Kurdes avaient massacré, par ordre du gouvernement, tous les Arméniens de la contrée, et nous étions encore à une distance de cinq journées de marche de nos Bédouins. Nous dûmes dons laisser ces pauvres petits à la miséricorde de Dieu. A notre retour, une semaine après, nous les trouvâmes tous morts.» Histoire d'un jeune enfant Nous causions un jour du courage
des Arméniens ; le mudir de la contrée nous fit le merveilleux récit
suivant : Récit de Chawket bey
Un jour, j’entendis dans une réunion
un fonctionnaire, un de ceux qui avaient été chargés de l’exécution
des Arméniens et qui s’appelait Chawket bey, faire le récit suivant
: Le prix des Arméniennes Un homme digne de foi m’a raconté qu’un fonctionnaire avait acheté à Deir-el-Zor trois filles [p37] à raison d’un quart de talari l’une. Un autre m’a appris qu’il avait acheté lui-même une fort belle jeune fille pour une livre. J’ai entendu dans les tribus que les Arméniennes ont été vendues comme une vile marchandise d’une à dix livres, ou d’une à cinq brebis. L’avocat et la petite arménienne Nous étions un jour dans le cabinet
d’un avocat, lorsqu’une petite fille qu’il connaissait se présenta
à nous. Le mutessarif et la jeune Arménienne Un convoi d’Arméniens était récemment
arrivé de Ras el-Ain à Deir-el-Zor. Le mutessarif, gouverneur de la
localité, voulut choisir parmi les Arméniennes une servante pour sa
maison. Son choix tomba sur une belle jeune fille, et, s’étant approché
d’elle, il la vit pâlir et trembler de tous ses membres. Il la tranquillisa
de son mieux et l’envoya chez lui avec son domestique. Puis s’étant
rendu lui-même à la maison, il interrogea la jeune fille sur la cause
du trouble qu’elle avait montré. Histoire d'une autre jeune Arménienne Un jour, j’étais en visite chez
un grand fonctionnaire de Diarbékir. Il avait à son service une jeune
Arménienne qui, nous ayant servi le café, se retira discrètement ;
et le fonctionnaire me tint le propos suivant : Une récompense injuste Les Turcs avaient enrôlés, dans différents régiments, les jeunes Arméniens en âge du service militaire. Quand le gouvernement décida de déporter les Arméniens pour les anéantir, des ordres furent donnés aux officiers pour rassembler les jeunes Arméniens des différentes unités de l’armée pour en former des régiments distincts qui seraient chargés de la réparation des routes et des travaux municipaux. On les occupa à ces travaux pendant huit mois jusqu’à l’époque des pluies et des grandes neiges, où il n’était plus possible de les utiliser. Le gouvernement les envoya alors d’Erzerom, de Trébizonde et d’autres localités éloignées vers Diarbékir, dénommé par les exilés « la Citadelle du Sang ». Une dépêche avisa les autorités de cette ville de l’arrivée de ces jeunes gens. Elles envoyèrent à leur rencontre des gendarmes tout armés qui les reçurent à coup de fusil. Le dernier convoi ainsi expédié à Diarbékir était composé de 840 jeunes gens qui furent tous fusillés loin de la ville. Une caravanne de femmes Un jour, j’étais assis dans une
boutique, au bazar de Diarbékir, avec deux médecins de l’hôpital militaire,
lorsque nous vîmes une grande multitude [p40]
de personnes se diriger vers l’extérieur de la ville. Ayant demandé
les raisons de ce va-et-vient, nous apprîmes qu’un troupeau de femmes
arméniennes était arrivé et que le gouvernement l’envoyait là où il
avait envoyé les caravanes précédentes ; les habitants allaient pour
s’en choisir des servantes. L’hospitatlité d'une nuit pour 50 livres Celui qui montra le plus de zèle dans l’extermination des Arméniens est certainement Rachid bey, gouverneur de Diarbékir. Nous avons déjà mentionné le nombre de ceux qui furent massacrés dans son vilayet. Lorsqu’arriva la nouvelle de sa destitution, une grande joie entra au cœur des Arméniens survivants et de tous les chrétiens de la contrée. Certains Arméniens qui s’étaient cachés, sortirent de leur cachette quand ils apprirent la destitution de ce vali. Mais lui, ne voulant pas divulguer la nouvelle et cherchant toujours à répandre la terreur, donna des ordres plus sévères encore de déporter les Arméniens qui restaient. Ceux-ci s’empressèrent de se [p41] cacher à nouveau. Et un notable de Diarbékir raconte qu’un Arménien a payé cinquante livres à un Kurde pour le cacher dans sa maison pour une seule nuit, celle qui précéda le jour où devait partir Rachjid bey. Un autre Arménien proposa à ce même notable trois livres par nuit jusqu’au départ du vali, mais il refusa par crainte des représailles des autorités. Honnêteté des Arméniens Un fonctionnaire me raconta qu’un
jour il vit une barque chargée de filles arméniennes ; et il désirait
s’en choisir une. Elles répondirent que celle qui serait sauvée par
son intervention lui offrirait une certaine somme d’argent en cadeau.
Il leur dit alors qu’il désirait une jeune fille pour son service
et ses plaisirs .Et toutes de lui répondre : « Quand à ton service,
chacune de nous est prête à le faire, mais pour ce qui peut porter
atteinte à l’honneur, nous le refusons toutes, préférant la mort à
la honte ». Trois Arméniennes qui se noient dans l'Euphrate Un Arabe de la tribu « Oukaidat
» m’a fait le récit suivant : Les servantes de Diarbékir Vous ne pouvez pénétrer dans une maison à Diarbékir sans trouver d’une à cinq servantes arméniennes. Le plus petit marchand possède, pour le servir, une jeune arménienne qui, du vivant de ses parents, ne daignait même pas adresser la parole à celui qu’elle est obligé maintenant de servir pour avoir la vie sauve. On m’a rapporté que le nombre de jeunes filles et de femmes arméniennes servant dans les maisons de Diarbékir atteignit environ 5.000, venues pour la plupart d’ Erzeroum, de Kharpout et d’autres provinces. Chahin bey et la jeune Arménienne Un nommé Chahin bey, de Diarbékir
qui était en prison avec moi, me fit le récit suivant : Travestissement des Arméniens
en Kurdes et Le gouvernement turc pensa que
les gouvernements européens ne tarderaient pas à apprendre l’extermination
des Arméniens et que la nouvelle en serait publié dans le monde entier
ce qui ne manquerait pas de soulever l’opinion publique contre les
Turcs. Aussi ses agents ayant massacré [p45]
un certain nombre d’Arméniens, travestirent les cadavres en Kurdes,
couvrant les têtes de turbans, et firent venir des pleureuses kurdes
qui entourèrent les cadavres en poussant des lamentations. Un photographe,
engagé à cet effet, photographia ces scènes dans le but de faire accroître
plus tard à l’Europe que c’étaient les Arméniens qui les premiers,
avaient attaqué les Kurdes et en avaient tué un grand nombre, et qu’alors
seulement les tribus kurdes, exaspérées, s’étaient vengées des Arméniens
sans que le gouvernement turc eut trempé en quoi que ce soit dans
le massacre de ces derniers. Les Arméniennes devenues musulmanes Lorsque le gouvernement commença
l’extermination des Arméniens, un certain nombre de femmes arméniennes
s’adressèrent au mufti de Diarbékir et au grand cadi, demandant à
embrasser l’islamisme. On accéda à leur demande et on les maria à
des Kurdes ou à des Turcs de Diarbékir. Les Allemands et les Arméniens Toutes les fois qu’il était question
des Arméniens, je ne manquais pas de blâmer les Turcs pour leur conduite.
Un jour que la conversation roulait sur ce sujet et que j’exprimais
mon opinion comme d’habitude, un jeune Turc, fort épris d’idées nationalistes
me dit : L’assassinat de deux kaimakans Quand le gouvernement de Diarbékir
envoya l’ordre aux différents fonctionnaires de décimer les Arméniens,
le kaîmakamat du casa « Al-Béchiri », était occupé par un Arabe de
Bagdad, et celui de Lidja par un Albanais. Ceux-ci, aussitôt l’ordre
reçu, envoyèrent une dépêche au gouverneur général disant que leur
conscience ne leur permettait pas de commettre une pareille action,
aussi présentaient-ils leur démission. Elle fut acceptée ; mais les
deux kaîmakams furent assassinés en route. Le cadi assassin Après l’assassinat du kaïmakam d’Al-Béchiri que je viens de relater, son poste fut occupé par le cadi du Mehkémeh, d’origine turque. Un jour que le cadi se trouvait à Diarbékir dans une réunion où je me trouvais moi-même, je l’entendis se vanter d’avoir tué de ses propres mains quatre Arméniens qui avaient accepté la mort joyeusement. Le Cadi racontait cet incident en reconnaissant le courage des Arméniens et en se glorifiant de son courage à lui. Par ordre du Sultan Alors que j’étais en prison, un
commissaire turc de la police y venait souvent pour rendre visite
à l’un de ses amis, détenu dans la même cellule que moi. Un jour la
conversation roula sur les Arméniens et leurs malheurs ; le commissaire
nous expliqua comment il avait tué plusieurs d’entre eux ; quelques
uns s’étant refugié dans une caverne en dehors des remparts de la
ville. Il avait découvert leur refuge et massacrés deux de ces malheureux.
L’Arabe et la mendiante arménienne Un soldat arabe de Bagdad qui rentrait d’Erzeroum me fit le récit suivant : « J’étais un jour dans [p49] un café à Diarbékir, lorsque vint à passer une mendiante qui demandait l’aumône ; et tout le monde de lui cracher au visage et de lui faire entendre les paroles les plus injurieuses. Pris de compassion pour cette malheureuse, je dis à mes voisins : « Vous pouvez lui refuser l’aumône, mais vous n’avez pas le droit de la maltraiter », et j’essayai en même temps de lui donner quelques pièces d’argent. Mais les assistants objectèrent : C’est une Arménienne ! Le gouvernement punit sévèrement ceux qui font du bien à cette race qui doit être exterminée ! ». Statistique des massacres arméniens Vers la fin du mois d’août 1915
un de mes compagnons à Diarbékir vint me visiter dans ma prison ;
il était l’ami intime d’un des fonctionnaires chargés de diriger les
massacres des Arméniens. J’appris de lui au cours de notre conversation
que le nombre des Arméniens de Diarbékir et d’autres vilayets qui
avaient été massacrés jusqu’à ce jour était de 570.000. Conclusion Si l’on demande au gouvernement
turc les motifs pour lesquels il a massacré les Arméniens, hommes,
femmes et enfants, et livré leur honneur et leurs biens au viol et
au pillage, il répondrait que les Arméniens ont tué des musulmans
à Van, qu’ils recélaient des armes prohibées et des matières explosibles,
ainsi que les insignes d’un Etat arménien tels que drapeaux et autres
; et que tout cela [p51]indiquait
clairement, que cette communauté poursuivait ses intrigues, attendant
une occasion favorable pour fomenter des troubles et massacrer les
musulmans, en se faisant aider par la Russie, ennemie de la Turquie.
******** Dans ce qui précède nous avons vu que les Arméniens
n’avaient rien fait pour mériter de la part des Turcs ces représailles
inconnues dans l’histoire des peuples, même dans les temps ténébreux.
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